Si la jolie couverture de
Take me away m'avait tapé dans l'oeil à sa sortie, je n'avais pas prévu de l'acquérir. C'était sans compter sur le concours anniversaire du blog d'Alice Neverland... et bim : la chance a bien voulu me laisser satisfaire ma curiosité. Moins d'un an plus tard, vidant ma pile à lire VF, je l'en ai sorti sans trop savoir à quoi m'attendre. En général, j'attends « l'appel » d'un livre pour l'ouvrir, suivant l'envie du moment, mais là, aucun ne me tentait plus particulièrement... Dans ces cas-là, deux issues possibles : la cata, la panne de lecture, à cause d'un bouquin pour lequel ce n'était pas le bon moment... ou, à l'inverse, la bonne surprise, le truc dont l'on n'attendait rien de spécial et qui, finalement, se détache nettement de mes nombreuses lectures annuelles. Inutile de tourner autour du pot :
Take me away s'est placé, dès le début, dans la seconde catégorie.
Take me away n'est clairement pas une romance au sens classique du terme. Certes, il y a là-dedans une jolie histoire d'amour... mais celle-ci n'est pas l'enjeu de l'histoire. Tout au plus la seule étincelle de douceur dans un récit par ailleurs très dur. Autant le dire tout de suite, si vous avez de vieux traumas planqués au fond d'un placard mental, peut-être vaudrait-il mieux que vous piochiez un autre livre, car, loin de faire partie du décor, ceux d'Angelia sont au premier plan. Partout. Tout le temps. le moindre détail anodin est susceptible de réveiller ses pires souvenirs, comme si les avoir gravés sur sa peau ne suffisait pas. On nous épargne certes les scènes de violence en direct, mais les descriptions des dégâts suffisent largement à retranscrire toute la barbarie de celles-ci. Quant au traumatisme d'Angelia, il n'est pas là pour faire joli ni servir de ressort à la romance : à l'inverse, c'est celle-ci qui sert de complément, et ne réglera pas les problèmes comme par magie. Non, ici, la souffrance est palpable à toutes les pages ou presque, presque jusqu'à la fin, même si, au fil des pages, on suit la lente et difficile reconstruction d'Angelia.
Et pourtant, au début, ce n'était franchement pas gagné. La narration au présent n'aide franchement pas, mais si l'on ajoute le fait que Zac et Angelia sont aussi fâchés avec la grammaire l'un que l'autre, on craint le pire, pendant un temps. Ils ont beau être jeunes, ça n'excuse pas tout. Quant aux chapitres, ils sont incroyablement courts. Un défaut peut-être issu de la publication sur internet ? Quoiqu'il en soit, si côté forme la plume de
Lorraine Joy est donc encore un peu mal dégrossie, côté fond, vous l'aurez compris dès les premières lignes de cette critique, elle s'avère redoutablement efficace. Peut-être parce que
Take me away est un récit au ton relativement réaliste. Pas de glamour, pas de camouflage ni de caricature. Et ce, même si les clichés et facilités ne manquent pas : si le ton est réaliste, les péripéties, elles, donnent parfois une impression de « too much », comme si le sort s'acharnait vraiment sur les personnages. Zac s'attache également très (trop ?) vite à Angelia et ses crises de colère semblent régulièrement forcées. Mais pourtant, ça fonctionne. Il faut dire que dans un récit aussi sombre, plus grand-chose ne peut nous étonner. Alors, tant pis si ce n'est pas totalement crédible. On se laisse sans mal porter par l'histoire, les chapitres s'enchaînant avec fluidité. Car si le style est imprécis, les émotions, elles, sont là et la dureté de l'histoire ne s'en trouve que renforcée. La dureté, mais la beauté aussi, car à côté de la noirceur des sévices subis par Angelia, il y a les efforts démesurés de Zac pour l'aider à découvrir à quoi ressemble une vie normale. Et pourtant, Zac a ses propres problèmes, justifiés à un moment donné.
Au rayon des choses qui font réellement grincer des dents, on mentionnera surtout le côté relativement psychophobe et validiste de l'histoire dans sa première moitié, où presque toutes les cases du bingo de ce qu'il ne faut *pas* faire sont cochées : non, en aucun cas « tarée » n'est une façon acceptable pour qualifier quelqu'un qui souffre de traumatisme, encore moins un qualificatif affectueux (« ma tarée », sérieusement ?). Justifier presque l'ensemble des comportements déviants mentionnés dans le livre par des problèmes psychologiques, c'est encore pire (« si tu es dangereux, c'est forcément parce que tu es fou »). Quant au personnage de Charley, on a franchement l'impression qu'elle n'est là que comme bonus « leçon de vie », cancéreuse mais plus lumineuse et heureuse que tout le reste du casting. C'est dommage, la jeune fille est par ailleurs sympathique, mais ce n'est absolument pas une bonne façon d'intégrer un personnage malade chronique dans une histoire ! Des maladresses narratives dues à un manque de sensibilisation et d'information, sans doute, mais qui, en tant que personne handi et malade chronique justement, m'ont davantage dérangé que toutes les horreurs subies par Angelia.
Néanmoins, à côté de ça, il y a de bonnes idées, comme le personnage de Carla, qui s'éloigne rapidement du cliché qu'on lui pensait associé. Globalement, les défauts du récit sont assez facilement contrebalancés par ses qualités et le côté addictif de l'histoire. Car, au final, qu'est-ce qu'une bonne histoire ? Une dans laquelle l'on se trouve facilement immergé aux côtés des protagonistes, que ce soit par le biais du décor qui les entoure ou de leurs émotions. Ici, il n'y a pas de décor, mais les émotions sont là, omniprésentes, intenses, souvent plus étouffantes qu'agréables, malgré les répits offerts par l'aspect romance. La souffrance et les peurs d'Angelia sont palpables, crédibles, les difficultés de Zac à contrôler la colère sourde qui bout en lui également. Pour ces deux-là, affronter le quotidien est une épreuve, et quiconque a déjà vécu une expérience similaire n'aura aucun mal à les comprendre. Alors, tant pis si Angelia n'a vraiment, mais alors vraiment pas de bol ou que le passé de Zac semble trop gros pour être vrai : tout n'a pas besoin d'être crédible pour que le récit soit poignant et efficace. Car oui,
Take me away est une bonne histoire ; un tourbillon d'obscurité au bout duquel, dès le début, brille une lumière. Mais qu'Angelia et Zac n'atteindront pas facilement, loin de là.
Mentionnons enfin un dernier détail qui vient un peu plomber l'ambiance : les coquilles. C'est un fait, ces derniers temps, la qualité habituelle de l'éditeur s'est nettement relâchée. Dommage, surtout dans un grand format à 17€...