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Critique de vincentf


Tout et n'importe quoi ? Tout est n'importe quoi. le roman de Joyce incarne à merveille ce qu'est la littérature moderne. Il est d'abord une reprise, une réécriture, pas n'importe laquelle, celle de L'Odyssée, revisitée de mille manières, en lui ôtant toute (toute ? Non, sans doute en subsiste-t-il encore quelque chose, beaucoup même, comme il subsistait en Gaule au temps de Jules César un petit village...) portée épique, Eole devenant des papiers journalistiques volants, les marins transformés en cochons allant tout bêtement aux putes, et Pénélope se réappropriant sa plus fameuse rime dans l'époustouflant monologue final. La reprise joycienne n'est pas réservée au seul contenu, heureusement pour l'indigne lecteur que je suis et qui, avouons-le et remédions-y au plus vite, se rend compte de n'avoir pas vraiment lu L'Odyssée de bout en bout. Elle est aussi et surtout une reprise et une recréation stylistique. Tous les genres littéraires (tous ? quelques uns résistent sans doute encore et toujours à l'envahisseur) sont repris, tritouillés, réinventés. D'un chapitre à l'autre, brusquement, on passe d'une prose ampoulée au roman populaire, d'un théâtre de l'absurde avant la lettre à une liste de questions saugrenues, d'un roman à l'eau de rose à du vieux français (quel regret de ne pas pouvoir lire l'original! Quel handicap affligeant!) de vieux bouquins poussiéreux, d'un discours scientifique à un monologue intérieur dont on ne voit des exemples qu'après Joyce, qui se trouve, à force de reprendre tout ce qui a déjà été fait, à la source de tout ce qui se fera, le monologue de Molly Bloom se retrouvant par exemple presque plagié dans Belle du Seigneur. Coup de force supplémentaire de Joyce, cette impression qu'a le lecteur (j'espère ne pas être le seul dans ce cas) de lire des auteurs qui n'arrivent que bien plus tard. Un passage notamment ressemble à s'y méprendre à du Céline. Je soupçonne les traducteurs d'avoir fait le lien avant moi... Toute L'Odyssée, tous les styles (ceux d'avant et ceux d'après), ça ne suffisait pas à la créativité de Joyce, qui n'est pas sans me rappeler celle d'un autre immense auteur de langue anglaise, bien avant lui, l'inénarrable Laurence Sterne et sa palpitante Vie et opinions de Tristram Shandy. Il lui fallait en plus inventer des mots, créer du langage et insérer un peu partout les mêmes petits trucs : "Fou. Tu. Foutu", un peu partout, par exemple. Tout et n'importe quoi, disais-je. Tout est n'importe quoi, rajoutais-je. Il n'empêche qu'Ulysse est une grande épopée, celle de la langue et de la littérature, qui prend enfin sa revanche sur le monde, bouffe toute la place, réinvente tout, fait tout revivre à ses façons, refaçonne à l'infini, relit tout à la légère pour tout remettre à plat et stimule merveilleusement l'imagination encore si peu fertile des humains dont le langage bien trop souvent n'est qu'une monnaie foutue. Fou. Tu.
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