AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,8

sur 589 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Mon prof de philo m'avait dit à la fin d'un cours : « Ulysse de Joyce, ça se mérite ». Je n'ai jamais aimé cette notion de mérite, récompense de ceux qui ont bien transpiré, pour moi antinomique du plaisir de la lecture. Je m'y suis mis à vingt ans par esprit bravache, calant aux deux tiers, nauséeux sur certains passages extrêmement difficiles à lire, mais déjà fasciné par l'exercice de style (L'Odyssée d'Homère condensée sur une seule journée et racontée sur plus de mille pages) et les flamboyances époustouflantes de certains passages. Je m'y suis replongé calmement une quinzaine d'années plus tard, prenant mon temps, sautant des passages (merci monsieur Pennac pour ce conseil avisé), les relisant ultérieurement, les relisant encore (je conseille à haute voix !). Je n'ai pas hésité une seule seconde à utiliser des « décodeurs » intellectuels, à lire en parallèle des explications de textes, des résumés, des analyses de certains passages. Ce livre est devenu pour moi une brique indispensable à mon petit édifice personnel.
Alors, Ulysse, non cela ne se mérite pas mais tant mieux pour ceux qui sont rentrés dedans et y ont puisé des ressources personnelles et du plaisir. Cela dépend de chacun, de l'effort qu'on est prêt à y mettre, de son état d'esprit au moment de la lecture. Au même titre que beaucoup d'autres romans « cultes » (encore un mot bien réducteur), mais pas toujours faciles à lire, avouons-le, comme, sans être exhaustif, Belle du Seigneur et les monologues sans fin d'Ariane, Cent ans de solitude au style souvent abscons, les descriptions pointilleuses et névrotiques de la vie mode d'emploi, pour ne citer que des ouvrages que j'ai beaucoup aimé par ailleurs ! le monologue intérieur de Molly Bloom, Pénélope de cette épopée, point d'orgue final du roman, range indiscutablement Ulysse dans la même catégorie que ces oeuvres littéraires majeures.
Commenter  J’apprécie          13017
Livre-monde
Une seule journée (le 16 juin 1904, date à laquelle Joyce a sa première liaison amoureuse avec celle qui deviendra sa femme, Nora Barnacle) de Léopold Bloom et Stephen Dedalus déambulant dans Dublin où rien ne manque des rues, statues, pubs, parcs, squares, jardins, ponts. Après quelques chapitres plutôt limpides, dont je parcours toutes les notes avec enthousiasme, des pages toujours plus labyrinthiques (ah, le chapitre XI, Les sirènes, avec ses jeux de sonorités) me font passer par maint états, consulter Wikipédia (souvent) et autres commentaires (dont des critiques sur Babelio assez savoureuses) pour tenter de trouver un sens à des phrases vraiment absconses. Je découvre alors dans ce qui est une parodie de l'Odyssée, truffée entre autre de nombreuses allusions à Hamlet et aux nationalistes irlandais, que chaque chapitre est un point de vue différent, exprimé dans un style différent (18 en tout) où Joyce pastiche tous les genres et styles littéraires, se jouant des règles d'orthographe et de la syntaxe. Qu'explorant le flux de conscience et le monologue intérieur Joyce avait pour dessein de décrire la totalité d'une journée, la totalité d'une ville, et la totalité d'un homme ordinaire (tout l'art de Joyce étant de faire de quelque chose d'apparemment banal quelque chose qui devient captivant par la manière extravagante dont il le raconte).

Ça et une multitude d'informations utiles pour décrypter le propos de Joyce, dont il m'est arrivé de me demander sérieusement s'il avait écrit pour être lu et compris. Pourtant, j'ai pris un plaisir certain à aller au bout de ma lecture. Quelque chose quand j'en avais assez qui me poussait à persévérer, comme des fulgurances, une lumière brillante éclairant un chemin obscur : la poésie, la trivialité, l'érudition, l'humour et l'ironie (souvent féroces), la transgression, les mots valises, la musicalité du texte de ce diable de Joyce. Vous l'aurez compris une fichue écriture expérimentale qui m'a donné du mal. Un seul jour raconté sur quelque mille deux cents pages dont je suis ressortie fatiguée, rincée mais néanmoins heureuse, pleine et repue telle celle qui sait qu'elle vient de vivre une expérience unique (d'autant que je ne pas sûre de la retenter un jour).
Merci à Gwen qui n'a pas aimé, mais l'a dit avec tellement de talent que j'ai eu envie de découvrir ce monument quelque peu monstrueux et vertigineux qu'est Ulysse de James Joyce.
Commenter  J’apprécie          8817
Un chef d'oeuvre avant-gardiste, déconcertant, révolutionnaire.
L'histoire : les déambulations physiques et les pérégrinations mentales de Léopold Bloom à travers Dublin pendant une journée.
Le roman se compose de dix-huit épisodes dont les dix-huit titres que l'auteur ne voulait pas mettre au départ, représentent les personnages de la mythologie grecque que l'on retrouve dans l'Odyssée d'Homère et dont il fait allusion à travers les tribulations de Bloom.
Le roman de James Joyce est une cathédrale symphonique de mots. C'est une expérience intérieure mystique. La narration rappelle parfois celle du « Cantique des cantiques ». Il y a aussi de l' « Ubu roi » d'Alfred Jarry (1896), de l' « Alice au pays des merveilles » de Lewis Caroll (1865), dans cette monumentale histoire. le personnage principal, Léopold Bloom (Ulysse) fait penser à Ahasvérus, le juif errant de cette légende moyenâgeuse qui a inspiré bien des écrivains.
James Joyce cultive l'art du monologue intérieur. La phrase réduite parfois à sa plus simple expression de mot est magnifiée. Son texte donne l'impression d'être chanté plus que lu. le style changeant d'un épisode à un autre est déroutant. Il fait parfois penser à de l'écriture automatique. En fait, il s'agit plus d'une écriture au débit épileptique, saccadée car l'auteur a pris un soin méticuleux à construire son récit, l'enrichissant de citations latines, de références à l'histoire de son pays, l'Irlande, et aux personnages illustres qui l'ont écrite. Il fait aussi souvent référence aux auteurs illustres tels que Shakespeare, Byron et bien d'autres. L'oeuvre est imprégnée de son éducation jésuite.
Style décousu, écriture psychédélique, le roman de James Joyce contient les outils dont s'inspireront plus tard William S. Burroughs, « le festin nu » et sa technique du « cut-up », ou Jack Kerouac, « on the road » et beaucoup d'autres auteurs de la Beat Génération ou pas.
L'architecture novatrice du roman de James Joyce bouleverse l'académisme antique de ses contemporains. Il va même jusqu'à inventer son propre vocabulaire en collant les mots pour en former d'autres et rendre son texte pratiquement illisible.
La musicalité de la narration est un des éléments essentiels du texte de James Joyce. On y retrouve son goût immodéré pour l'opéra, Verdi, Mozart, dont l'auteur sera un spectateur assidu, jusqu'à acheter des places pour voir huit ou dix fois d'affilé la même représentation. Dans « Ulysse », on retrouve ce chant, cette construction lyrique.
Extrait : Les Lotophages, épisode V.
Tellement chaud. Sa main droite une fois encore plus doucement passa sur son front et ses cheveux. Puis il remit son chapeau, soulagé : et repris sa lecture : mélange premier choix, provenant des meilleurs variétés de Ceylan. L'extrême orient. Un chouette coin que ça doit être : jardin du monde, grandes feuilles paresseuses sur lesquelles dériver, cactus, prairies en fleurs, lianes-serpents qu'ils les appellent. Va savoir si c'est vraiment comme ça ? ces Cingalais lambinant au soleil, dolce far niente. Ne remuant pas le petit doigt de la journée. Dorment six mois sur douze. Trop torride pour chercher querelle. Influence du climat. Léthargie. Fleurs de l'oisiveté.
« Ulysse » de James Joyce fait partie des romans dont la lecture ardue décourage nombre de lecteurs et c'est bien compréhensible, à croire que c'est un fait exprès. Jacques Aubert, spécialiste de Joyce recommande (source France Culture) :
1. Ne pas commencer par le début
2. Ne pas voir "Ulysse" comme un roman qu'il FAUT avoir lu. Il s'agit non pas de lire pour terminer un livre, mais de lire pour "faire acte de lecture"
3. Ne pas chercher à élucider toutes les allusions. le lecteur d'Ulysse doit donner plus d'importance à l'énonciation qu'aux énoncés.
4. le lire en anglais... si possible !
5. Comparer ses échecs de lecture et leur trouver des points communs. Pour sortir de ce "face à face mortifère entre le lecteur et l'oeuvre", il suggérait que celui qui se trouve en échec devant Ulysse tente de discerner, par rapport à d'autres textes ayant eu le même effet sur lui, à chercher ce qu'il y a de commun et de différent entre ces échecs de lecture.
On ne rentre pas dans le roman de James Joyce comme dans une auberge. Il faut de l'humilité, de la réflexion et beaucoup de patience pour arriver à appréhender une fraction de la réflexion de l'auteur. Il a réécrit neuf fois son roman avant qu'il ne soit publié par la librairie parisienne « Shakespeare et compagnie » dirigée par Sylvia Beach, le 2 février 1922, jour de son anniversaire.
Autre date emblématique, le 16 juin 1904, l'auteur rencontre Nora Barnacle qui deviendra son épouse. L'action d'« Ulysse » se déroule le même jour. le Blooms Day en Irlande, a lieu à cette date commémorative, et donne lieu à un festival de lectures d'extraits de l'oeuvre de James Joyce, les participants habillés dans les costumes du début du XXe siècle.
La lecture de « Ulysse » de James Joyce frôle souvent le calvaire mais heureusement tous les épisodes ne se valent pas. Après certains passages infernaux, un rayon de soleil peut parfois illuminer l'obscurité du propos de l'auteur. le dernier épisode, « Pénélope » est certainement le plus savoureux. Néanmoins, le surréalisme de l'écrivain fait de son oeuvre une véritable expérience éprouvante de lecture.
Traduction et édition sous la direction de Jacques Aubert.
Traduction de Jacques Aubert, Pascal Bataillard, Michel Cusin, Sylvie Doizelet, Patrick Drevet, Stuart Gilbert, Bernard Hoepffner, Valery Larbaud, Auguste Morel, Tiphaine Samoyault et Marie-Danièle Vors.
Editions Gallimard, Folio, 1659 pages.
Commenter  J’apprécie          8316
C'est elle. Elle a commence par me flairer, incredule, sans rien dire. Puis est apparue l'inquietude, articulee en mots: "Fais semblant de vivre, et bientot tu vivras". Enfin une certaine colere, en cris: "Leve-toi et marche!".

Pour elle, j'ai reajuste mes lunettes sur mon nez. J'ai laisse de cote toutes les lectures que j'avais commence et pris en mains l'Ulysse de Joyce. Si deja, autant entreprendre une odyssee, ou au moins un long voyage, une longue marche dans les rues de Dublin. Avec elle aussi j'ai fait une longue marche, un long periple. Quelques passages eprouvants, en fait une bien belle balade. Une balade de vie. Je me souviens, comme Jeremie, de la grace de sa jeunesse, de l'amour de ses fiancailles. Je lui saurai toujours gre de m'avoir suivi au desert, dans une terre inculte. Pour elle, j'ai lu. Pour elle, j'ecris. Elle ne sait pas ce que j'ecris, mais elle respire: "ouf!"

Pourquoi Ulysse? Pour me mesurer a ma jeunesse? Imberbe, je me pavanais, aureole d'intellectualisme, devant mes amis: "C'est sublime!" Comment vais-je le trouver aujourd'hui?

C'est tres long. Et je me fatigue vite. Je me suis entete, mais ca m'a pris du temps. Beaucoup plus que prevu. Et je ne sais quoi ecrire. Que pour moi aussi c'est un grand chef d'oeuvre? OK. C'est dit. MAIS. Il est completement destructure. Il est chaotique. Il est bouffi de citations dont deux doctorats ne viendraient pas a bout et qui survolent la tete du lecteur normal sans presque jamais s'y poser. Il est deroutant, changeant de style a chaque chapitre. Et le plus recurrent: le flux de conscience, un monologue interieur qui peut paraitre sans queue ni tete, ou les mots apparaissent sans etre coordonnes en phrases, par unites, par paires, par petits groupes. Et ce flux s'entremele souvent de descriptions, de dialogues faits pour devoyer le lecteur, pour le fourvoyer. Ah! Il faut s'accrocher! MAIS. Il s'en degage un magnifique portrait de Dublin. Tout en amour. de quai en ruelle, de pub en estaminet. Et un brossage pointilleux d'une multitude de personnages, d'une multitude de caracteres. Un zoo humain. L'arche de Noe. Et un heros antiheros. Leopold Bloom. Un juif errant a Dublin! L'homme qui renait de ses cendres chaque fois qu'il est tue par le ridicule! Les epousailles reussies d'Orient et d'Occident! Et un deuxieme heros. Stephen Dedalus. La jeunesse, reveuse, desorientee, incomprise, incomprehensible. Et c'est quand meme l'espoir. Et une heroine. Molly Bloom. Molly, la diva. Bon ce n'est qu'une petite diva, une diva provinciale, mais ses seins ont de quoi rendre affame Bloom, ce juif mangeur de cochon, et de quoi monopoliser les pensees du lecteur.

Je suis fatigue. Ce livre est une prouesse. le lire a aussi ete une prouesse. J'en suis sorti avec la joie d'avoir reussi a atteindre un sommet. Ereinte mais heureux. Fourbu. Beat. Rompu. Exauce.

Et me voila en donneur de conseils: Tous, tous ceux qui ont appris l'alphabet, tous les debutants en lecture, devraient lire deux chapitres, le premier et le dernier. le premier est tout en dialogues d'un humour percutant. le dernier est une romantique declaration d'amour a faire chavirer les coeurs les plus endurcis. Les autres chapitres pourront faire le bonheur de lecteurs aguerris.

Et moi? Moi je suis fatigue. La lecture m'a fatigue. L'ecriture de ce billet aussi. J 'y ai mis beaucoup de temps. Je fatigue vite. Je me dandine. Mais c'est pour elle. Non, pour moi. Elle a raison, ca me fera du bien. Et c'est aussi une sorte de bouteille a la mer... quelqu'un la ramassera... un jour... un ami peut-etre...


Commenter  J’apprécie          7819
Ulysses
Traduction : Auguste Morel, revue par Valéry Larbaud, Stuart Gilbert et James Joyce

ISBN : 9782070400188

Bonnes gens qui me faites l'immense plaisir de me lire , n'attendez pas de moi que je vous analyse savamment, si ce n'est avec une pédanterie digne d'un intello ou d'un universitaire bavant devant ses diplômes , les rapports qui existent (ou existeraient) entre tel ou tel personnage du roman de l'Irlandais et tel ou tel héros de l'"Odyssée" d'Homère. (Déjà, je préfère l'"Iliade" à l'"Odyssée", alors ... ) Pour ceux qui nous feraient une crise si nous nous y refusions, tenons-nous en à la version qui voit en Stephen Dedalus, le "double" de l'auteur, au patronyme si évocateur, un avatar de Télémaque et, en Léopold Bloom, ... Qui, au fait ? Eh ! bien, s'il le fallait absolument, c'est Bloom que je verrais bien dans l'équivalence d'Ulysse. Eh ! oui, Bloom, grand, gros, carnivore amateur d'abats et pourtant âme bien plus tendre et plus sensible qu'il ne souhaite l'avouer, Bloom le Voyeur, Bloom l'Obsédé sexuel à tendance bi, désormais incapable de faire l'amour à sa femme, Molly, comme celle-ci le souhaite et qui, pourtant, malgré leurs nombreuses infidélités, à l'un comme à l'autre, continue à aimer profondément et sincèrement l'ex-Miss Tweedy, même s'il lui laisse faire parfois des passes pour mettre du beurre dans les épinards de la maison.

Quelqu'un me demandait un jour, me plongeant au passage dans une grande hilarité : "Pourriez-vous me résumer l'"Ulysse" de Joyce" ?" Non. Non. Je ne peux pas . Déjà que le résumé, ça n'a jamais été mon fort mais avec Bloom et Dedalus aux commandes, cela me deviendrait carrément impossible. J'ignore - et je veux continuer à ignorer - ce que Joyce a voulu mettre ici et enlever là, je m'en fous, voyez-vous, complètement : pour moi, et bien qu'elle soit rédigée dans une prose qui étonne souvent, blesse parfois et en choquera certainement plus d'un, même à notre époque,"Ulysse" est avant tout une poésie formidable, au sens hugolien du terme. Oui, un immense, un extraordinaire poème où l'on aimerait se perdre comme l'on se perdrait, une nuit de clair de lune, à la fois découragé et pourtant encore émerveillé de la Vie, dans les vagues trompeuses de l'Atlantique. J'ai mis beaucoup d'années à y voir ce que certains d'entre vous n'y distingueront jamais mais peut-être est-ce leurs visions qui sont les bonnes et non les miennes. Quant à ceux qui ne voient et n'entendent rien en "Ulysse", alors là, franchement, je suis triste pour eux, de la même tristesse que celle de Bloom quand il songe à son fils mort. Et je leur conseille de ne pas se lasser, de continuer encore et toujours : un jour, leurs yeux s'ouvriront et ils verront la Beauté indicible de ce livre foutraque et génial sans lequel, à mon modeste avis, un autre grand Irlandais, Samuel Beckett, n'eût jamais attendu Godot ... Oui, ils entendront l'accent de Dublin et celui, plus oxonien, de Stephen, avec toute cette haine du Père et, partant, de l'Autorité, qui l'habitera toujours. Ils percevront les brâmements volontairement excessifs de Bloom, chargés de dissimuler la discrétion véritable de cette nature dans le fond si fine, et ce coeur, qui ne sait trop où il va à défaut de refuser de fermer les yeux sur le lieu d'où il vient, les touchera par sa tendresse, son ironie, sa douceur et sa sagesse. Et, tout à la fin, car ce n'est là qu'elle se dévoile dans un flux de conscience qui vaut pour moi tous ceux imaginés par Virginia Woolf, ils percevront le pépiement musical de Molly, à la fois coléreux, las - oh ! si las ! ... - , résigné mais tout gonflé encore d'amour.

Dans "Ulysse", il y a des bagarres, des ivrognes, des malpolis, des blasphémateurs (ah ! Buck Mulligan, comment pourrait-on vous oublier, toi, ton blaireau et ton bol à raser ! ), des barjots, des filles de joie, une Dominatrice qui, finalement, n'est pas si méchante fille que ça, des hommes et des femmes qui cherchent leur sexualité et qui se cherchent aussi, plus simplement (ou de manière beaucoup plus complexe, hélas pour eux qui, aveugles, ne s'en rendent pas compte ! ), des gamins de Dublin qui ont vu ce qu'il ne fallait pas qu'ils vissent, Dublin elle-même, omniprésente, omnipotente, envahissante, avec ses deux visages, celui qui fixe le soleil irlandais derrière ses brumes nostalgiques et celui qu'elle ne réserve qu'à ces Noctambules qui, dans une très longue scène qui préfigure le théâtre de Beckett, viennent livrer au lecteur (enfin, c'est l'impression que ça m'a toujours fait ) comme leur vision personnelle de "Cabaret."

Dans "Ulysse", rien n'est en ordre (sauf les comptes de Bloom, peut-être ), les Orangistes énervent les Catholiques et il y en a un - ma foi oui, je le crois orangiste - qui s'en prend même à Bloom, lui reprochant les origines juives de son père, lequel s'est converti mais ... au catholicisme . Alors là, Bloom se met en colère, et il rappelle à l'ignare malappris que le Christ était juif. En vain, bien sûr mais cela fait tellement de bien de le lire, de voir la sottise foulée aux pieds ... Oui, tout est fou ou semble l'être à l'un ou l'autre moment dans "Ulysse" et même si Bloom, comme d'ailleurs Dedalus, ne s'embringue guère dans les histoires de nationalisme, tous deux nous évoquent une Celtie qui jamais ne mourra. Tous deux adeptes du Crépuscule et de la Solitude qui font réfléchir, se révolter et choisir parfois de passer de vie à trépas ou du trépas à la vie, ils sont, l'un si froid et aussi raide qu'un parapluie, avec quelque chose de taiseux qui, parfois, explose en une éblouissante chandelle de haine et de mépris, l'autre si rond et si amoureux de l'analyse, quelle qu'elle soit, qui passe ses jours et ses nuits à dissimuler sous une faiblesse qui n'a de la fragilité que l'apparence sa nature foncière de pilier, ils sont l'Emotion, la Révolte, le Chagrin, l'Oubli qu'on ne peut pas oublier, cette Mélancolie infinie qui, entre deux verres d'alcool, reste chevillée à la carapace de tout Celte qui se souvient de ses ancêtres et des steppes lointaines et nues ...

A mes yeux, tous deux sont un hommage, inconscient peut-être, de Joyce bien plus à la nature de l'Irlande qu'à la Grèce antique, si grande qu'ait été cette dernière. Avec ces deux-là, tout tourne autour de l'Amour mais aussi de la Tristesse éternelle et des chants des banshees, de l'Autorité qu'on respecte ou qu'on dupe, et enfin de la Complexité sans bornes des rapports humains (sentimentaux, sexuels, filiaux, paternels, maternels, amicaux, haineux ...) Et pourtant, avec ça, ils trouvent la force de sourire, de rire, de se moquer, y compris d'eux-mêmes, cette puissance terrible de l'auto-dérision qui marque certains peuples plus que d'autres. Même devant le Mal, même devant la Mort la plus horrible, il faut savoir rire. Une dernière fois sans doute mais avec fierté, avec panache : c'est ainsi que, en dépit de la douleur et du chagrin, l'on demeure invaincu à jamais et à jamais supérieur à ses ennemis.

Comme tout livre inspiré par le Génie, l'"Ulysse" de Joyce est une leçon de Vie et de Mort. Irrespectueuse (souvent), cynique (encore plus souvent), grotesque (d'ailleurs, sous sa défroque hilare, le clown du cirque n'est-il pas en fait aussi inquiétant que les malheurs qu'il nous faut affronter au quotidien ? ), glauque et ambiguë (Bello-Bella la Dominatrice autant que Molly qui, elle, se laisse dominer pour dominer en paix) mais aussi pleine de beautés aussi variées que les souvenirs poétiques des uns et des autres, toute la verdure d'Erin au printemps, la tendresse lasse et pourtant toujours présente de Molly, les courses effrénées de Bloom, toujours à la recherche d'une pièce pour pouvoir lui offrir ce qu'elle aime, la retenue si particulière de Stephen que Bloom, on en jurerait volontiers, rêverait presque de voir prendre la chambre du haut, chez lui, formant ainsi une espèce de "ménage-à-trois" où Stephen serait à la fois l'amant et le fils perdu de Molly, la consolant peut-être ainsi un peu de ...

Peut-être. ;o)

Parce que, avec "Ulysse", vous pouvez extrapoler et rêver à L Infini. Il suffit tout simplement d'attendre votre heure pour saisir ce flux dont parlait en son temps le Grand Will, et vous laisser guider, lentement, sûrement, avec douceur, au-delà des cris et de la vulgarité que Joyce a semés en chemin pour que tout le monde n'ait pas un accès trop facile à son Jardin Secret (comme tout jardin du même type, "Ulysse" se mérite ), dans la chaude poésie d'un roman apparemment aussi incompréhensible que le "Jabberwocky" de Carroll mais qui, si vous avez la courtoisie de l'en prier, vous découvrira un jour - en tous cas, je l'espère très sincèrement pour vous - une beauté aussi pure et aussi noble que le plus énigmatique des camées. ;o)
Commenter  J’apprécie          261
ULYSSE de JAMES JOYCE
C'est une véritable aventure que de lire ce monument: 1200 pages, plus de 300 pages de notes, c'est un univers difficilement racontable. Roman qui se passe à Dublin le 16 juin 1904 et qui fait intervenir Leopold Bloom et Stephen Dedalus principalement. 18 chapitres nommés d'après
l'odyssée. Les références à l'odyssée sont loin d'être évidentes et à moins d'être particulièrement érudit dans ce domaine, il faut un bon guide pour en trouver les traces.
C'est un roman qui fait référence à tant de disciplines qu'il ait vain, selon moi, de lire les notes en même temps qu'on lit le roman. J'ai suivi les conseils du principal traducteur qui est de lire un peu au hasard les chapitres et peu à la fois. Plus de 2 mois de lecture, des moments d'incompréhension, des moments jubilatoires, c'est une aventure étonnante et savante. Joyce utilise toutes les technique littéraires, c'est un érudit hors norme, il s'amuse avec des mots valise, des chapitres sans ponctuation, il invente des mots, truffe sa prose de citations dans toutes les langues, bref il a du bien s'amuser. A noter que ce roman a commencé à paraître sous forme de feuilleton dans un journal. Un pavé à garder près de soi et à déguster de temps en temps.
Commenter  J’apprécie          180
Je l'avais déjà lu, avec beaucoup de difficultés, au début des années 80, pendant un été. J'en avais gardé l'impression d'un torrent de textes hétéroclites, qui ne faisaient alors pas grand sens. J'ai tenté (et réussi) à nouveau l'aventure, dans cette traduction récente sortie en folio, accompagnée de nombreuses notes et commentaires. L'expérience était censée être facilitée par un système de renvoi vers les notes, plus simple sur liseuse. En effet, ça l'était. Pourtant il m'a fallu près de quinze jours pour terminer le voyage. La multiplicité des styles, des inventions m'a tout de même surpris à nouveau. Même avec l'aide des notes les références sont parfois tellement cryptiques que certaines me sont demeurées hermétiques. Je ne peux pas dire que j'ai eu beaucoup de plaisir pendant cette lecture, mais ce tour de force littéraire est quand même assez fascinant et j'ai pu mieux me rendre compte de sa grandeur. Si Dieu me prête vie, je retenterai peut être l'expérience dans trente ans, mais probablement pas avant ! Mais je comprends qu'on puisse se toquer de ce texte et passer son temps à vouloir en faire l'exégèse.
Commenter  J’apprécie          184
Ma troisième tentative a été la bonne, je suis parvenu à dépasser la page 100 de Ulysse. J'ai employé une méthode sérieuse qui consistait à m'obliger à lire 10 pages par jour. le jeu en vaut la chandelle !
La lecture de ce « roman » est en effet exigeante. Les monologues intérieurs sont souvent incompréhensibles, ils juxtaposent des faits ou des sensations, sans transition mais ils font ressortir des impressions, des critiques, des faits historiques, des lieux très intéressants. L'érudition de JJ est vaste.
La dernière partie du livre, le monologue de Molly, la femme de Bloom, sans ponctuation est saisissant de liberté, tant sur la forme que sur le fond. On est en prise avec la conscience d'une femme de 35 ans, qui se remémore sa jeunesse, ses expériences sexuelles, évoquant au passage la douleur de la période des règles, ou le calibre de certains de ses partenaires. Il n'est pas étonnant que le livre ait choqué et ait été interdit longtemps aux Etats-Unis.
Ce livre, par sa profondeur, son originalité, son érudition mérite bien le titre de « chef d'oeuvre » dans la mesure où après l'avoir terminé, on a envie de le relire pour mieux le comprendre.
Commenter  J’apprécie          172
Il est des oeuvres qui ne laissent personne indifférent. Dans la quasi totalité des cas, j'aime ces oeuvres - même s'il me faut du temps pour me l'avouer. « Ulysse » est de ces oeuvres.

Quand j'ai achevé ce pavé, j'étais sceptique. Je reconnaissais l'imagination monstrueuse de Joyce, son génie du symbolisme et son inventivité stylistique, mais les flux de conscience incompréhensibles me rebutaient. Je l'avais noté 3,5.

À présent, je peux aisément affirmer qu'il s'agit d'un de mes romans préférés. En effet, il incarne tout ce que j'aime en littérature, et dans l'art en général : l'ambition. L'audace. Bouleverser les attentes, prendre des risques, évoluer. Demandez-moi de choisir entre lire 10 fois « Ulysse » (1500 pages quand même), et lire 1 fois un quelconque roman de gare, bestseller contemporain, je vous répondrais « Ulysse ». Car on n'a jamais épuisé la richesse de ce roman. Car, on adore ou on déteste, mais on s'en souvient. Contrairement à l'écrasante majorité des romans qui « marchent » de nos jours.
Commenter  J’apprécie          152
Je ne peux cacher ma perplexité à la lecture des premières pages de l'un des plus grands romans du XXe siècle. Car tout est fait pour déstabiliser le lecteur trop passif. L'écriture de Joyce nous pousse à l'action, chaque lecteur, en effet, peut jouer sur les multiples possibilités de sens de l'histoire. L'incertitude se construit sur la polysémie des mots choisis et la volonté de ne pas clore les différents épisodes du roman. Comme si nous ne gardions du parcours "Ulysse" que la lancée, la vitesse, plutôt que le trajet en lui-même.
Si ce roman a tant marqué l'histoire de la littérature, c'est qu'il est une sorte de grand exercice de style de tout ce que la littérature occidentale avait produit de plus remarquable depuis ses origines homériennes. Les grandes épopées antiques sont bien évidemment présentes, accompagnées des récits bibliques, des romans médiévaux de chevalerie, des essais théologiques puis scientifiques, des récits du grand Rabelais, des pensées nietzschéennes, de l'ironie gogolienne et enfin des splendeurs flaubertiennes. Mais Joyce n'est pas qu'un styliste, il est aussi un grand compositeur. Car cette volonté de déconstruction (syntaxique et lexicale) se double d'une reconstruction. Chaque partie, assez dissemblables les unes des autres, donne corps à un édifice magistral et inoubliable.
Commenter  J’apprécie          130




Lecteurs (2604) Voir plus



Quiz Voir plus

Les Chefs-d'oeuvre de la littérature

Quel écrivain est l'auteur de Madame Bovary ?

Honoré de Balzac
Stendhal
Gustave Flaubert
Guy de Maupassant

8 questions
11096 lecteurs ont répondu
Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur ce livre

{* *}