Il n’y a pas de saut dans le vide…
Il n’y a pas de saut dans le vide.
Même si les anges n’existent pas pour nous soutenir
ni non plus des traverses de la pensée,
ni des relativisations ou des absolus
qui puissent nous retenir par les bras.
Il faut par avance gagner le vide,
le coloniser avec nos abandons
comme s’il était un territoire dépouillé
ou une nouvelle liberté jamais exercée.
Et cultiver à l’intérieur ses fragments flottants
qui s’entremêlent aux choses
pour leur apprendre à ne pas être.
Et presque sans le savoir
arriver à aimer le vide.
Ce qui est aimé nous soutient,
même si cela nous pousse vers l’abîme.
Un vide aimé
ne peut pas nous abandonner.
Et dans un vide non aimé
il n’est même pas possible de sauter.
//Traduction: Silvia Baron Supervielle
Appeler où il n’y a personne…
Appeler où il n’y a personne
c’est comme s’appeler soi-même
ou sa part la plus farouche :
l’ombre de son absence.
Et l’appeler là où elle rejoint
l’ombre de toutes les absences.
C’est pourquoi, il est probable
que frapper où il n’y a personne
se transforme en appeler une présence.
Et convoquer une présence
nous mène toujours à rencontrer une absence.
Alors, même si j’en souffre,
il vaut mieux que tu ne sois pas là quand je t’appelle.
Ou si tu l’es, que tu t’éloignes,
pour tenter la rencontre dans l’absence.
//Traduction: Silvia Baron Supervielle
Il n’y a pas d’explication pour l’ombre…
Il n’y a pas d’explication pour l’ombre.
Il n’y en a pas non plus pour la lumière.
Seules certaines choses intermédiaires s’expliquent :
les poisons déversés ou avalés,
l’entre-deux avec lequel nous lions les choses,
la panne soudaine d’un visage,
le pouls sec du passé,
l’asymétrie de se penser.
La vitesse ne donne pas un sens,
la lenteur non plus.
Chaque monde est une image,
bloqué par son idée.
//Traduction: Silvia Baron Supervielle
L’impossibilité de vivre…
L’impossibilité de vivre
se glisse en nous au début
comme un caillou dans la chaussure :
on le retire et on l’oublie.
Ensuite arrive une pierre plus grande
qui n’est plus déjà dans la chaussure :
le premier ou le dernier malentendu
se mêle à l’amour ou au doute.
Viennent après d’autres échecs :
la perte d’un mot,
la sauvage irruption d’une douleur,
une mort sur le chemin,
la chute d’une feuille sur notre solitude,
la vieillesse qui s’annonce
comme un soir écorché par la pluie.
Nous émergeons de tout
avec un tremblement qui dissout la confiance.
La lune pâlit,
nous commençons à nous méfier du soleil.
Et un jour quelconque,
dans la prairie ou le ciment,
dans la dissonance qui brise une chanson
ou une rotation inattendue au lit,
quelque chose nous blesse comme un fouet:
vivre c’est dévivre.
La promesse est rompue.
Qui a fait la promesse ?
Et qui peut la croire ?
Nous ne le saurons plus.
La promesse était autre.
Vivre est impossible.
Mais à l’intérieur du vivre il y a autre chose
que nous ne comprendrons jamais
et qui pourtant saute et joue
comme un dieu étonné
qui ne s’accordera jamais
avec les scandales successifs
de vivre sans vivre
et de mourir sans vivre.
//Traduction: Silvia Baron Supervielle
D’un abîme à un autre abîme…
D’un abîme à un autre abîme.
Ainsi avons-nous vécu.
Et lorsque c’était le tour de l’interlude
d’une zone de l’air,
où il est facile de respirer et de se soutenir,
nos regrettions sans vouloir l’abîme
qui nous nourrissait du rien.
Du fond de l’être gravit un sortilège
pour demander, lorsque la mort arrive,
que tout soit un abîme, non une autre direction.
Il nous y poussera peut-être des ailes.
A l’intérieur d’un abîme en est toujours un autre.
Et à défaut de différence il y aura distance.
Il ne nous reste qu’à trouver et à être
la distance à l’intérieur de l’abîme.
//Traduction : Silvia Baron Supervielle
Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?