C'est avec ce titre bien alléchant que je renoue avec la série « officielle » des Lucky Luke, pratiquement abandonnée en ce qui me concerne depuis l'âge des culottes courtes et des colts en plastique glissés sous la ceinture, excepté une incursion récente en tant que chroniqueur sur le territoire de
Matthieu Bonhomme. Et, pour faire bonne mesure, j'ai donc achdé d'un seul coup les 3 derniers tomes, histoire de rattraper mon retard.
Même si, compte tenu de l'exercice, on n'échappe pas aux clichés, ceux-ci restent de bon aloi, et il faut admettre que cet album est une totale réussite ! Attention, ce qui va suivre n'est pas exempt de spoilers.
Bien entendu, dès qu'il s'agit de raconter une histoire sur
Paris avec un point de vue américain, c'est un peu comme dans les Aristochats. Les clichés abondent, et la Tour Eiffel – qui voit le jour entre 1887 et 1889 – est nécessairement un passage obligé (page 46). le scénario situe l'aventure en 1876, date de l'exposition du bras de la statue à Philadelphie et la poursuit jusqu'en 1886, date de l'inauguration à New-York. Cette chronologie n'est pas incompatible avec la carrière de Lucky Luke qui rencontre la plupart des personnages réels du Far-West sévissant dans les années 1880.
Mais cette fois, et c'est bien l'originalité de cet album, les nouveaux personnages, principaux et secondaires, sont plus français les uns que les autres : Auguste Bartholdi,
Gustave Eiffel,
Victor Hugo, Charles et Emma Bovary,
Verlaine et
Rimbaud…Ces personnages, même s'ils font parfois de la figuration, sont utilisés à bon escient : les Bovary habitent la Normandie, Hugo a visité les ateliers Gaget-Gauthier rue de Chazelles,
Rimbaud a effectivement la gâchette facile, Eiffel a travaillé pour Bartholdi et a réalisé l'armature métallique de la statue.
D'autres clins d'oeil fourmillent, faisant plutôt référence à l'époque actuelle : les fouilles en règle à l'entrée des bâtiments ont un relent d'état d'urgence, les cheminots grévistes de la ligne Rouen-
Paris revendiquent la semaine des 50 heures, les pavés de la Sorbonne trouveront leur utilité un jour… Je ne donne que quelques exemples, beaucoup d'autres clins d'oeil sont à découvrir.
Paris n'échappe pas à la critique : les garçons de café excessivement impolis et agressifs, n'aiment pas les touristes (pages 33 et 34), les rues sont sales (page 42), mais, on le sait bien,
Paris regorge aussi de beaux monuments que l'on peut à l'envi montrer dans le décor : l'Opéra (page 32), Notre-Dame (pages 32 et 33), l'Arc de triomphe (page 35). C'est un peu répétitif mais ça fait plaisir. On ne sera pas surpris de constater que même
Anne Hidalgo a fait de la pub pour cet album sur sa page Facebook.
Ceci étant dit, l'album repose sur un vrai scénario écrit, bâti comme un road movie qui s'autorise à dépasser les frontières de l'Ouest américain, avec son lot de gentils et de méchants, justifiant une fois de plus la présence d'un Lucky Luke appelé à la rescousse pour accompagner les protagonistes et assurer la sécurité du voyage.
Le scénariste Jul s'en donne à coeur joie, on connait son penchant pour les transpositions hilarantes qui lui permettent d'égratigner et de dénoncer les travers de nos contemporains depuis les époques révolues qu'il dépeint dans ses bédés.
Le dessinateur
Achdé fait du Morris comme jamais, respectant avec talent et hommage le style, la façon de caricaturer les personnages célèbres et la colorisation si particulière du créateur de la série (les fameux aplats monochromes, voir par exemple la scène de saloon page 17). On s'y tromperait.
Vous l'avez compris, cet album m'a conquis. Nul besoin d'être un fan de Lucky Luke ou d'être un
Parisien (ou les deux à la fois) pour apprécier. Pour tous les amateurs de bédés, cet album est incontournable.