[2 mai 1989]
Dans -Ecriture-, m'a t-on fait remarquer, il y a -cri-, et je sais depuis longtemps que l'art naît le plus souvent d'un manque, d'une nostalgie, d'une blessure, d'une inguérissable souffrance. Avant, lorsqu'il me fallait révéler que j'écrivais, c'était pour moi comme faire l'aveu que j'avais des difficultés à vivre, et c'est pourquoi j'avais honte de dire que l'écriture était au coeur de ma vie. (p.38-39)
7 février. Annecy
Nicolas Bouvier (...) auteur du remarquable l'usage du monde (...) Il avait enregistré en quelque coin perdu d'Europe centrale des chants gitans qu'il voulait nous faire écouter. (...) Au restaurant il nous raconte qu'un jour il est convoqué au Centre des impôts. On s'étonne qu'il gagne si peu et que ses rentrées d'argent n'aient aucune régularité. Il explique à un inspecteur qu'il voyage, qu'il aime découvrir de nouveaux pays et s'arrêter là où ça lui chante "Vous me faites rêver lui répond cet homme"
L'année suivante même convocation. Il demande à s'adresser au même inspecteur
" Vous ne savez pas ? L'année dernière, après votre passage, il a tout quitté. Ce que vous lui avez raconté l'a poussé à lâcher les amarres...
7 mars Castres (...) P225
La soirée s'est poursuivie au restaurant. Pharmacien-biologiste, mon voisin rentrait d'un second séjour au Yémen. Il a compris là-bas que l'homme occidental a tué ses émotions.
Dans ce pays le rapport humain est primordial. On vit constamment avec les autres. En leur parlant. Pourtant les mots ne comptent pas, on ne leur accorde pas d'importance. On peut dire les pires injures à quelqu'un et il sourit. Mais une certaine manière de dire peut être prise comme une insulte, et l'homme est capable de sortir son poignard.
Il marchait un jour sur un étroit sentier de montagne. D'un côté la paroi, de l'autre le vide. En face arrive un vieil homme, la mitraillette en bandouillière. Pour se croiser, il faut que l'un recule ou s'efface. Problème de préséance.
"Où vas-tu en marchant si vite ?" Le Français explique qu'il ne marchait pas si vite. Un long dialogue s'engage. L'homme finit par céder le passage.
Allah a crée des riches et des pauvres, mais on ne fait pas dépendre la valeur d'homme de sa situation sociale.
Ils vivent pleinement le présent et ne craignent pas la mort .
Un culture ou le temps ne compte pas, où tout est à l'opposé du nôtre, où le rapport humain est préféré à tout. Il me cite plusieurs exemples de leur étonnement face aux comportements des occidentaux, toujours emprunts de hâte, d'agressivité, de volonté de domination. Leurs commentaires sur les touristes qu'ils voient comme des enfants excités.
Mon voisin était membre d'une organisation humanitaire qui leur apportait des médicaments. Aucun remerciement, aucune manifestation de reconnaissance.
"Faut-il que vous nous méprisiez pour que vous nous donniez tout cela sans chercher à nous connaître"
Le don doit avant toute chose servir à tisser un rapport d'amitié
17 janvier 1992. Annecy
(...)
Au restaurant, il nous a parlé d'un fait que Nicolas Bouvier a consigné dans son Journal des Iles d'Aran et autres lieux. Dans ces îles, les femmes tricotent pour leurs frères ou leurs maris pêcheurs des pull-overs qui ont tous des motifs différents. Lacarrière leur en a demandé la raison :
- Les crabes ne mangent pas la laine. Quand il se produit un naufrage, les pull-overs permettent d'identifier les corps.
10 mars 1989
J'ai connu la souffrance d'être opaque à moi-même et de ne rien pouvoir dire de ce qui me brûlait. C'est pourquoi je la perçois en vous qui êtes coupée de votre réalité interne. Votre regard me dit cette douleur qui ne cesse de vous accompagner. Mais alors que je voudrais trouver les mots qui pourraient vous aider à pénétrer en vous-même, à découvrir qui vous êtes, ce que vous pensez, désirez, ce en quoi vous croyez, l'émotion qui me vient de vous me scelle les lèvres.
Avec Marc Alexandre Oho Bambe, Nassuf Djailani, Olivier Adam, Bruno Doucey, Laura Lutard, Katerina Apostolopoulou, Sofía Karámpali Farhat & Murielle Szac
Accompagnés de Caroline Benz au piano
Prononcez le mot Frontières et vous aurez aussitôt deux types de représentations à l'esprit. La première renvoie à l'image des postes de douane, des bornes, des murs, des barbelés, des lignes de séparation entre États que l'on traverse parfois au risque de sa vie. L'autre nous entraîne dans la géographie symbolique de l'existence humaine : frontières entre les vivants et les morts, entre réel et imaginaire, entre soi et l'autre, sans oublier ces seuils que l'on franchit jusqu'à son dernier souffle. La poésie n'est pas étrangère à tout cela. Qu'elle naisse des conflits frontaliers, en Ukraine ou ailleurs, ou explore les confins de l'âme humaine, elle sait tenir ensemble ce qui divise. Géopolitique et géopoétique se mêlent dans cette anthologie où cent douze poètes, hommes et femmes en équilibre sur la ligne de partage des nombres, franchissent les frontières leurs papiers à la main.
112 poètes parmi lesquels :
Chawki Abdelamir, Olivier Adam, Maram al-Masri, Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Nawel Ben Kraïem, Tanella Boni, Katia Bouchoueva, Giorgio Caproni, Marianne Catzaras, Roja Chamankar, Mah Chong-gi, Laetitia Cuvelier, Louis-Philippe Dalembert, Najwan Darwish, Flora Aurima Devatine, Estelle Dumortier, Mireille Fargier-Caruso, Sabine Huynh, Imasango, Charles Juliet, Sofía Karámpali Farhat, Aurélia Lassaque, Bernard Lavilliers, Perrine le Querrec, Laura Lutard, Yvon le Men, Jidi Majia, Anna Malihon, Hala Mohammad, James Noël, Marc Alexandre Oho Bambe, Marie Pavlenko, Paola Pigani, Florentine Rey, Yannis Ritsos, Sapho, Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Fabienne Swiatly, Murielle Szac, Laura Tirandaz, André Velter, Anne Waldman, Eom Won-tae, Lubov Yakymtchouk, Ella Yevtouchenko…
« Suis-je vraiment immortelle, le soleil s'en soucie-t-il, lorsque tu partiras me rendras-tu les mots ? Ne te dérobe pas, ne me fais pas croire que tu ne partiras pas : dans l'histoire tu pars, et l'histoire est sans pitié. »
Circé – Poèmes d'argile , par Margaret Atwood
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