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Critique de colimasson


A propos de Jung, Lacan écrivit : « Jung disait la vérité. C'était même son tort – il ne disait que ça. » Au début, je ne comprenais pas. Allez donc, ne sommes-nous pas tous lancés à la recherche de cette foutue vérité qui ne ressemble à rien, n'est-ce pas pour cela que nous venons nous ébattre dans les eaux fangeuses de la culture, voire, pour les plus naïfs d'entre nous, du grand savouère ? Allons donc, me disais-je, me comprenant à demi-mot. C'est en parcourant cet ouvrage, récemment (2018) traduit en français, que je commençai à comprendre ce que pouvait être un mec qui en sait un peu trop sur la vérité (la trop-toute).


Que contiennent les 1357 pages de cet illustre ouvrage ?
Entre 1930 et 1934, Jung tint une série de conférences devant son parterre d'admirateurs – bien souvent d'anciens analysants devenus analystes ou des analysants du moment – en se donnant pour but d'étudier les visions d'une ancienne patiente, Christiana Morgan. Jung s'était livré avec elle à un jeu semi-érotique : le jeu de l'imagination créatrice. Il s'agit de récolter le max possible de rêves, visions, intuitions et autres petites choses de la pensée pour les amplifier par l'interprétation symbolique, l'expression artistique et la mise en récit. On s'amuse en quelque sorte à créer son mythe personnel en repérant les visions fantasques dont on attribue le surgissement au jeu de l'inconscient. Jung se sert de tout ce petit travail pour initier devant ses fans une réflexion sur l'individuation et ses manifestations psychologiques. le fil conducteur est le suivant : que peut-on savoir du chemin d'individuation de la patiente en analysant le travail de son imagination créatrice ?


Le plus d'un millier des foutues pages qui constituent ce livre constitue une retranscription de cette série de conférences, réalisée par une auditrice, et révisée par Jung. Après la révision, il annonça : ne publiez pas ça. Mais pourquoi donc ? Certes, le ton qu'il adopte ici est bien éloigné de l'approche prudente et sage qui est la sienne dans ses ouvrages officiels, mais n'est-ce pas cocasse justement de le voir s'orner d'un entonnoir sur la tête ? Parfois, c'est un peu n'importe quoi. Pas tout le temps, non ! La plupart du temps, c'est même très bien. Mais de temps en temps, comme un point de ponctuation mal gaulé, l'édifice vacille. Jung laisse libre cours à sa fantaisie, à l'improvisation et au rafistolage qu'impose la nécessité de discourir dans une langue qui n'est pas la sienne (l'anglais). L'envie de se faire comprendre de tous l'oblige également à en rajouter une double couche de ce qui ressemble parfois (mais pas toujours) à de la connerie. Pire encore, le besoin de faire rire dans la salle avec des histoires beaucoup plus longues qu'elles ne sont drôles. On parlait de Lacan, mais parlons-en encore, lui qui disait que l'errance c'était justement ça : devoir se faire comprendre par des cons.


D'une certaine façon, avec son public hébété, Jung se livre au processus de l'amplification tel qu'il nous en bassine dans ses livres. Prenez une chose banale et parlez-en jusqu'à ce que, au moment où vous croyez ne plus pouvoir rien en dire, vous basculiez dans le plus grand délire. Il se peut qu'une demi-heure s'écoule ainsi, à traiter du symbolisme du taureau cambré, en déclinant toutes les occurrences dans les différentes civilisations, à différentes périodes, dans différentes oeuvres, en fonction de la race du taureau et de la couleur de ses yeux. Mortellement emmerdant mais, comme nous le rappelle une des brillantes préfacières de cet ouvrage, à cette époque le « savoir » était une chose rare et la vérité coûtait beaucoup plus cher qu'aujourd'hui. Les auditeurs de Jung venaient s'abreuver à lui comme à une source vive de savoir, lui posant mille petites questions stupides et absorbant toutes les réponses sans le moindre esprit critique.


Pas étonnant qu'à l'heure où nous découvrons cette retranscription, Jung finisse par nous sortir par les trous de balle. Ça nous emmerde bien de lire sur cinq pages la signification symbolique du soleil levant, et tout ce genre de petites choses. On a l'impression que ce n'est pas extraordinaire et on ne sait pas autour de quel pot on tourne. C'est de la psychanalyse, ça ? On sait bien que non, mais je veux dire : est-ce au moins de la psychologie ? On a parfois l'impression que Jung profite de son statut de maître du savoir pour engourdir la cervelle de ses potes dans une compote de pommes pourries. On le surprend parfois à poser des petites devinettes à ses spectateurs qui s'empressent de lever le doigt pour prendre la parole avant de se faire remballer parce que forcément, ils n'avaient pas la bonne réponse, c'est-à-dire pas celle à laquelle pensait Jung. Pour l'individuation de Christiana Morgan, c'est la même chose. Jung pense savoir ce qu'elle devrait être, comment elle devrait se dérouler, et où elle devrait aller. Il n'hésite pas à critiquer certaines de ses visions lorsqu'elles ne respectent pas le joli et puissant symbolisme de la croissance psychologique. On observe au passage la plus totale possession de Jung par ce qu'il appelle de ses propres mots « l'anima ». Pas inintéressant.


Mais cessons là avant que 1357 pages supplémentaires sur le sujet ne voient le jour. Ce séminaire mérite le détour pour observer le discours spontané de Jung. Non pas le discours mesuré qui est le sien dans ses ouvrages mais le discours vivant qu'il administre à ses apôtres en guise de succédané de vérité. Pas inintéressant, je vous l'ai dit.
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