On me permettra d’introduire ici une remarque personnelle. Ce fut pour moi, protestant, une véritable révélation que de lire les paroles de l’Offertoire pour la première fois : « Deus, qui humanae substantiae dignitatem mirabiliter condidisti » (Ô Dieu, toi qui as créé merveilleusement la dignité de l’humaine substance) et « qui humanitatis nostrae fieri dignatus est particeps » (qui daigna partager notre humaine conditions). Cette appréciation – pour ainsi dire transcendantale – de l’homme semble receler encore davantage : si Dieu lui-même daigna (dignatus est) partager la nature humaine, alors l’homme peut s’estimer digne de participer à la nature divine. En un certain cens, c’est bien ce que fait le prêtre en accomplissant le mystère du sacrifice, lorsqu’il s’offre lui-même comme victime à la place du Christ, et la communauté fait de même quand elle mange le corps consacré et, ainsi, participe à la substance de la divinité.
En prononçant les parles de la consécration, le prêtre détermine la transsubstantiation et libère, par-là, les créatures que sont le pain et le vin de leur état d’éléments imparfaits. Cette conception n’est absolument pas chrétienne ; elle est alchimique. Alors que le catholique souligne la présence efficace du Christ, l’alchimiste s’intéresse au destin et à la rédemption manifeste des substances ; car l’âme divine est captive en elles et attend la rédemption qui lui est octroyée au moment de la libération. Elle apparaît alors sous la forme du « fils de Dieu ». Pour l’alchimiste, ce n’est pas l’homme qui a, en premier lieu, besoin de rédemption, mais la divinité qui est perdue et sommeille dans la matière. Ce n’est qu’en second lieu qu’il espère que la substance transformée lui sera profitable, sous la forme de la medicina catholica (remède universel), à lui comme aux corpora imperfecta (corps imparfaits), comme par exemple les métaux vils, « malades », etc
Il ne vise donc pas à sa propre rédemption par la grâce de Dieu, mais à la libération de Dieu de l’obscurité de la matière.
En s'appliquant à cet œuvre miraculeux, il bénéficie de son action salutaire, mais secondairement. Il peut aborder l’œuvre en souffrant du besoin de rédemption, mais il sait que sa rédemption dépend du succès de son œuvre, c'est-à-dire de la libération, par ses soins, de l'âme divine. Dans ce but, il a besoin de la méditation, du jeûne et de la prière ; de plus, il a besoin de l'aide du Saint-Esprit comme πάρεδροζ.
Ce n'est pas l'homme qui doit être racheté, mais la matière. (pp. 400-402)
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