C’est décidé. Après une semaine de confinement sans voir personne, j’ai décidé de sortir. De plus, mon frigo est vide. Donc il me faut me ravitailler. Dans cette guerre sans merci que nous livre le virus, il nous faut nous abriter et ne sortir qu’en cas d’urgence. Le voisin d’en face, en me voyant prendre les rues, me lance un regard noir. Comme si j’étais un traître, un déserteur. Mais je m’en fous, ce confinement m’étouffe. J’ai besoin de respirer un peu d’air frais. J’ai aussi envie de voir la ville avec laquelle j’ai développée une relation quasi charnelle à force de marcher dans ses rues. On me dit que l’histoire d’amour entre la ville et moi peut être aujourd’hui une liaison fatale.
LA FIÈVRE
De nos corps la fièvre brûle le monde
Sans passeport ni baiser de retour
Tournent les ombres des moulins à vent
Au clair de la lune
Nous chantons les comptines oubliées
Laissons se consumer le monde et partons
Prenons nos distances
Ensemble courons là où nous ne mettrons pas de masque sur le large sourire du devant-jour
Notre fièvre n'est pas celle des lits d'hôpitaux
Elle embrase nos cieux et embrasse nos corps
Nous brûlons d'algue et de varech
Notre réchauffement est planétaire qui se perd dans la quadrature du cercle des îles d'eau de terre et des filles alanguies
Je touche ton front et je l'ai
La fièvre
UN SALE TEMPS
C’est un temps de masque sans carnaval
Un temps de chlore et de protection faciale
Un temps de distance et de Plexiglas
Un temps désinfecté
Un temps de mains fourbues et délavées
Un temps d’aseptisation à outrance
Un temps de déshydratation interdite
Un temps qui se veut plus propre que propre
C’est un temps de confinement, de déconfinement et de reconfinement
Un temps de quarantaine qui frise la cinquantaine, la soixantaine
Un temps sans contact, désincorporé
Un temps de gestes mesurés, de visages mal barrés
Un temps à prendre avec des gants
Un sale temps
NOIR ÉCRAN
Depuis la maladie
J'ai appris à éteindre ma télé
et à allumer mes livres
Ma télé est infectée
Elle déverse dans ma chambre
Des vagues de fin du monde
Alors je l'ai éteinte
Que c'est beau un noir écran!
HAUT LES MASQUES
La grande ville est masquée
Comme pour un grand carnaval
On ne se voit plus
On ne se reconnaît plus
Le monde est mi-face, mi-silence
Rien que nos yeux pour carte d’identité