La chanteuse Florence K se lance dans sa première aventure romanesque avec Lili Blues. L’amour-passion, les ruptures qui déchirent et la puissance des sentiments, en bons comme en moins bons, sont au programme.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Sam avait un nombre incalculable de défauts, mais elle n’avait jamais douté un instant de sa fidélité, principalement à cause de l’influence que son père avait sur lui. Mounir était un homme juste, un homme de famille, un homme de business, et il avait enseigné à ses fils que le bon Dieu punissait ceux qui ne suivaient pas le droit chemin et que, si par mégarde ce dernier oubliait de le faire, l’homme finissait par se punir lui-même, car un tel comportement ne pouvait que mener à la voie de l’égarement. Et que celui qui se perdrait trop longtemps souffrirait inévitablement.
Un coup de foudre était tout ce qui lui manquait jusqu’alors pour déserter son mariage. Le désir qu’il éprouvait à l’égard de Lili était plus fort que toutes les peurs qui l’avaient toujours empêché de laisser Vanessa. Plus fort que la crainte de perdre sa maison, de devoir verser une pension énorme, d’être confronté à la colère de son père et de connaître l’opinion de sa famille. Il se sentait revivre, du sang neuf coulait dans ses veines, faisait battre ses tempes. Ses collègues, qui avaient toujours connu un homme taciturne et réservé, découvraient un patron capable également de sourires et d’humour. Une confiance nouvelle l’habitait. Un tel amour ne pouvait que mener à quelque chose de grandiose. Entre un mariage en phase terminale éternelle et le souffle de vie que lui procuraient la présence et le rire de Lili, il n’avait pas eu à hésiter longtemps. Lili n’était pas une porte de sortie, elle représentait plutôt une porte d’entrée vers un monde infini de possibilités.
Côté cœur, les amourettes et les déceptions se succédaient,mais, tant qu’elle gravissait la pente de sa propre carrière, elle s’en remettait rapidement. On la félicitait de toutes parts, on lui disait à quel point elle était bonne et charmante, on lui prédisait des années de gloire, on l’invitait à des cinq à sept, à des tapis rouges, à des premières, on la photographiait, on s’intéressait à son rouge à lèvres préféré, au shampoing qu’elle utilisait, à sa designer de prédilection, on commençait à l’inviter dans des talk-shows, à des émissions de radio… Alors ces hommes trop durs dont elle tombait toujours amoureuse, ces hommes inatteignables ne laissaient pas trop de cicatrices sur son cœur lorsqu’ils allaient ailleurs, puisque l’intérêt que lui portait son milieu professionnel lui fournissait un filet de sûreté qui l’empêchait de sombrer trop bas.
Elle souriait en permanence, d’un sourire vide et dénué de joie de vivre terrestre, mais empli d’une sérénité aux allures fausses, une sérénité de Schtroumpfette illuminée. Sam la regardait aller avec une condescendance frôlant la pitié. Il se servait de son propre workaholism pour balayer du revers de la main les affres de son quotidien matrimonial. Il prenait la fuite au lieu de chercher à rétablir son mariage ou du moins une quelconque entente qui limiterait la tension semblable à un brouillard permanent en sa demeure. Certains se perdaient dans l’alcool chaque soir, dans la cocaïne sur les tournages ou dans des relations extraconjugales insignifiantes pour remplir le trou que creuse jour après jour une vie où l’on se ment à soi-même, mais, chez Sam, c’était le travail qui servait de béquille.
Angela incarnait tout ce que Vanessa n’était pas, mais cette joie qu’elle avait si facile était un aimant pour ceux qui la rencontraient. Peut-être parce qu’elle était secrètement jalouse de son bonheur, Vanessa aimait défier les opinions de son amie et s’était rendue, quelque peu à reculons, dans un studio de yoga, sans le dire à qui que ce soit. À sa grande surprise, et malgré l’aversion qu’elle éprouvait pour la voix mielleuse de sa professeure qui ne se gênait pas pour donner, entre les postures, des conseils de vie saveur New Age, elle avait dû s’avouer qu’elle ressentait une immense sensation de bien-être à la fin du cours, dans le savasana final, la posture du cadavre, là où le corps n’est plus qu’un poids lourd étalé de tout son long au sol, un poids lourd qui respire.