Ô Cadi, à quoi bon cette nouvelle exégèse ?
Qu'as-tu donc compris au Coran ?
Jour et nuit tu prêches les masses
Quel que soit le sens qui t'apparaisse !
Sûr de toi, tu veux me circoncire,
Mais cela, je le refuse, ô frère !
Si telle était la volonté d'Allah,
Alors tous les hommes naîtraient circoncis !
Si le circoncis devient Turc,
Qu'en est-il de sa femme ?
Si ta moitié ne peut être circoncise,
Tu restes donc à moitié Hindou !
Si le cordon fait le brahmane,
Qu'en est-il de sa femme ?
Si de naissance elle est servante,
Pourquoi goûter ce qu'elle cuisine ?
D'où viennent les Hindous ? D'où viennent les Turcs ?
Qui donc leur a montré un chemin différent ?
Interroge ton coeur, ton coeur à toi :
Où est ce paradis ? Qui donc y est allé ?
Au lieu de t'égarer, médite, médite sur Ram :
Pourquoi montrer, ô fou, tant de fanatisme ?
Dit Kabir, tu es perdu, ô mon ami,
Si tu n'implores la protection de Ram !
Ils disent tous : "J'irai au ciel",
Mais moi, je ne sais en quel lieu il se trouve !
Ils ignorent tout du mystère de leur moi,
Mais n'hésitent pas à décrire le paradis !
Aussi longtemps que tu désires un paradis,
N'espère pas prendre refuge aux pieds du Seigneur !
La porte du ciel, ses douves, sa forteresse :
Où se trouvent-elles ? Je n'en sais rien !
Dit Kabir : que puis-je dire de plus ?
La société des Sages, voilà le Paradis !
Immobiles ou mobiles, vers ou papillons,
De multiples façons avons-nous pris naissance,
De multiples demeures irons-nous habiter
Avant de faire retour dans le sein de Ram !
Parfois yogis, sages dominant leurs passions;
Ascètes s'abstenant de tout commerce sexuel,
Parfois rois, souverains, et parfois vagabonds !
Les impies meurent, mais les Saints vivent
Car ils se désaltèrent de l'élixir de Ram !
Dit Kabir : Ô Seigneur, prends pitié !
Nous sommes las : que vienne enfin la Joie !
Vois, frère, le grand vent de la Gnose a soufflé :
Il a tout balayé, le voile de l'Illusion
Et les liens de Maya !
Les deux pôles de l'indécision ont été arrachés,
Et le faîte de l'aveuglement emporté !
A terre gît le toit du désir,
Le vase du mal a volé en éclats !
Quand le vent a cessé, tant de pluie est tombée,
Qui inonda de joie ton humble serviteur !
Dit Kabir : lorsqu'à nouveau s'est levé le soleil,
En moi la lumière a brillé !
L'Amour ne se cueille pas comme une fleur,
L'Amour ne se vend pas dans les échoppes.
Si d'Amour tu es en quête, que tu sois prince ou gueux,
Offre d'abord ta tête.
KABÎR – Une Vie, une Œuvre : le vagabond céleste (France Culture, 1991)
Émission "Une Vie, une Œuvre", par Claude Mettra, diffusée le 26 décembre 1991 sur France Culture. Invité : Guy Deleury.