Livre écrit par Ismaïl Kadaré, faisant référence au temps où l'Albanie était soumise à la dictature d'Enver Hoxha, c'est un pamphlet politique présenté sous forme de fable ou de conte moral. Prenant l'image de la construction d'une pyramide dans l'Egypte antique, l'auteur explique qu'un bon moyen pour asservir un peuple et lui ôter toute idée de révolte, c'est de l'occuper à un travail qui ne sert à rien, mais mobilise toutes les ressources du pays. C'est ce qui arriva en Albanie, où furent construits des milliers de bunkers dans tout le pays, pour se protéger d'un agresseur qui n'existait pas.
Le style est très alerte et imagé, l'allusion politique transparente. D'une manière plus générale, c'est une analyse très précise de certains mécanismes de la dictature, avec par exemple les méthodes fondées sur la délation et la peur. La leçon est toujours valable dans notre monde actuel.
Ce qui m'avait marqué à l'époque où j'ai lu le livre et que j'en ai gardé comme souvenir est que si les richesses deviennent plus grandes que l'emploi que l'on peut en faire, on se trouve devant un problème grave.
C'est finalement assez proche des théories monétaires. Pour éviter l'inflation due à une trop grande masse d'argent disponible, les états, quand ils en avaient la possibilité, gelaient une partie des avoirs des banques.
Bien des problèmes ne notre temps viennent de ces liquidités qui ne trouvent pas à s'employer utilement et alimentent la spéculation.
Pharaon, en créant sa pyramide, ne fait rien d'autre que tenter de geler ces fonds toxiques.
: « La Pyramide» d'Ismail Kadaré. Ce roman date de 1992, Kadaré est alors en France . Sous les dehors du roman historique (la construction de la pyramide de Chéops) c'est la dictature totalitaire (au coeur de laquelle il a vécu) dont il démonte les mécanismes .En effet , la construction de la pyramide n'a pas essentiellement un motif religieux , c'est avant tout un instrument d'oppression et de contrôle social . Ce n'est pas la vie des Egyptiens antiques mais celle des Albanais sous Enver Hoxha , des russes sous Staline, des chinois sous Mao qui est dépeinte en filigrane ( culte de la personnalité, omniprésence policière, procès truqués , délation …) . Certes c'est du passé , mais sommes nous si certains de notre futur ?
J'ai été un peu déçue par ce livre, je ne m'attendais pas tout à fait à ça. le style est lourd, ce qui correspond bien à ce que l'auteur veut transmettre, mais ça ralentit pas mal la lecture. On n'a pas de mal à imaginer que cette pyramide à fait couler beaucoup de sang, tout comme le régie albanais à l'époque de l'écriture de ce livre. Les régimes totalitaires se ressemblent tous.
La construction de la pyramide à travers le récit qu'en fait Kadaré, illustre ce qui compte le plus pour l'homme : devenir éternel, et n'est-ce pas ce qui dépasse le prix de toutes les vies que coûte ce processus, avec tout ce qu'il a, justement, d'inhumain. Ce livre sur la Pyramide est un livre sur toutes les pyramides et à travers ces constructions démesurées un livres sur tous les pouvoirs et sur la volonté de tout pouvoir de se rendre éternel.
Rapport de la commission d’enquête
Aucun indice sur cette septième pierre, fût-ce en provenance de la carrière ou par les voies qu’empruntent d’ordinaire les dénonciations, surtout anonymes, y compris de la part des transporteurs terrestres ou fluviaux. Le début du glissement a été quasi imperceptible, au point que les maçons qui étaient appuyés dessus ne l’ont même pas sentie bouger. C’est la maître maçon Sham qui, le premier, a fait remarquer : mais que se passe-t-il donc, on dirait que cette pierre remue ! Les autres, cependant, n’ont pas pris ses paroles au sérieux. Ils se sont même mis à se taquiner : Hé ! c’est toi qui l’as poussée, non, c’est toi, etc. Un instant plus tard, s’étant aperçus que la pierre bougeait effectivement, ils ont essayé de la retenir à la force des bras, mais en pure perte. Alors le maître maçon Sham s’est rendu compte qu’il n’avait sous la main aucune sorte de grappin, il s’est précipité pour s’en procurer un et le glisser dessous. Les autres aussi se sont affairés, mais trop tard. La pierre a fait voler les crochets en tous sens et, comme redoublant de fureur, s’est ruée vers le bas. Elle s’est mise à zigzaguer sur le plan incliné au niveau du dixième gradin et c’est au onzième qu’elle a entamé son massacre. Au treizième, le contremaître Thout s’est dressé devant elle en criant : Vive le pharaon ! mais il a été réduit en bouillie. Une de ses mains, arrachée, a fendu les airs, ce qui n’a fait qu’accroître la panique. Parvenue au-dessus du quatorzième gradin, la pierre a quitté le plan incliné, elle est tombée et a poursuivi sa dégringolade. C’est à ce moment que le maçon Debehen s’est mis à hurler : La pyramide s’effondre ! – et, on ne sait pourquoi, il s’est précipité sur le contremaitre pour le mordre à la gorge. D’autres se sont mis à courir dans toutes les directions comme lors d’un tremblement de terre, mais ils étaient si terrorisés que certains, au lieu d’esquiver la pierre, se sont retrouvés sur son passage et ont été écrasés. Au vingtième gradin, les éclaboussures de sang se voyaient de loin sur le bloc ; des lambeaux de chair humaine et des touffes de cheveux voletaient durant sa chute. En fait, ce n’est pas au cent vingt-quatrième gradin qu’il s’est brisé en deux, mais peu avant, et l’insistance mise par les témoins à prétendre qu’il s’est fendu au point exact où commence ce qu’on appelle la numérotation céleste relève soit d’un innocent hasard, soit de quelque sombre dessein politique. L’enquête suit son cours.
L’idée de la pyramide, Majesté, a vu le jour en période de crise.
[…]
Le pouvoir pharaonien, ainsi qu’en témoignent les chroniques, était affaibli. Sans doute n’était-ce pas là un phénomène nouveau. Les vieux papyrus sont truffés de pareilles vicissitudes. Ce qui était nouveau, c’était bien autre chose. Inédite, étrange, voire abasourdissante était la cause de cette crise. Une cause perfide, sans précédent : la crise n’était pas provoquée par la pénurie, par un retard dans les crues du Nil, par la peste, comme ç’avait toujours été le cas, mais, tout au contraire, par l’abondance.
Par l’abondance, répéta Hemiounou. Autrement dit, par le bien-être.
La capitale, comme on pouvait s’y attendre, sombra dans un silence encore plus compact.
Le mutisme avait atteint un degré tel que le linguiste Jakub Har, d’après un court rapport de A.K., avait pronostiqué que si les choses continuaient à ce train, la moitié de la langue égyptienne aurait disparu en l’espace de trois ans, tandis qu’au bout de dix ans elle serait réduite à trois cents mots, de sorte qu’elle pourrait être apprise même par les chiens.
Entreprendre une oeuvre qui passât l'imagination , dont les effets seraient d'autant plus débilitants et anémiants pour ses habitants qu'elle serait plus colossale.Bref, quelque chose d'épuisant , de destructeur pour le corps et l'esprit, absolument inutile; Ou , plus exactement , une oeuvre aussi inutile pour les sujets qu'elle serait indispensable à l'Etat.
Eclats de lumière, visions instables fuyant vers l'horizon, tantôt semées de scintillements de couronnes, tantôt noircies par l'horreur du futur, se bousculant avant de se répandre à tous vents...
L'arrivée de deux Irlandais new-yorkais, Max Roth et Willy Norton, dans la ville de N., au coeur de l'Albanie, fait l'effet d'une bombe dont les intéressés auraient bien étouffé l'explosion. Le sous-préfet de N. partage bien sûr l'avis de son ministre : il n'est pas exclu que les deux étrangers soient des espions...