Citations sur Qui a ramené Doruntine ? (14)
A cause du froid, les gens se déplaçaient moins, mais, curieusement, la rumeur courait tout aussi vite que si le temps avait été plus clément. On eût même dit que, figée par le froid hivernal, cristalline et scintillante, elle filait plus sûrement que les rumeurs d'été, sans être exposée comme elles à la touffeur humide, à l'étourdissement des esprits, au dérèglement des nerfs. Néanmoins, cela ne l'empêchait pas, en se répandant, de se transformer de jour en jour, de s'amplifier, de s'éclaircir ou de s'assombrir.
Le mariage de Doruntine, en revanche, était un évènement dont tout un chacun se souvenait avec netteté. C'était un de ceux que le temps a la faculté d'embellir, et cela non point parce qu'ils sont inoubliables en soi, mais parce qu'ils ont le don de coaguler tout ce qui, du passé, est beau ou jugé tel, et qui n'est plus.
...il n'est personne en ce monde que n'habite quelque regret à propos d'un disparu et qui ne se soit dit : ah ! s'il pouvait revenir une fois, une seule fois, que je l'embrasse ( mais quelque chose m'empêche alors de l'embrasser); même si cela ne peut jamais advenir ni adviendra jamais dans les siècles des siècles et c'est là une des plus grandes tristesses en ce bas monde, tristesse qui continuera de l'envelopper comme la brume jusqu'à son extintion.
Puis la première pleureuse chantait la résurrection du fils maudit et sa chevauchée nocturne vers le pays où s'était mariée sa sœur :
Si pour une joie tu es venu,
Je me vêtirai en fée,
Si pour un deuil tu es venu,
En robe de bure je me mettrai,
et la troisième lui répondait avec les paroles du mort :
Viens, ma sœur, comme tu es.
Nous avons vu d'étranges choses,
Mais jamais morts et vivants
Chevaucher ainsi ensemble...
Le lendemain de son retour du monastère des Trois-Croix, Stres se met à nouveau à l’œuvre pour élucider l'énigme de la venue de Doruntine. Il rédigea une nouvelle instruction, plus détaillée que la première, n'ordonnant pas seulement l'arrestation de tous les suspects, mais promettant aussi une récompense à quiconque aiderait à la capture de l'imposteur, directement ou par ses révélations.
« Sous nos yeux est en train de naître une légende. » (p. 64)
Parfois s approchant de la fenêtre comme pour reposer son regard sur l'étendue de la plaine, Stress se demandait si la réalité de cette histoire n'était pas radicalement différente de l'idée qu'il s'en faisait.
"Les Vranaj se sont éteints", redit une voix. Il leva la tête pour voir qui avait proféré ces mots, mais inconsciemment, au lieu de chercher quelqu'un dans la petite foule, il porta son regard vers les avant-toits de la maison, comme si la voix était venue de là. Pendant quelques instants, il n'eut pas la force de l'en détacher. Noircies et tordues par les intempéries, les poutres des larges auvents, saillant hors des murs, évoquaient mieux que tout autre signe le lugubre destin de la lignée qui avait vécu sous ce toit.
J’ai vu des empereurs massacrés, traines dans des hippodromes, les yeux crevés, la langue coupée, uniquement parce qu’ils avaient osé penser pouvoir amender telle ou telle thèse de l’Église. Peut-être vous souvenez-vous qu’il y a deux ans, après l’ardent débat sur le sexe des anges, la capitale faillit être le théâtre d’une guerre civile qui aurait certainement tourné au carnage.