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Critique de Isacom


Qui a ramené Doruntine, ou comment débunker les fake news au Moyen-Âge.
Vers l'an mil dans une riche et ancienne famille albanaise, Doruntine Vranaj est l'unique fille d'une fratrie de dix. Elle épouse un homme d'un pays lointain, ce qui est déjà une entorse aux traditions. Encore que ça se discute, les traditions, surtout quand on voit Palok, l'idiot - consanguin - du village.
Bref, Doruntine traverse "la moitié d'un continent" pour aller vivre en Bohême chez son mari, mais son frère Konstantin a promis qu'il irait la chercher si elle leur manquait trop. Ce n'est pas une promesse anodine : c'est la "bessa", c'est une affaire d'honneur.
Mais la guerre et la peste emportent Konstantin ainsi que les huit autres frères, et les brus quittent avec leurs enfants la maison endeuillée. La pauvre mère solitaire, devant la tombe de Konstantin, le maudit de n'avoir pas tenu sa promesse.
Qu'à cela ne tienne : Doruntine reparait chez sa mère, et assure à tous que c'est bien Konstantin qui l'a ramenée.
De cette légende albanaise, Kadaré fait... un polar.
Eh oui, c'est l'anachronique policier du village, Stres, un homme rationnel, qui mène l'enquête pour découvrir Qui a ramené Doruntine ?
Et c'est bien compliqué de démêler le vrai du faux, dans cette ambiance complotiste où "il leur fallait à tout prix apprendre quelque chose, vite même, car ils constituaient le premier cercle que les nouvelles devaient atteindre pour se propager ensuite par vagues à travers le monde entier."
(Kadaré a anticipé Twitter.)
Pour les pleureuses aux obsèques, c'est la construction d'un mythe : le frère lié par la "bessa" qui sort de sa tombe pour accomplir son devoir.
Pour les Églises, en conflit entre catholiques et orthodoxes, il n'est pas question de parler de la résurrection d'un mort, ce serait une concurrence déloyale : il va falloir trouver une explication plus politiquement correcte.
Pour l'adjoint qui enquête dans les archives de la famille Vranaj, il y a un secret croustillant mais inavouable - que je ne dévoilerai pas.
Pour le témoin... et bien il avouera volontiers tout ce qu'on veut, au vu des circonstances - que je ne dévoilerai pas non plus.
Et à la façon d'un Hercule Poirot, le policier Stres rassemblera tout le village pour la révélation... et le twist final.
Un roman remarquable, court mais dense, qui décortique tous les ressorts de la propagande et de la manipulation, avec une grande ironie et un grand talent.
Traduction impeccable de Jusuf Vrioni.

(J'aurais dû éviter l'édition Larousse, faite pour des scolaires et plombée par de multiples notes en bas de page : je déteste les notes en bas de page. Même la numérotation des lignes a perturbé ma lecture. Et "Niveau recommandé : collège" c'est vite dit, lorsqu'on explique par exemple le mot "hérésie" par "doctrine contraire au dogme officiel" : au lieu d'un mot compliqué, mettez-m'en deux !)

Challenge Globe-Trotter (Albanie)
LC thématique de juillet 2022 : "Les prénoms, saison 2"
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