Kaddour Riad a dix ans quand le FLN accède au pouvoir et proclame l'indépendance de l'Algérie. C'est ce qui se passe avant, pendant et surtout après ces moments de liesse populaire, où le vent de liberté qui se mettait à souffler semblait capable d'ouvrir en grand quelques fenêtres, qu'il raconte dans son premier roman. Il retrace à coups de courts chapitres, saisissant chaque épisode avec fougue, le fil d'une vie familiale qui se mêle étroitement à l'histoire récente du pays.
Partant de son enfance à Cherchell, au bord de la Méditerranée, entre les vestiges romains et la présence de plus en plus imposante de l'armée française, il adopte une écriture incisive et percutante, des phrases au souffle soutenu dans lesquelles il manie l'humour ou la dérision pour expliquer sa difficulté à trouver sa place entre une mère analphabète (« nationaliste dans le sang ») qui hurle, vocifère et l'insulte et un père taciturne qui officie en tant qu'écrivain public dans un café où il a sa table de travail.
« Au clin d'oeil il fallait que j'obéisse. Elle me frottait les yeux, la bouche et les fesses avec du piment fort pour en finir une fois pour toutes avec mes diableries. “Tu veux que je te massacre ? Ton sang, je le boirai, espèce de charogne, chien, fils de chien, Juif puant, sauvage, risée de tes camarades !” hurlait-elle en me battant sauvagement. »
C'est cette éducation à la dure qui va lui permettre de se forger une vraie carapace et de rechercher dans le mot « indépendance » une signification qui n'a rien à voir avec le sens que ceux qui se sont battus pour la libération du pays vont lui donner. Il comprend vite que la liberté, l'intime conviction et le libre arbitre qu'il assimilait si facilement à ce mot vont rester lettre morte. Il le dit à sa manière, n'occultant rien, plongeant brièvement dans le passé millénaire de l'Algérie pour tenter de comprendre l'élan collectif qui pousse ses proches à mettre en veilleuse leurs propres aspirations pour se soumettre aux lois dictées par un pouvoir qui, perpétuellement « en alerte maximale », multiplie décrets et interdits.
Commenter  J’apprécie         20
Nous avons accueilli l'indépendance dans l'euphorie. Puis, peu à peu, il y avait pleins de choses qui disparaissaient de la circulation. Des livres, des revues. On commençait à se rendre compte qu'on était en train de nous imposer une identité qui n'était pas la nôtre ».