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Critique de dourvach


Fraîches impressions de lecture du "Château" de Franz KAFKA (début de composition supposé en plein hiver : janvier et février 1922) et dans la traduction d'Alexandre Vialatte (1938).

Kafka a alors 39 ans, connait sa maladie depuis cinq années (noté dans son "Journal", début août 1917 : "Les trompettes d'alarme du néant" - première hémorragie pulmonaire durant l'une de ces nuits estivales suffocantes de Prague) et ne sait pas forcément qu'il n'a plus que deux années d'agonie christique à vivre : impossibilité de parler... puis impossibilité de manger... puis impossibilité de respirer (décédé des suites d'une laryngite tuberculeuse, le 3 juin 1924).

"Das Schloss" (inachevé ou inachevable - et délaissé en septembre 1922) n'était pas destiné à être publié... plutôt "écrit pour soi", comme on dit...

On y sent le froid dans les corps et les pièces basses, la lumière aveuglante du dehors : la neige étouffante et à perte de vue.

Tout d'abord un sentiment d'étrangeté totale : la logique du rêve, que l'on retrouvera plus tard à l'oeuvre dans la fameuse nouvelle de Bruno SCHULZ, "Le Sanatorium au Croque-mort" (1935) : un homme - dont nous ne savons rien arrive dans un lieu inconnu pris sous le lourd manteau des neiges, dans une forêt d'Europe centrale.

Le héros restera prisonnier du lieu retiré - isolé du reste du monde par la seule dureté des Eléments.

Ce monde qu'il découvre est un "Autre Monde", ressemblant au nôtre par de bien étranges caractéristiques...

Réminiscences du "Nosferatu" [1922] de Friedrich-Wilhelm MURNAU : le fameux intertitre : "Une fois passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre. "

Ici, les premières figures fantomatiques sont "seulement" deux humains : un gras aubergiste surpris par l'arrivée si tardive d'un vagabond épuisé par sa marche dans la neige à la tombée de la nuit... puis, réveillant sans ménagement notre anti-héros" K.", le fils du portier "au visage d'acteur" (un nommé "Schwarzer" dont le nom le place sous le signe des "forces obscures" - ou "du côté obscur de la Force", selon la citation habituelle de "Star Wars", célèbre saga cinématographique un rien empesée de Georges LUCAS).

Les personnages se placent (comme les spectateurs dans les gradins d'un théâtre grec), s'ajoutent, s'évanouissent ou réapparaissent, se flairent, s'apprivoisent (parfois et temporairement), se répondent et s'opposent (parfois et durement).

Sur la scène ou dans les coulisses (tout en bas des gradins) : la Tragédie des jours ou "Le Destin en marche" (comme l'écrivait Julien GRACQ, à propos des livres de C.-F. RAMUZ).

Seuls demeureront, au final, comme on le devine : la neige et le mystère du Château ("das Schloss") que les brumes dissimulent tel un Astre noir au-dessus du village ("das Dorf") ; et ce côté tranchant et insaisissable des "Gens du Château".

Seuls quelques jours passeront : tels des croassements de corbeaux au-dessus d'arbres décharnés au faîte d'une colline de Bohême parmi d'autres... ) : une courte saison noire.

Le "héros" est un anti-héros qui "en a vu d'autres", semble-t-il : l'arpenteur (ou "pseudo-arpenteur" ?) "K." n'est plus le "Joseph K." (victime désignée d'un véritable cauchemar) de "Das Prozess", encore moins le jeune "Carl Rossmann" (naïf et imperturable) de "Der Verschollene" ("Le Disparu" ou "L'Amérique") : il est un homme roué qui pressent en quel monde de faux-semblants et de fausses politesses il doit se débattre pour y survivre, "au jour le jour"...

Repensant également au gentleman-vagabond Joseph Marti, ce grand solitaire de "Der Gehülfe" ("Le Commis", 1908) de Robert WALSER, dont nous suivrons les jours (heureux ou malheureux) pendant six mois (du début de l'été à l'arrivée de l'hiver...).

Il est également passionnant de deviner au travers des corridors neigeux, des soupentes et des salles de classe de "Das Schloss" l'ombre portée - la trace fraîche dans la neige craquante - des vicissitudes sentimentales qui amenèrent aux changements d'orbite affective de Franz, comme durant ces années 1919 et 1920 où il passa de l'étoile Julie Wohryzek, "la seconde fiancée" enjouée et solaire, à l'astre fascinant que fut pour lui Milena Jesenska... Ce roman-rêve rédigé en 1922 semble ainsi contenir quelques "clés" de personnages et de psychologies qu'il serait bien sûr passionnant de pouvoir déchiffrer, un jour... Quelles sont les femmes-source des personnages de Frieda, Amalia et Olga ? Et quelle est cette étrange "famille de Barnabé" ? (L'on en sait toujours si peu sur la famille Wohryzek...)

Franz Kafka (ou "Kavka" : dit "Le Choucas" en tchèque...) était un être dérangeant, plein d'humour et un écrivain étonnant - Géant (sans doute très tôt cassé par Hermann Kafka, "Le Père") qui doutait si fort de lui-même... Aux Temps (d'ailleurs pas tant "heureux" que ça... ) où l'on n'aurait jamais osé écrire pour dire autre chose que "deux ou trois mots des touchants mystères de l'existence"...

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