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Lettre au père »
Franz Kafka (Mille et une nuits, 90 pages tapées au kilomètre).
Petit bouquin qui tient dans la poche, comme une lettre. Mais une vraie lettre, lourde, longue comme un jour sans pain, toute nouée, celle qu'écrit réellement Kafka à 36 ans à son père, lettre qui n'était pas destinée à être publiée, et qu'il ne lui adressera finalement jamais. C'est une écriture assez torturée, avec de longues phases justificatives, explicatives, argumentatives. Ce n'est donc pas au titre du style torturé et tâtonnant (apparemment très différent de celui de ses
romans) qu'on peut retenir cet opuscule. Mais quelle passionnante explication illustrée du pouvoir destructeur d'un père tyran, méprisant, hautain. Et l'on a envie de crier à FK : « mais révolte-toi donc, au lieu de lui glisser des justifications », pour aussitôt comprendre que c'est justement là le problème de l'homme, de l'auteur ; il ne peut rien contre son père, tout englué dans sa propre culpabilité ; il est incapable du seul geste libérateur, « tuer le père ». Il geint, se plaint, mais tout empreint de respect filial, il s'écrase, alors que le seul obstacle n'est même pas financier (il est autonome sur ce plan), mais le lien intérieur qui le bride. On comprend pourquoi il mourra jeune, malade, célibataire sans enfant, écrasé par l'ombre d'un père tutélaire méprisant et omnipotent dont il n'a su se libérer.
Sans doute pas une littérature géniale... mais un excellent traité de psychopathologie du lien père-fils.