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Critique de plotin


Ancien médecin généticien, Axel Kahn a été également directeur de recherche à l'Inserm, directeur de l'Institut Cochin et président de l'université Paris Descartes. Marcheur depuis sa tendre enfance, il entreprend en 2013 une première traversée de la France à pied des Ardennes à la Côte Basque, aventure qu'il relatera dans son livre « Pensées en chemin ». Un an après, en 2014 et à l'âge de 70 ans, il récidive en reliant cette fois-ci la Pointe du Raz en Bretagne à Menton à la frontière italienne. Son dernier livre « Entre deux mers » retrace cette nouvelle aventure.

Cette seconde traversée de la France à pied est indéniablement un exploit sportif. Plus de 2000 kilomètres à pied sur des terrains accidentés et des dénivelés conséquents et ce, en un peu plus de 2 mois, une moyenne de 30 kilomètres par jour avec une pointe à 42 km lors de l'étape le menant à Dignes. Comment dans ces conditions expliquer la réussite de cette aventure malgré un genou gauche douloureux dès le départ en Bretagne et malgré un déboîtement de l'épaule droite et une rupture d'un tendon de la coiffe des rotateurs de cette épaule intervenue à mi-parcours ? L'auteur en connaît seul la réponse donnant au lecteur comme unique explication le fait de mépriser ses douleurs.

Si la motivation première de cette marche est la quête de la beauté de la nature et des paysages, l'observation des effets des crises et des mutations économiques sur les territoires traversés constitue le fil rouge du récit. Homme de gauche et très sensibilisé à l'essor du vote Front National dans le pays, Axel Kahn donne comme principale explication à cette « montée inexorable du parti nationaliste d'extrême droite à l'idéologie xénophobe de rejet de l'autre » (sic), le fait que ses électeurs souhaitent revenir au passé, au « c'était mieux avant ». A la question d'un journaliste qui lui demande comment contrer la vague montante du vote rural en faveur de l'extrême droite, l'auteur donne une seule et unique réponse : « il faut offrir aux populations une perspective de développement des territoires, tout le reste est dérisoire ». Ainsi, l'auteur associe la baisse éventuelle du vote FN à la seule baisse du chômage.

L'auteur est-il resté sourd ou n'a-t-il pas voulu entendre ce que j'ai moi-même entendu lors de ma traversée de la France à pied ? En effet, j'ai vécu en 2015 une expérience similaire à celle de l'auteur en traversant la France à pied d'Est en Ouest. Or, ce que j'ai entendu à travers de nombreux et longs échanges avec les gens de la campagne croisés sur le chemin donne un éclairage qui va bien au-delà du juste « c'était mieux avant ». Les exaspérations exprimées par les ruraux que j'ai rencontrés lors de cette marche portent sur le ras-le-bol de l'assistanat, sur l'excès des allocations de toutes sortes distribuées sans aucune contrepartie, sur l'effondrement de la valeur travail, sur l'exaspération liée au trop d'impôts et de charges, sur la surabondance des normes et directives, sur la violence de décisions venues d'en-haut sans aucun débat préalable avec les habitants concernés comme en témoigne la vive colère liée à l'installation de migrants dans plusieurs villages traversés en Bourgogne, en Sologne, en Touraine. Il est étonnant que l'auteur ne fasse aucune référence à ces exaspérations dans son récit.
A mon retour, lors des élections régionales de décembre 2015, je ne fus donc pas surpris du poids du vote FN s'affichant entre 25 et 40% dans les zones rurales que j'avais eu l'occasion de traverser lors de cette marche. Sur ce que j'ai pu entendre et comprendre des discussions que j'ai eues avec les ruraux rencontrés, la baisse éventuelle du vote FN à terme va bien au-delà de la seule baisse du chômage. C'est en remettant au premier plan la valeur travail, en revalorisant la notion de l'effort et en faisant souffler un vent de liberté que la montée du vote FN pourra être contrée.

A mon avis, la différence d'analyse entre nos deux points de vue tient au fait que nous n'avons pas eu la même approche de la marche. Autant je me suis souvent arrêté pendant ma marche, profitant de toutes les occasions pour discuter avec les personnes présentes sur le bord du chemin, autant l'auteur a dû parcourir les étapes d'une traite d'un pas rapide sans s'arrêter. A preuve le fait que les seules rencontres avec les locaux relatées par Axel Kahn sont celles tenues en fin d'étape à l'arrivée à la chambre d'hôtes. C'est dans ces circonstances que l'auteur fait part des échanges qu'il a eus, la plupart du temps avec des notables de l'étape : maires, élus de toutes sortes (préfet, président du conseil général…), érudits locaux, intellectuels, responsables d'associations ou de syndicats…., population en définitive bien différente de celle que j'ai pu croiser au bord des chemins. Nos deux points de vue sur l'analyse des exaspérations exprimées par la population et les causes de l'expansion du vote FN ne pouvaient qu'en être différents.
Autre chose qui m'interroge : Axel Khan n'hésite pas à déclarer que les journaux locaux annonçant son passage ville après ville, un nombre de gens l'attendent sur le bord du chemin pour obtenir des selfies, des autographes ou pour lui serrer la main, des journalistes et des équipes de télévision lui courent après pour des interviews et des séances photos, une file impressionnante de lecteurs (sic) fait la queue dans une grande surface pour obtenir une dédicace de son livre Pensées en chemin. Axel Khan, une star ? En tout cas, son statut d'élite l'a peut être privé d'entendre la réalité des exaspérations exprimées par la population de terrain

Au final, malheureusement, après la lecture des deux livres racontant ses traversées de la France, je n'ai pas découvert l'homme. Hermétique sur ses propres réflexions personnelles, l'auteur ne se laisse pas découvrir. le livre porte en sous-titre « voyage au bout de soi ». En refermant le livre, le lecteur n'a malheureusement pas découvert ce voyage dont parle l'auteur. A peine découvre t-on que l'auteur se déclare agnostique. le lecteur aurait aimé que l'auteur creuse un peu le sujet : comment Axel Khan peut-il être aussi sensible à la beauté de la nature et à la complexité des êtres vivants sur cette terre et rester de marbre sur l'existence possible d'un Créateur de cet univers. Il évoque également que la marche est l'occasion de divagations de sa pensée. Mais de quelles divagations parle t-il ? A part un ou deux propos sur la fin prochaine du chemin d'une vie sans au-delà pour un agnostique, le lecteur n'en saura rien. Dommage …
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