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EAN : 9784593712229
University of Pennsylvania Press (30/11/-1)
5/5   1 notes
Résumé :
A major new study of the last great historian of classical antiquity.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Avec cet extraordinaire essai, Anthony Kaldellis poursuit son oeuvre salutaire de relecture et de réhabilitation de la culture et de la littérature byzantines. Les meilleurs byzantinistes n'ont jamais eu que du mépris pour les auteurs qu'ils étudiaient, à cause de deux préjugés tenaces : le premier, ancien et enraciné, consiste à voir en Byzance un monde figé dans un christianisme fixiste et une culture réduite à la répétition stérile des grands modèles antiques ; le second préjugé est plus moderne, et découle de l'ignorance des savants d'aujourd'hui, chacun enfermé dans son étroit domaine de compétences et incapable de mesurer la culture générale des auteurs anciens qu'on cherche à exploiter dans la seule perspective d'un domaine particulier. On ne lit pas, au mieux, ou au pire, on lit mal Procope de Césarée, historien majeur du VI°s.


Anthony Kaldellis restitue la figure d'un grand écrivain de l'antiquité tardive, disciple de Thucydide et de Platon, qui, comme tous les auteurs antiques, ne conçoit pas la création littéraire autrement que comme la réécriture des grands modèles anciens. Cette réécriture n'est ni un plagiat, ni une répétition mécanique et creuse : elle consiste à adapter (en ce qui concerne Thucydide) les modes du récit historique de la Guerre du Péloponnèse au temps de Justinien (ce qui choque nos esprits modernes marqués par l'historicisme littéraire d'Erich Auerbach) ; et Platon fournit à l'historien le cadre théorique et conceptuel qui l'aide à structurer son histoire. La réécriture va très loin, jusque dans le choix des mots et les déformations discrètes des citations, et j'en ai copié et traduit plusieurs exemples pour le lecteur intéressé.


Il ressort de ce très bel essai une figure intellectuelle d'opposant à la tyrannie bigote de Justinien et de Théodora, contestant les débordements persécuteurs de la religion d'état, en somme un frère de ces auteurs latins de la fin du IV°s vaincus par Théodose, et si bien évoqués par Stéphane Ratti. Les récits magistraux des trois guerres de Justinien (ou plutôt de son général Bélisaire, car l'empereur ne sortait pas du palais) mettent en évidence (outre leur intérêt évident en matière d'histoire militaire) le règne incontestable de la Tykhè, ce hasard aveugle que Procope nomme ainsi, et parfois aussi, ironiquement, Dieu ou Providence. Avec ce livre, on apprend à lire les grands historiens antiques : l'hommage liminaire à Catherine de Romilly, consacrant sa vie à Thucydide, rappelle que ces auteurs anciens dépassent largement le cadre de la discipline historique, sont des philosophes ou des sages à part entière. Anthony Kaldellis nous suggère de faire avec Procope comme Catherine de Romilly, qui lisait Thucydide pour sa pensée et sa langue, non plus pour son Histoire.


L'auteur est grec, enseigne aux USA et écrit en anglais. Bien sûr, ce livre-ci n'est pas traduit dans notre langue : en France, on se dispute sur "Aristote au Mont Saint-Michel" de Sylvain Gouguenheim et l'on continue d'oublier Byzance. S'y intéresser menacerait le mythe de la transmission islamique de la culture grecque, et la nouvelle bigoterie.
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
[Peste, défaites militaires et "justice divine"]
Bien que Procope ait été en désaccord avec ses contemporains, et qu'il ait essayé de les corriger discrètement, on ne doit pas le voir nécessairement comme un sceptique solitaire dans une époque de foi universelle. L'agnosticisme était un trait majeur de la tradition philosophique grecque et pouvait affecter tous ceux qui lui étaient exposés. Thucydide, par exemple,

"marque le début d'une tradition de positivisme sceptique qui se borne à décrire les faits et se refuse à en tirer des conclusions." (Jouanna)

Procope refusait de spéculer sur les causes naturelles de la peste, non qu'il crût qu'elle n'en avait pas, mais parce qu'il ignorait ce qu'elles étaient et n'acceptait pas les théories des physiologistes. C'est une position pleinement scientifique. Il savait, et il le dit ailleurs, que les causes de certains phénomènes échappent même à des penseurs comme Aristote (8.6.19-24) C'est la seule occasion, à propos de l'idée de progrès scientifique, où Procope évoque positivement l'innovation : trop de gens, dit-il, se contentent d'anciennes explications et se dispensent de chercher la vérité par de nouvelles idées. De peur que l'on suppose, toutefois, que par "vérité" il entendait ce que la plupart de ses contemporains entendaient, il précise :


"je ne parle pas de sujets intelligibles ou intellectuels ou de toute autre chose invisible, je parle de rivières et de contrées. (8.6.9-10)"


La métaphysique fait place au progrès scientifique et au scepticisme, à une époque où Anthémius, l'architecte de Sainte-Sophie, faisait des expériences sur la force de la vapeur dans sa cave. Cette préférence complète le rejet presque total de la théologie au début des "Guerres Gothiques". On ne s'étonnera donc pas que le récit de la peste par Procope contienne "la description la plus systématique de ses symptômes" (Allen).

p. 212
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(Description de Sainte-Sophie et d'autres monuments par Procope).
Procope décrit aussi une statue équestre montrant l'empereur sous l'apparence d'Achille. Il mentionne la lumière qui émane de son casque et ajoute que "l'on pourrait dire poétiquement que l'Etoile de l'Automne se trouve là." Quand les auteurs classicisants parlent "poétiquement", ils se réfèrent à Homère, et l'allusion a été bien repérée : dans l'Iliade, Achille est comparé à l'Etoile d'Automne, "la plus brillante des étoiles, qui sert pourtant de mauvais présage et apporte de grandes fièvres aux malheureux mortels". Il n'est pas déraisonnable de penser que Procope attende de certains de ses lecteurs qu'ils sachent l'Iliade par coeur et qu'ils reconnaissent le sens de la comparaison de Justinien à Achille et à l'Etoile d'Automne. ... C'était un procédé commun dans l'antiquité de citer un vers d'Homère ou d'un autre poète célèbre et de permettre à l'auditoire de se souvenir des vers suivants, qui sont très pertinents.
(...)
Procope, nous le verrons, n'était en rien un chrétien et ne souscrivait donc pas à la théorie chrétienne de la monarchie. On ne peut, en tous cas, décider de cette question sur la base d'un ouvrage aussi traître et insincère que les "Monuments". Dans l'"Histoire Secrète", il explique que Justinien était très sensible à la flatterie, surtout quand elle l'élevait au niveau de Dieu. "Ses flatteurs le persuadaient sans difficulté qu'il s'élevait au ciel et marchait en l'air". Cette allusion au portrait de Socrate dans les "Nuées" d'Aristophane - transporté au ciel dans un panier pour y chercher les dieux - est une moquerie de la piété de l'empereur, et insiste sur le point que Justinien était facilement influencé par de pieuses flatteries. Et bien, dans les "Monuments", il se trouve que Procope utilise exactement les mêmes mots pour évoquer l'état d'esprit de celui qui entre dans la grande basilique bâtie par Justinien, Sainte-Sophie, : "il est transporté vers Dieu et marche en l'air". Ce n'est certainement pas une coïncidence !

p. 54 et 58.
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Procope et ses contemporains ne comprirent jamais pleinement les mécanismes psychologiques à l'oeuvre sous la surface froide et indéchiffrable de Justinien. Peut-être Théodora fut-elle la seule à y parvenir. Cela se voit au fait que jamais Justinien ne s'exprime au discours direct dans les oeuvres de Procope. L'Histoire Secrète décrit un technocrate stérile maniaque du secret, du meurtre, de la rapine, qui a remplacé ses émotions par des doctrines et se sert du langage pour cacher et non dire la vérité. Sa tyrannie était moderne en ce qu'elle était fondée sur l'idéologie ; Justinien était incapable de penser ou d'agir sans invoquer des principes théologiques. Il n'exagérait pas quand il disait "Nous sommes habitués à considérer Dieu en tout ce que Nous entreprenons" (préface de la Novelle 18). Par exemple, il invoquait la Bible pour réglementer le prix des légumes. Il révélait ainsi l'étendue de ses dispositions totalitaires, qu'il n'avait en commun avec aucun autre monarque antique ...

Il y a quelque chose d'inéluctablement moderne dans cette combinaison de dogmatisme et de bureaucratie, et il n'est pas surprenant que le même savant (Honoré, note 115) ait longuement comparé Justinien à Staline. Nous pouvons déceler en Justinien les caractéristiques de la tyrannie moderne, qui le différencient de ses contemporains : "le Tyran Terminal se présente comme un philosophe ... et comme l'exégète suprême de la seule vraie philosophie, comme l'exécuteur et le bourreau appointés par la seule vraie philosophie. Il affirme donc qu'il ne persécute pas la philosophie, mais les fausses philosophies." (Léo Strauss). ... Procope pouvait comprendre des guerres menées pour la gloire et le pillage, mais un gouvernant qui tuait ses propres sujets à cause de leurs croyances religieuses tout en réglementant le prix des légumes, la main sur la Bible, c'était une chose à quoi son éducation ne l'avait pas préparé. Il comprenait que "Justinien ne croyait pas commettre un meurtre si ses victimes étaient d'une foi différente." Comme Staline, "d'un visage aimable, sourcils abaissés, d'une voix douce, il ordonnait la mort de milliers d'innocents" (Shukmann, "Staline", 1999).

pp. 157-158
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(Ecriture de l'histoire).
En 532 les émeutes de la sédition Nika dans la capitale faillirent abattre le régime de Justinien. L'empereur, barricadé dans le palais, allait s'enfuir quand l'impératrice lui tint un discours enflammé, l'encourageant audacieusement à riposter. Selon Procope, elle cita à la fin de son discours "un vieil adage, selon lequel la monarchie est un beau linceul". Curieusement, Procope fait commettre à Théodora une erreur de citation, car on retrouve l'adage dans Isocrate, Diodore et Plutarque. L'original dit : "La tyrannie est un beau linceul". Il fut dit par l'un des compagnons de Denys, le fameux tyran de Syracuse, alors qu'il était barricadé dans son palais lors d'une rébellion populaire. Denys allait s'enfuir, mais à la fin, comme Justinien, il employa des mercenaires pour massacrer les rebelles. Ainsi Procope a-t-il donné au discours de Théodora deux niveaux de sens. En superficie, on dirait que son audacieux discours a sauvé le régime. Mais les lecteurs qui connaissent leur histoire classique, et en particulier le récit de Diodore, comprennent la comparaison implicite de Justinien avec l'un des tyrans les plus brutaux de l'histoire. Même s'il a dépeint Justinien comme un tyran sanglant dans son "Histoire secrète" [ou "Anekdota", non publiée], il ne pouvait pas faire une telle comparaison dans un texte officiel comme les "Guerres". Mais il pouvait parsemer son texte d'allusions ambiguës. La correspondance parfaite du message de Théodora avec son portrait de l'impératrice dans l'"Histoire Secrète" plaide en faveur de cette interprétation d'Evans. Il est inconcevable qu'il ait voulu donner une image positive de Théodora, qu'il méprisait plus que tout au monde.

p. 36
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Procope interpréta le régime de Justinien comme une forme impériale de despotisme oriental. Certains spécialistes modernes considèrent l'assimilation des magistrats impériaux à des esclaves comme fondamentalement "perse" - dans sa nature sinon dans son origine - alors que d'autres sont peut-être plus proches de la vérité en y repérant une influence chrétienne. Se voyant eux-mêmes comme des esclaves de Dieu, les chrétiens avaient déjà transposé depuis longtemps le concept de servitude de la sphère socio-politique à celle de la religion. Procope témoigne de cet usage dans "Les Monuments" quand il dit des saints qu'ils sont des hommes que Dieu a "réduits en esclavage" (1.7.14) et l'on peut citer d'innombrables exemples tirés des textes chrétiens. L'empire ayant adopté le christianisme, ce n'était qu'une question de temps avant que cette nouvelle relation de maître et d'esclave ne soit transférée de la sphère religieuse à l'idéologie politique. De même que Justinien voyait des esclaves en ses sujets, de même il se voyait comme esclave de Dieu. Ces idées sont très visibles dans les chapitres d'admonestation adressés à lui par le diacre Agapet. Il conseille Justinien de traiter ses propres "serviteurs" comme il voudrait être traité par son "maître" (despotès) divin, car tous les hommes sont également esclaves aux yeux de Dieu.

... Ceci était profondément choquant pour Procope... Ce n'était pas le point de vue d'un Grec doué d'une éducation classique, qui condamnait l'association de la monarchie et de Dieu comme incompatible avec la liberté politique.

p. 137
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