Va où le vent te mène, va…
« Pour résumer, ma vie n'avait rien de reluisant et relevait plutôt de la survie, et de cela je ne pouvais blâmer que moi-même et mes acolytes : l'alcool, la cocaïne, et une propension bien ancrée à ce que mon vieux prof de philosophie grecque appellerait l'acrasie – cette faiblesse de caractère qui vous pousse à agir contre votre intérêt. Si le grec n'est pas votre truc, appelons ça
Idiot Wind, le vent idiot comme
Bob Dylan. C'est le nom que j'ai fini par lui donner, et pendant plus de dix ans son souffle a déchiqueté ma vie. Au fil du temps, je l'avais vu faire s'envoler à peu près tout ce qui aurait dû compter pour moi. Mon mariage. Ma carrière. le respect de mes parents et amis. Même un endroit où poser la tête la nuit. Autant en emporte le vent. le vent idiot. »
Vous avez dans cet extrait tout ce qui fait le charme de ce récit : tout d'abord le style d'un homme arrivé au bout de son calvaire et qui a l'expérience de la folie, de la descente aux enfers et de la rédemption pour mettre les mots justes sur son récit, et ensuite l'histoire d'un homme que tout aurait dû porter aux nues d'une vie personnelle, sociale et professionnelle new-yorkaise comblée mais qui a tout perdu, plusieurs fois.
Ce récit est donc une mise à nu autobiographique sans concession de la part de
Peter Kaldheim. Il n'occulte nullement, dans la première partie du livre, ni les événements qui ont provoqué sa fuite de la Grosse Pomme, ni ceux qui l'ont amené sur le chemin des enfers pavé de bonnes intentions.
Le point de départ de sa fuite de New York n'est pas bien complexe : à truander les truands, en accumulant les dettes sans source de revenus pour les rembourses,
Peter Kaldheim a lui-même forgé les conditions de son départ. Il ne laisse au demeurant pas grand-chose derrière lui. Il en est en effet arrivé à un point où son mariage s'est effondré, où son travail s'est délité sous ses yeux et où seuls l'alcool et la drogue lui laissaient l'impression de pouvoir continuer à vivre… alors qu'il s'enfonçait petit à petit dans une déchéance dont on ne ressort que rarement.
Finalement, cette fuite subie de New York aura été sa planche de salut. Elle aura été salutaire parce qu'elle l'aura confronté à ses addictions et à lui-même. Jeté ainsi sur les routes, l'homme vide qu'il est devenu se retrouve seul face à sa propre vacuité et au néant humain qu'il sait être devenu. La course en avant vers sa déchéance était en fait rendue possible, si ce n'est probable et inévitable, parce qu'il pouvait garder à l'esprit l'espoir, certes vain, de pouvoir se fuir lui-même. Confronté à la solitude, seul sur la route, il est face à lui-même. Mais il se confronte aussi à celles et ceux qui jalonnent son parcours à travers les Etats-Unis et, en lui venant en aide, le forcent à se confronter à son passé.
Ce récit fourmille ainsi de portraits sans fard d'une Amérique itinérante ou laissée pour compte : représentant de commerce, routiers, types allant chercher le travail là où ils pensent en trouver, d'autres vagabonds comme lui, vétérans du Vietnam, serveuses droguées et paumées mais touchantes, pasteurs prosélytes, … c'est une Amérique un peu folle et cabossée qui se dessine à travers ses rencontres successives.
Jeté brusquement sur la route, sevré brutalement dès son départ de New York,
Peter Kaldheim ne parle jamais ouvertement de manque. Par contre, les rencontres qu'il fait sont parfois plus hallucinées les unes que les autres. le passage évoquant les quelques heures passées en compagnie d'un jeune héritier totalement schizophrène en manque d'amitié n'est piquée des vers sans parler du chauffeur manchot et péquenot qui le prend en stop ou du pasteur moraliste coupé de la réalité…
Il y a de nombreuses choses qui restent de ce texte, même longtemps après l'avoir lu. le fait d'avoir l'impression d'avoir fait un bout de chemin avec un être humain, d'avoir partagé ses expériences, ses espoirs et ses déceptions, de ressentir un lien d'amitié avec une personne qu'on ne connaît ni d'Eve ni d'Adam mais dont on se sent finalement très proche, n'est pas étrangère à la trace laissée par ce récit.
Peter Kaldheim a eu une vie chaotique, psychédélique, bordélique, tragique, alcoolique, psychtropique, erratique, mais il sa vie possède les accents de la sincérité, de la vérité et de la beauté que peu de récits peuvent atteindre. Merci.
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