" On n'envie jamais les gens tristes" c'est ainsi que commence ce roman.
Renvoyé à 17 ans du Conservatoire, le compositeur et pianiste français Erik Satie s'y démarquait par son insolence, son refus de respecter les règles et sa singularité, rêveur il était considéré comme un cancre. " Ici, on exécute la musique! Il n'y a pas de vérité en art : Les compositeurs ne doivent pas être esclaves des règles." écrit-il en lettres noires sur le fronton du Conservatoire.
Ce rejet le marquera à vie " Ils ont fait de lui un être défait. Un être en ruine.". Il trainera toute sa vie un terrible besoin de reconnaissance, se demandant "À quel âge est-il trop tard pour devenir quelqu'un?"
Erik Satie est dépeint comme un être contemplatif "Il enfilait de l'ennui à l'ennui " et solitaire. Frappé d'insomnies, il marche la nuit, dort le jour, flâne et boit de l'absinthe. Il cache sa mélancolie sous une certaine fantaisie, et adopte un habillement provocateur loin des conformismes de l'époque.
Il est aussi entier et intransigeant " Rien ne le blesse davantage que de partager un bon moment avec un être qui n'en garde qu'un souvenir vague, voire aucun."
C'est un homme plein de paradoxes qui malgré son extrême timidité est capable de coups d'éclats comme lorsqu'il parvient à se faire engager dans un bar.
Un homme marqué par la mort de sa soeur Diane à l'âge de 8 mois , la mort de sa mère et de sa grand mère à Honfleur, des morts qui l'obséderont toute sa vie...
Erik Satie a le goût de la nuit et de la liberté et traine avec une bande d'artistes
Alphonse Allais, le poète Contamine avec qui il partage un costume. Il rencontre aussi Debussy avec qui il va entretenir une amitié de 30 ans.
Ses amis découvrent son extrême pauvreté le jour de sa mort en entrant dans sa chambre d'Arcueil "qui rime avec cercueil" car Erik Satie a toujours réussi à cacher sa misère à son entourage et s'est installé dans cette chambre en délaissant Montmartre à 34 ans en 1901, il y mourra 24 ans plus tard. Apocalyptique, cette chambre a fait sa légende avec ses deux pianos désaccordés et ses 14 parapluies noirs identiques. Personne n'était jamais entré dans cette chambre...14 parapluies pour un homme qui protégeait son parapluie quand il pleuvait de peur de le mouiller...
Parallèlement
Stéphanie Kalfon évoque la naissance du cinéma, la création du coca cola, la construction de la tour Eiffel, le changement de siècle, l'expo universelle, l' invention de la biscotte, la mort de
Zola et nous donne ainsi à voir un monde où tout s'accélère.
Insérés en italique des propos de Satie, des extraits de lettres à son frère, son seul confident, rendent le récit particulièrement émouvant.
On souffre avec cet homme hypersensible totalement seul, (le passage sur son anniversaire qu'il passe seul est poignant), en plein délire au bord de la folie, inadapté à son époque.
J'ai trouvé ce roman intense, très émouvant et remarquablement bien écrit.
Ce n'est pas une biographie classique du compositeur,
Stéphanie Kalfon nous fait véritablement rentrer dans la tête de cet homme à la sensibilité à fleur de peau, si souvent au bord du désespoir "Vivre, c'est tellement... inutile!". Un être méconnu, insaisissable et incompris qui a consacré sa vie à la musique.
Un premier roman remarquable à lire avec un bloc notes à proximité pour y noter toutes les belles phrases de l'auteure, un premier roman à faire connaître !
Une belle découverte grâce à l'aventure des 68 premières fois
Ce roman fait partie de la première sélection du prix de la Closerie des Lilas
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