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Sauveur Candau (Traducteur)Jacqueline Pigeot (Auteur de la postface, du colophon, etc.)
EAN : 9782358730228
80 pages
Le Bruit du Temps (27/11/2010)
4.31/5   26 notes
Résumé :
" Si par une soirée tranquille, à ma fenêtre, je pense à de vieux amis tout en contemplant la lune, et si j'entends les cris du singe, je mouille ma manche de mes larmes.
Lorsque, sur les buissons, je vois des vers luisants, c'est comme si j'apercevais au loin les feux de pêche de Makishima, et le bruit de la pluie matinale ressemble bien à celui du vent qui secoue les feuilles des arbres. Quand j'entends l'appel des faisans, j'ai l'impression d'entendre mon ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
« On naît le matin, on meurt le soir. Telle est la vie : une écume sur l'eau. »


Ce petit ouvrage est une merveille. Il touche d'entrée grâce à sa poésie, vous met dans la confidence d'un vécu traversé de souffrances et de doutes et vous amène à réfléchir à votre propre vie de manière concrète, sans prétention doctrinaire.
Kamo no Chômei (1153-1216) était le fils d'un prêtre shintoïste mais à la suite d'une querelle de famille, il ne put prendre la succession du père, ce qui lui resta toute sa vie en travers du gosier. Il se tourne alors vers la poésie et devient un fameux joueur de biwa, il entre comme secrétaire au « Bureau impérial de la poésie » mais la vie de cour le dégoute. Il devient bouddhiste. Il se retire dans les montagnes, près de Kyoto, s'installe dans une petite chaumière, une « cabane de deux mètres carrés » où il prend l'habitude d'écrire et de méditer. C'est là qu'il compose en 1212 le Hojoki qu'on traduit le plus souvent par Notes de ma cabane de moine.
Le Hojoki appartient à un genre littéraire difficilement classable au croisement de la poésie, de la chronique et de l'essai philosophique : « le zuihitsu » ou « l'écrit au gré du pinceau ». le texte est bref, une vingtaine de pages. La structure vient de Chine mais le fond est singulier, très libre. Chomei écrit à la fin de sa vie après avoir beaucoup vécu et été le témoin de terribles événements. Il débute par de magnifiques images sur l'impermanence. Puis il évoque dans un récit autobiographique toutes les catastrophes dont il a été le témoin quand il vivait dans la capitale impériale. L'incendie terrible de 1177 attisé par un typhon qui ravage un tiers de la ville. L'ouragan de 1180 qu'il compare à l'enfer et qu'il décrit de manière saisissante. La famine de 1181-82 qui s'ensuit avec son funeste cortège d'épidémies. Et le tremblement de terre de 1185 qui est la pire de toutes les calamités. Et puis il tourne en dérision la décision calamiteuse de transférer la capitale de Kyoto à Kobé. Et encore il ne parle pas des pillages et des massacres liés aux guerres de succession. Après ce récit, on comprend sans peine sa décision de se retirer dans la montagne et de vivre en ermite. Mais il n'est pas facile de trouver la sérénité, de renoncer à attendre quelque chose surtout quand on est attaché à sa petite cabane tranquille.
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(Critique de l'édition intitulée *Les Notes de l'ermitage*, traduction de René Sieffert.)

RELECTURE : LA QUESTION DE LA TRADUCTION



Énième relecture d'un très court texte, splendide, et dont je ne me lasse pas… du coup, j'avais déjà eu l'occasion d'en parler sur ce blog, sous le titre Notes de ma cabane de moine – l'essai classique de Kamo no Chômei était alors traduit par le Révérend Père Sauveur Candau, et accompagné d'une abondante postface de Jacqueline Pigeot. Je l'avais brièvement mentionné à nouveau lors de ma relecture de l'anthologie Mille ans de littérature japonaise, éditée (et traduite) par Nakamura Ryôji et René de Ceccatty – c'était en fait dans cette édition, sous le titre Écrit de l'ermitage, que j'avais découvert cette merveille, il y a de cela presque une quinzaine d'années… Mais, entre cette première lecture et celle que j'avais chroniquée ici même, j'étais régulièrement repassé par ce texte, dans une autre traduction française – et pour le coup la meilleure, je crois : celle de René Sieffert, sous le titre Les Notes de l'ermitage ; et c'est à cette version que je retourne aujourd'hui.



René Sieffert, éminent japonologue, était sans doute le plus important traducteur français de la littérature japonaise classique : rien que sur ce blog, je peux ainsi renvoyer au premier tome des Tragédies bourgeoises de Chikamatsu, aux dits de Heichû, de Hôgen, de Heiji et (surtout) des Heiké, ainsi qu'aux Contes de pluie et de lune de Ueda Akinari – mais on lui doit aussi d'autres traductions que j'ai pu aborder sans que cela ne ressorte sur ce blog, par exemple du Man.yôshû, du Conte du coupeur de bambou, ou encore (et surtout ?) du Dit du Genji, de Murasaki Shikibu, et il y aurait sans doute bien d'autres titres à mentionner (y compris dans une littérature plus contemporaine – voyez, ici, Les Belles endormies, de Kawabata Yasunari) ; je vous dirai bientôt quelques mots, d'ailleurs, de l'anthologie poétique classique De cent poètes un poème – c'est toujours du René Sieffert.



Ce traducteur méticuleux, extrêmement précis, a toutefois, ai-je l'impression, un trait caractéristique qui peut s'avérer problématique, à l'occasion : désireux de rendre au mieux la langue japonaise classique, il fait souvent le choix d'un français un peu (ou pas qu'un peu) archaïque – quitte à perdre en spontanéité ce qu'il y gagne en élégance… Des décisions mûrement réfléchies, certes, mais qui n'en sont pas moins des partis-pris, admis comme tels – voyez, dans le Dit du Genji, ce moment important de la préface où le traducteur explique avoir pris pour modèle Saint-Simon disséquant la cour de Versailles. Dans certains cas, je crains que ce ne soit un peu trop pour ma pomme – tout spécialement quand c'est de poésie qu'il s'agit ; j'aurai l'occasion d'y revenir, donc, en traitant de de cent poètes un poème, mais c'est aussi vrai du Man.yôshû, etc. (ou, d'ailleurs, et peut-être plus encore, des passages chantés des Tragédies bourgeoises de Chikamatsu) – et on peut ici l'opposer, par exemple, à Gaston Renondeau, je suppose, traducteur incomparablement moins précis, mais dont le rendu simple et sobre, par exemple dans les Contes d'Ise ou l'Anthologie de la poésie japonaise classique, parle davantage au coeur, plutôt qu'à l'intellect…



Mais, pour le coup, les choix de Sieffert traduisant le Hôjôki de Kamo no Chômei s'avèrent absolument pertinents – et, cette fois, les circonvolutions affectées de la langue n'obscurcissent jamais le propos, qui demeure limpide et sûr de bout en bout. Citons, par exemple, ces premières phrases du bref essai – que tous les Japonais connaissent par coeur, dit-on (p. 17) :



Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n'est jamais la même eau. L'écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n'est d'exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde.



Sur la grosse vingtaine de pages constituant Les Notes de l'ermitage au sens strict, la langue, d'une infinie pureté, est toujours belle et toujours juste – et finalement d'un abord simple, limpide, ce qui était bien le propos. Et c'est toujours à propos, dans les deux temps pourtant très distincts de l'essai.



CATASTROPHES : LA MAISON COMME IMAGE DE L'IMPERMANENCE DU MONDE



Je ne vais pas rentrer excessivement dans les détails (mais un peu quand même...) – d'autant que j'avais déjà mentionné pas mal de choses dans ma précédente chronique, et qui globalement demeurent « vraies » après cette nouvelle relecture, ce qui n'est certes pas toujours le cas… Je vous y renvoie donc si jamais vous désirez d'autres commentaires nébaliens sur ce texte que j'adule.



Rappelons simplement que l'essai, passé l'image initiale envisagée plus haut, s'ouvre sur une litanie rapportant les catastrophes essentiellement naturelles qui, en l'espace d'une dizaine d'années à peine, ont affecté voire détruit encore et encore la capitale, Heian (future Kyôto) : un immense incendie, un redoutable typhon, deux années de famine faisant des dizaines de milliers de morts dans la seule capitale impériale (les chiffres avancés par Kamo no Chômei paraissent semble-t-il crédibles aux exégètes), et enfin un terrible tremblement de terre, sans précédent nous dit l'auteur, et dont les répliques se sont fait sentir pendant trois mois…



À ces catastrophes naturelles, toutefois, Kamo no Chômei adjoint étrangement (ou pas...) la tentative très malvenue du tyran Taira no Kiyomori, alors au faîte de sa puissance, de déplacer la capitale – et c'est la seule véritable allusion au chaos politique du Japon d'alors, qui basculait de la société aristocratique de Heian à la civilisation médiévale des guerriers, et d'abord celle de l'époque du shogunat de Kamakura (en 1212, quand Kamo no Chômei écrit son classique, on est en plein dedans) ; désir, peut-être, de ne pas trop se mouiller ? La littérature du temps en est pourtant bien autrement affectée, dans l'ensemble – des Histoires qui sont maintenant du passé visant à convertir le peuple à la foi bouddhique, en ces temps troublés qui ne peuvent être que ceux de la « fin de la loi » prophétisée par le Bouddha historique (j'y reviendrai), aux premiers états (car il ne serait fixé par écrit que bien plus tard) du « cycle épique des Taira et des Minamoto »… En même temps, le lien se fait tout naturellement avec la pièce maîtresse de ce dernier, le Dit des Heiké ; la métaphore de l'eau représentant le temps, et de la maison représentant l'impermanence de toute chose (mujô – c'est la notion-clef, d'inspiration bouddhique), chez Kamo no Chômei, trouve un écho dans les premières lignes de la chronique guerrière, qui en déroulent le propos en guise d'avertissement – citons-les à nouveau (traduction de René Sieffert là aussi, donc) :



Du monastère de Gion le son de la cloche, de l'impermanence de toutes choses est la résonance. Des arbres shara la couleur des fleurs démontre que tout ce qui prospère nécessairement déchoit. L'orgueilleux certes ne dure, tout juste pareil au songe d'une nuit de printemps. L'homme valeureux de même finit par s'écrouler ni plus ni moins que poussière au vent.



La gloire et la décadence des Taira illustrent donc exactement le même propos que les maisons sans cesse bâties, sans cesse détruites, dans le Hôjôki.



LA SÉRÉNITÉ DE L'ERMITAGE (OU : KAMO NO CHÔMEI 1 – THOREAU 0)



Toutefois, Kamo no Chômei ne s'en tient pas là – la deuxième partie de son essai est consacrée à sa vie en tant qu'ermite (il s'est « retiré du monde », et sans doute un peu par dépit et rancoeur, vers l'âge de cinquante ans) dans une minuscule cabane, et même de plus en plus petite à mesure que les années passent (le titre originel de Hôjôki renvoie à une unité de mesure des surfaces, dimension qui ne ressort pas des traductions françaises) ; Kamo no Chômei nous parle alors des bienfaits du détachement… Mais avec une extrême simplicité, quelque chose d'un peu bonhomme, qui le rend extrêmement sympathique. Moine mais pas dévot (il prie le Bouddha et prononce le saint nom d'Amida… quand il y pense, de son propre aveu), Kamo no Chômei n'a (ici, du moins...) rien d'un prédicateur intransigeant, blâmant la moindre faute chez son « semblable » et lui promettant plus qu'à son tour l'enfer ou une mauvaise renaissance… Non que ces questions ne le préoccupent pas : les Récits de conversion qui concluent cette édition montrent assurément qu'il y attachait de l'importance – mais sur un ton finalement assez doux, et, peut-être surtout, lumineux ; sans se faire non plus d'illusions sur son propre cas – on l'imagine sourire un brin, quand, en dernier recours, il fait cet aveu que sa cabane lui plaît bien, beaucoup même, et que cela démontre qu'il n'est pas suffisamment « détaché » ; on devine qu'il pourrait aussi s'adresser ce reproche pour continuer, dans ces conditions, de jouer de la musique (on sait qu'il était un musicien accompli), de composer de la poésie (il n'était ici pas sans talent, mais tout de même davantage médiocre dans ce registre), ou, bien sûr… d'écrire Les Notes de l'ermitage.



La sérénité l'emporte pourtant – une sérénité finalement souriante, oui, même après la litanie des catastrophes : le plaisir tout simple de contempler de beaux paysages – ne pas craindre la mort, ne pas être pressé non plus de mourir – observer les animaux, discuter avec un enfant… On a souvent comparé, et sans doute à bon droit, Les Notes de l'ermitage de Kamo no Chômei au Walden de Henry David Thoreau – mais le ton du premier est bien plus charmant que celui du second, en ce qui me concerne ; l'expérience de l'Américain, bien moins « totale » (il ne restait en fait pas dans sa cabane, se rendait régulièrement en ville ou recevait chez lui, il y avait un biais d'emblée du fait du projet littéraire, etc.), suscite certes de fort belles pages consacrées à la nature, qui relient les deux oeuvres, mais, dans sa « philosophie », Thoreau a souvent quelque chose d'un pénible donneur de leçons – pas Kamo no Chômei, et ce quand bien même c'est peut-être (voire probablement) son aigreur qui a décidé de son retrait du monde. Il a le sourire aimable et complice d'un bouddha. La litanie des catastrophes, dès lors, ne s'avère pas si apocalyptique, peut-être – voire pas si pessimiste qu'elle en a l'air ? C'est un constat, empreint de tristesse et de douleur assurément, et pourtant il demeure une échappatoire accessible à tous, dans ce détachement tout philosophique qui peut nous ramener, nous Occidentaux, à un Épicure. Et c'est toujours un constat, davantage qu'une leçon, mais à un deuxième niveau, car essentiellement intime : Kamo no Chômei communique une expérience – mais c'est au lecteur de décider qu'en faire, un lecteur que l'on ne brusquera pas. Finalement, peut-être Kamo no Chômei est-il ici inspiré, d'une manière ou d'une autre par d'autres courants philosophico-religieux de l'Extrême Orient classique – le taoïsme, tout spécialement, et son principe de non-intervention ? Je n'ose pas m'avancer davantage sur ce terrain dont je ne sais au fond rien…

UN APERÇU DES RÉCITS DE CONVERSION



René Sieffert, cependant, a complété ici le très bref Hôjôki par une sélection d'autres textes de Kamo no Chômei – une cinquantaine de pages (soit deux fois plus que Les Notes de l'ermitage à proprement parler) d'extraits de son Hosshinshû, ce que le traducteur rend par Histoires de conversion. Je ne m'étendrai pas sur la question, j'y reviendrai probablement un de ces jours en vous parlant de l'oeuvre entière, car elle a été éditée depuis, sous le titre Récits de l'éveil du coeur, aux éditions du Bruit du Temps (où l'on trouvait donc aussi le Hôjôki, sous le titre de Notes de ma cabane de moine).



C'est un texte plus difficile à aborder : la limpidité du Hôjôki est telle que, même si c'est un texte forcément ancré dans sa culture et dans son temps, comme tout texte, il acquiert bien vite une dimension universelle pouvant dispenser le lecteur de se référer sans cesse à d'érudites notes de bas de page. C'est (beaucoup) moins vrai pour le Hosshinshû, dont les quelques extraits sélectionnés ici m'ont souvent paru hermétiques…



Comme mentionné plus haut, je suppose que l'on peut faire un lien entre ces récits et ceux contenus dans un autre ouvrage compilé approximativement à la même période : les Histoires qui sont maintenant du passé (Konjaku monogatari). le chaos de la fin de l'époque de Heian (soit pour nous la seconde moitié du XIIe siècle) apparaît, pour beaucoup, comme l'illustration de ce que, disons, « la fin des temps est proche ». Il s'agit donc de « sauver » les hommes, en leur enseignant la loi bouddhique – car le bouddhisme, jusqu'alors, avait essentiellement touché l'aristocratie : dans les campagnes, cette foi avait bien moins pénétré, et les paysans s'en tenaient pour l'essentiel au shintô, alors pas le moins du monde constitué et peut-être même pas désigné ainsi. Noter au passage que Kamo no Chômei était le fils du desservant d'un important sanctuaire (shintô, donc), auquel il n'a pu succéder pour de complexes raisons politiques ; il s'est fait ermite (bouddhiste) tardivement, car il avait d'abord cherché à obtenir d'autres charges du même ordre, sans succès ; la biographie de l'auteur illustre ainsi le syncrétisme japonais. Mais revenons aux Histoires qui sont maintenant du passé : les moines au biwa, itinérants (et qui joueraient plus tard un rôle fondamental notamment avec le Dit des Heiké, colporté et transmis de la même manière), prirent donc sur eux de prêcher l'enseignement bouddhique au peuple. Pour ce faire, ils avaient recours à des histoires, souvent voire systématiquement merveilleuses, destinées à l'édification – des récits conçus de toutes pièces, que l'on disait s'être produits il y a bien longtemps en Inde (un pays où aucun Japonais n'avait jamais mis le pied, ce qui autorisait toutes les fantaisies), en Chine ou au Japon (avec, dans ce dernier cas, abondance de références historiques et culturelles supposées garantir « l'authenticité » des miracles rapportés). On y vantait les vertus du Sûtra du Lotus, et plus généralement des Trois Joyaux : le Bouddha, son enseignement, les moines qui le transmettent.



Kamo no Chômei me paraît s'inscrire dans cette tendance avec son Hosshinshû : il y narre nombre de brèves histoires visant à l'édification, et illustrant les principes fondamentaux du bouddhisme, la causalité et la bienveillance, ainsi que, plus précisément, de la doctrine amidiste (comme souvent les Histoires qui sont maintenant du passé), assurant à tout un chacun le salut à la condition de prononcer en toute sincérité au moins une foi dans sa vie le Namu Amida-butsu. Rappelons, de manière plus générale, que c'est alors une époque d'intense activité religieuse – où deux courants majeurs du bouddhisme japonais, l'amidisme et le zen, quand bien même tous deux originaires du continent, acquièrent des traits propres à la culture religieuse de l'archipel (je vous renvoie si jamais à l'Histoire du Japon médiéval de Pierre-François Souyri, qui contient de passionnants développements relatifs à cette question fort complexe). Mais, contrairement aux Histoires qui sont maintenant du passé, les Récits de l'éveil du coeur de Kamo no Chômei, ai-je l'impression, ne sont pas systématiquement merveilleux – même s'ils le sont souvent.



Je crains cependant de ne pas pouvoir en dire plus ici – car le propos de nombre de ces récits m'échappe. Certains sont très explicites : ici, la jalousie, là, la vanité, font que telle femme ou telle homme, qui présentait pourtant aux yeux de tous un véritable caractère de sainteté, se réincarne en un tengu ou une sorte de serpent en punition de ses mauvais penchants ; par contre, la sincérité, la générosité, la bienveillance, assurent à tous, même à ceux qui ont d'abord mené une « mauvaise vie » (litote, on parle régulièrement de criminels), « une heureuse renaissance » dans la Terre Pure, le paradis d'Amida, situé à l'ouest.



Mais d'autres textes sont bien davantage ambigus, et d'une morale plus difficile à trancher… À moins que ce ne soit d'emblée une erreur de les envisager ainsi ? Après tout, même le Konjaku monogatari, dans son ultime partie japonaise, délaissait en dernier ressort les Trois Joyaux pour narrer des histoires dites « vulgaires » (au sens de « profanes », mais parfois bien crues, oui...) – de ces récits qui enchanteraient, plus tard, un Akutagawa Ryûnosuke (on en a des exemples dans Rashômon et autres contes, surtout, ainsi que dans La Vie d'un idiot et autres nouvelles, si je ne m'abuse, et ailleurs aussi je suppose). Mais est-ce cela ici ? Je n'en suis franchement pas persuadé, en fait…



À l'évidence, ces récits ne m'ont pas autant parlé que le Hôjôki – de manière générale, ils sont forcément plus « dévots », et donc moins universels, ou en tout cas touchent bien moins un agnostique dans mon genre… Si je saisissais davantage le propos de l'auteur, histoire par histoire, peut-être cela me toucherait-il davantage ? Un de ces jours, je compte bien lire les Récits de l'éveil du coeur, et de manière plus… « scientifique » ? Bon, on verra.



TOUJOURS AUSSI BEAU ET FORT



Qu'importe : pour l'heure, c'est le Hôjôki qui m'intéresse. Et ce très court texte me paraît toujours aussi beau, toujours aussi fort.



Non que je compte m'en inspirer pour guider ma bien navrante vie, hein ! Je ne me retirerai certainement pas dans un ermitage, quant à moi – même si mon appartement n'est certes pas exactement un lieu de passage. Et le détachement, bon... Pas vraiment. Et, bi
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C'est malheureusement dans une version tronquée, faite d'extraits, sur Internet, que j'ai abordé ce livre. Ma critique peut donc en être faussée. Mais en attendant de lire ce texte dans une édition intégrale, je m'en contente pour le moment. Et c'est un réel plaisir de lire cet auteur qui s'inscrit pleinement dans la lignée des écrits bouddhistes, contemplatifs, basés sur une description de la nature. C'est pour fuir une époque particulièrement troublée, faite de guerres, de tremblements de terre... mais aussi par déception de ne pouvoir obtenir un poste de responsable bouddhiste, que l'auteur à la fin de sa vie décide de se réfugier dans un ermitage dans la montagne loin de l'agitation et des turpitudes du monde. Je m'identifie pleinement à sa démarche. Par ailleurs, j'apprécie sa manière très poétique de présenter les choses et de décrire l'impermanence de notre pauvre existence humaine, qui, il faut bien le dire, ne vaut pas grand-chose, n'en déplaise à certains. En effet, qu'est-ce que l'Humain sur l'échelle des temps géologiques, face à la démesure de la nature, face aux catastrophes passées et à venir… ? La sagesse nous enjoindrait de ce fait à un peu plus d'humilité. C'est ce que Kamo no Chomei nous propose. Ses descriptions des cadavres en décomposition éparpillés sous les décombres à Kyoto, opposées à celles de son refuge minimaliste, nous offrent un contraste saisissant. Comment ne pas faire le lien avec notre époque ?
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Ce court texte nous permet d'effleurer le quotidien d'un moine bouddhiste du Japon moyenâgeux. On trempe notre doigt de lecteur à la surface de ses jours transitoires. Il les compare (comme toute l'impermanence du monde) à un nuage d'écume « qui flotte dans les remous » avant d'être englouti.

« Je considère mon être comme un nuage flottant ; je ne compte pas sur lui, et je ne le dédaigne pas. Toute la joie de ma vie repose sur l'oreiller où je goûte un sommeil léger ; tout l'espoir de ma vie réside dans les beautés des saisons. »

Pour atteindre cette légèreté, il faut beaucoup de force quand on a connu le monde des hommes et toutes ses catastrophes, dont la description compose une bonne moitié du texte. A travers les tourments des autres, Kamo No Chômei (c'est le nom de notre moine) suggère sans la révéler une histoire personnelle emplie de honte, qui lui a fait perdre foi en l'amitié et le fait même douter de sa piété.

« Mieux vaut avoir pour amis la harpe et les flûtes, la lune et les fleurs »

La pudeur du texte et sa simplicité rejoignent le dénuement de la vie du moine, ce qui suggère une pratique rigoureuse de sa foi, même s'il affirme ne pas se donner de règles. Les quatre éléphants de Foughenn (Puxian / Samantabhadra) semblent maintenir l'écume à la surface encore quelques temps. Plastronné sur l'armoire de la cabane, ce bodhisattva (et d'autres) participent du feng shui de Kamo No Chômei. Ses pensées pérégrinent vers l'ouest à travers sa fenêtre d'où descend la lumière d'Amida.
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Un classique qui date du XII ème siècle et qui aujourd'hui parle à tous. Traduit de belle façon par le Révérend Père Sauveur Candau.

Qui est Kamo ? Un lettré du Bureau de la poésie qui après bien des déconvenues décide de se retiré dans un ermitage, une cabane et d'y vivre dans la simplicité.
Il décide de "quitter le monde", de choisir " la voie du renoncement" et ce retrait, cet isolement nous donne un texte dépouillé, simple, d'une grande poésie, apaisant pour l'esprit
Vivre au plus près de la nature et s'en contenter car dit-il "l'ambition de toute ma vie est de pouvoir, selon les saisons, contempler un beau paysage" sentir le passage des saisons " En hiver, je contemple la neige, qui s'accumule ou non, comme nos péchés qui apparaissent et disparaissent " sans pour autant oublier le monde " Si par une soirée tranquille, à ma fenêtre, je pense à de vieux amis tout en contemplant la lune, et si j'entends les cris du singe, je mouille ma manche de mes larmes "
Cet homme qui vivait à une époque troublée, mais laquelle ne l'est pas ?, cet homme nous donne un leçon de sagesse, nous propose de vivre conscient de " l'impermanence de toutes choses en ce monde et la précarité de sa propre vie »
A qui s'adresse ce petit livre ? à toute personne qui " approfondirait ses pensées et essaierait d'acquérir un savoir profond "

Un de ces petits livres indispensables dans une bibliothèque
Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
Le malheureux qui est sous la protection d’un grand peut avoir des moments de délices, mais non pas un solide bonheur. Il ne peut pas pleurer, crier lorsqu’il souffre. Ses mouvements ne sont pas toujours faciles ; assis ou debout, il a peur. Tel un moineau proche d’un nid de faucon. Si un pauvre homme se trouve auprès d’une riche maison, qu’il sorte de chez lui ou qu’il y entre, matin et soir il se sent humilié et honteux de son aspect misérable. Sa femme, ses enfants, ses serviteurs envient cette famille dont l’air orgueilleux trouble son esprit. Si l’on demeure en un endroit resserré, on ne peut échapper à l’incendie voisin ; si l’on habite un lieu éloigné de la capitale, on a l’ennui d’y aller et d’en revenir, et parfois on subit la visite des voleurs. Si l’on est puissant, on devient avare ; si l’on est solitaire, on est méprisé des autres. Si l’on est riche, on est toujours soucieux ; si l’on est pauvre, on manque toujours de quelque chose. Si l’on dépend d’un autre, on est son esclave ; si l’on protège quelqu’un, on se voit obligé de l’aimer toujours. Vouloir plaire au monde, c’est se fatiguer soi-même ; contrarier l’opinion, c’est passer pour fou.

(Traduction Michel Revon, wikisource)
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Dans la 2e année de l’ère Ghennréki, il y eut un grand tremblement de terre. Il fut exceptionnel. Les montagnes étaient fracassées et venaient combler les rivières ; la mer se soulevait et envahissait la terre ; la terre se crevassait et l’eau en sortait ; les rochers brisés roulaient dans les vallées ; les bateaux qui côtoyaient les rivages y étaient portés par les vagues ; les chevaux sur les routes ne savaient où poser le pied. Dans la capitale, de tous côtés, les temples, les pagodes, les monastères, les chapelles mortuaires, rien n’était épargné : les uns étaient lézardés, d’autres renversés ; et de ces débris, cendres et poussières s’élevaient comme de la fumée. Le grondement de la terre tremblante et le fracas des bâtiments croulants étaient comme le tonnerre. Si l’on restait dans sa maison, on avait peur qu’elle ne s’abattit ; si l’on s’en échappait, la terre s’ouvrait sous les pas : et point d’ailes pour s’enfuir au ciel, nul moyen de monter, comme le dragon, parmi les nuages ! Certes, entre toutes les choses terribles, le tremblement de terre vient en premier lieu.

(...)

Alors tous les hommes semblèrent convaincus de l’incertitude de la vie. Je croyais qu’ils deviendraient plus pieux. Mais les jours et les mois passèrent ; et maintenant, après quelques années, on n’en parle plus.
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Depuis que j'ai quitté le monde, et que j'ai choisi la voie du renoncement, je me sens libre de toute haine comme de toute crainte. J'abandonne ma vie au destin, je ne désire, ni vivre longtemps, ni mourir vite. J'assimile ma vie à un nuage inconsistant, je n'y accroche pas mon espoir et n'éprouve pas non plus de regret. Pour moi le plaisir suprême est celui que j'éprouve sur l'oreiller d'une sieste paisible, et l'ambition de toute ma vie est de pouvoir, selon les saisons, contempler un beau paysage.
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Quand je ne suis pas disposé à faire la prière ou à lire les saintes écritures, je me repose à ma fantaisie ; personne pour m’en empêcher, et point d’ami devant qui je puisse éprouver de la honte. Sans avoir fait vœu de silence, je me tais, étant seul. Sans règle définie, les circonstances m’empêchent de violer les commandements. Le matin, si je vais regarder les blanches vagues, j’imite les pensées du novice Mannsei contemplant les bateaux d’Okanoya. Le soir, lorsque le vent agite les feuilles des katsoura, je pense aux eaux de Jinyô et j’imite le style de Ghenntotokou. Quand je me sens en train, je joue l’air du « Vent d’automne » de concert avec le bruit des pins, ou l’air de la « Fontaine qui coule » uni au murmure de l’eau qui passe. Je n’ai point de talent, mais je ne m’efforce pas de charmer les oreilles des autres : je joue pour moi-même, je chante pour moi-même, et je console mon cœur.
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Ces hommes qui naissent ou qui meurent, qui sait d’où ils viennent et où ils vont ? En cette demeure passagère, savent-ils pour qui ils peinent, ou avec quoi ils charment leurs yeux ? Du maître ou de l’habitation, on ne peut dire quel est le plus changeant. Tous deux sont comme la rosée sur le visage-du-matin. Tantôt la rosée tombe et la fleur reste : mais la fleur se flétrit au soleil matinal. Tantôt la fleur se fane et la rosée demeure : mais la rosée disparaît avant le soir.
(Traduction Michel Revon)
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Video de Kamo No Chomei (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Kamo No Chomei
Kamo no Chômei: "Notes de mon carré de dix pieds". Lecture par Armen Godel (17.01.2013).
C’est un « mémorial plein de fraîcheur et de sentiment que l’on pourrait comparer aux livres de l’américain Thoreau » ou aux Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau qu'Armen Godel donnera à entendre à la MRL. L’homme de théâtre et écrivain lit l’intégrale des Notes de mon pré carré (Hôjò ki), un chef d’œuvre de la littérature mondiale rédigé en 1212 par Kamo no Chômei.
Alors que le Japon traverse une période de bouleversements, Kamo no Chômei, moine, poète, et musicien se retire dans un petit ermitage sur la montagne de Hino, au sud de Kyôto. Au cours de ce séjour empreint de bouddhisme il écrit l’essentiel de son œuvre. Dans Notes de mon carré de dix pieds, il relate les événements douloureux dont il fut le témoin ainsi que le bénéfice qu’il retire de sa vie contemplative d’ermite. Au fil du récit autobiographique s’élabore un regard renouvelé sur le monde, qui trouve écho aujourd’hui encore, précisément 800 ans après sa composition.
L’œuvre de Kamo no Chômei (1155 – 1216) est considérée comme l’un des fondements de la littérature classique japonaise. Armen Godel lira Hôjô Ki dans une version française qu’il a lui-même établie à partir de l’original en japonais et de la traduction du Révérend Père Sauveur Candau, parue sous le titre Notes de ma cabane de moine.
Comédien, metteur en scène et écrivain, Armen Godel est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés au théâtre nô : Le Maître de nô (1989), Joyaux et fleurs du nô (2010), La Maison Kizuki et autres rencontres théâtrales (2011).
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