Que la grande majorité des hommes (y compris le sexe faible tout entier) tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c'est une chose pénible, c'est à quoi s'emploient fort bien les tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer une haute direction sur l'humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n'aient pas la permission d'oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace, si elles essaient de s'aventurer seules au dehors.
La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les ait affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère (naturaliter maiorennes), restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu'il soit si facile à d'autres de se poser en tuteurs des premiers.
L'homme a un penchant à s'associer, car dans un tel état, il se sent plus qu'homme par le développement de ses dispositions naturelles. Mais il manifeste aussi une grande propension à se détacher (s'isoler), car il trouve en même temps en lui le caractère d'insociabilité qui le pousse à vouloir tout diriger dans sons sens; et, de ce fait, il s'attend à rencontrer des résistances de tous cotés, de même qu'il se sait par lui-même enclin à résister aux autres.
C'est l'une des découvertes essentielles de Kant, l'idée qu'il existe un mobile sensible, qu'il nomme le respect, susceptible de relier les êtres humains à la loi morale. Une exigence qui est au coeur de l'éthique contemporaine, du rap au sport en passant par les luttes contre les discriminations.
Martin Legros, rédacteur en chef à Philosophie magazine, présente cette notion en vidéo ! Retrouvez son article en intégralité dans notre hors-série spécial Kant, en kiosque jusqu'au 8 mai.