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Critique de Lililaluize


Delhi, ville tumultueuse au double visage, quinze millions d'âmes adeptes du Bollywood regardent en face, sans ciller, la misère périphérique qui gangrène, en totale transparence, les lieux aux bidonvilles rasés des multiples quartiers pour promouvoir un "fleuron du pays ".
Les castes s'empiffrent, les intouchables flirtent avec la famine, du charme féerique d'une Inde fascinante émerge le monde du chaos.
Age of Vice est l'histoire d'une culture aux multiples facettes, ensorcelante et terrifiante, Age of Vice, c'est une des voix de l'Inde des années 2000.

Ajay, tout jeune garçon issu d'une famille pauvre est vendu comme travailleur par sa mère suite au meurtre de son père et le viol de sa soeur par deux caïds.
D'une vie de boy en Uttar Pradesh jusqu'à Goa, il devient la chose attitrée d'un puissant, Sunny Wadia... Jusqu'à un accident tragique à bord d'une Mercedes, puis la prison...
Mais qu'est ce qu'être enfermé entre quatre barreaux quand on a été privé de liberté depuis toujours ?

Deepti Kapoor décrit la noirceur de l'inde ancrée dans cette culture des castes qui, contrairement aux idées reçues ne sont toujours pas abolies.
Forte ambivalence (ou hypocrisie ? ) du pouvoir qui pourtant dans sa constitution de 1950 prône l'égalité des citoyens en interdisant la discrimination liée aux castes... Sujet de tension permanent face aux quotas dictés par un gouvernement visant l'insertion qui ne font que diviser une société en pleine expansion.
C'est par le biais d'une écriture saisissante que Kapoor s'empare de ce sujet et dresse le tableau d'une mégapole des extrêmes faite de violence, de corruption et d' exploitation.
Apparaît au milieu de ce désordre les blessures profondes qui, elles, ne font aucune distinction de classes, chacun appartient à quelqu'un, tous rêvent de naître ou renaître, plus forts pour certains, plus riches pour d'autres.
Les chemins se croisent et tissent une toile commune dans laquelle l'araignée se confond avec la mouche dans le but d'obtenir pouvoir, réparation et vengeance.
Est-ce le drame des mal nés pour qui le mot "destin" est un vague concept toujours en 2023 malgré quelques exemples bien choisis afin d'alimenter une communication positive, qui poussent les dalits ( les intouchables) à cette éternelle soumission proche de l'esclavage, s'interdisant tout rêve au relent d' imposture , ou, le drame des puissants portant le poids d'une caste à maintenir à flot au milieu de leurs semblables prêts à tout pour régner, l'avillissement du pouvoir gangrenant leur propre raison et actions ?
Fracture d'un système, maladie chronique d'un ordre établi qui tangue dangereusement.
L'inde n'arrive pas à se défaire de son cancer généralisé.

Débauches décomplexées dans le luxe rutilant jusqu'aux geôles insalubres,
sévices étouffés par les petites mafias véreuses aux mains des dominants,
excès criminels sur des âmes déchues qui ne valent plus rien.
Ainsi va la plaque tournante du crime organisé à tous les niveaux.

Deepti Kapoor nous offre une trame à plusieurs voix dont la rythmique effervescente et le style incisif nous plongent dans les contradictions qui habitent les esprits. Sa critique étayée de tout un système met en exergue les contestations diverses, des divergences dont naissent les réflexions, le paradoxe et le non-sens d'un appareil qui broie.
Ses personnages ne sont pas en reste et c'est avec une profonde maitrise que chacun ajoute sa pierre à cet édifice avec cette grandeur qu'elle leur apporte, cette perfection dans les dialogues jamais vides de sens.
Kapoor ne s'économise pas, elle attaque de front un chantier aux multiples visages à une cadence endiablée et déchaînée à l'image d'un Dehli en permanence sur les feux ardents dont personne ne sait si la lumière brûlera jusqu'à demain...

Je crois que le ton est donné...
J'ai été fascinée par ce livre et sûrement que le fait de connaître ce pays m'a permis de le vivre une immersion bien plus intense.
Certes ce livre n'en évoque que la noirceur et le parti pris est complètement entendable d'un point de vue politique doublé d'une structure se basant sur le thriller , mais toujours entre les lignes résonne le clairon d'une culture bien plus complexe dont la beauté philosophique des traditions n'a que peu d'égal.
L'Inde, que j'affectionne, est revenue me chatouiller et Deepti Kapoor par sa justesse du rendu m'a littéralement impressionnée.

600 pages de pure réussite.
Un coup de coeur monumental pour ce livre aussi éloquant qu'imposant.


Extrait.
"C'est Kali Yuga, l'ère de la perte, l'ère du vice . Les gens au bord de la route ne ressusciteront pas. le bébé ne verra pas le jour. Les Gautam de ce monde prospéreront. Les Ajay de ce monde trinqueront toujours pour les autres. Et Sunny? Je ne sais pas. Je ne sais plus rien. La roue va continuer à tourner vers la dissolution qui nous engloutira tous. "




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