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Critique de VincentGloeckler


Une aguichante couverture, comme de velours mauve brodé d'un délicat brochet rose se mordant la queue -et oui, ce n'est pas rien, parfois, cette enveloppe du livre, pour appeler le désir d'y entrer – comme une peau que l'on retrousserait doucement pour déguster la chair fabuleuse de ce poisson de mots, chèrement conquis… Très bonne pêche, assurément, ce roman qui nous emmène dans « l'inepte Laponie orientale », un territoire disputé par les moustiques et les taons, voire par d'autres créatures beaucoup plus effrayantes encore, l'une des lectures les plus singulières de cette rentrée littéraire, un récit allègre et inventif, nourri d'autant de drôlerie que d'étrangeté ! Vous rêviez de la Laponie, son côté village du Père Noël, ses folkloriques Sâmes, ses sémillants troupeaux de rennes au bord de lacs immaculés ? Eh bien, vous pourrez réécrire les pages de votre imaginaire lapon, en suivant Elina, la protagoniste de l'histoire, de retour dans sa région natale, un enfer nauséeux où l'on ne pénètre qu'après avoir franchi une barrière plutôt dissuasive, gardée par une sentinelle ronchonne. La jeune femme revient au village, comme chaque été, depuis plusieurs années et son départ afin d'étudier et travailler dans le Sud du pays, pour accomplir une intrigante mission. Elle a, en effet, trois jours, et pas un de plus, pour pêcher, au coeur d'un étang vaseux, un petit brochet, seul et unique représentant de son espèce au milieu du marais. Commence alors une redoutable épreuve, aussi dramatique pour notre héroïne qu'elle est cocasse pour le lecteur… Car le brochet, au propre comme au figuré, lui donne du fil à retordre, et tandis que son pied blessé la tourmente sans cesse, que d'affreux animaux-ventouses sucent et avalent ses bottes au fond du marigot, que moustiques et taons se révèlent les pires des vampires, un ondin, surgi de « l'autre monde » et se prétendant le gardien des lieux, vient lui imposer avec morgue et violence un odieux marché. La première journée de pêche s'achève ainsi sur un échec et la promesse de lendemains difficiles… Mais alors que l'on devine peu à peu quelle malédiction la jeune femme est censée combattre en pêchant sa proie, elle s'accroche à sa quête, quitte à devoir affronter la mémoire et les conséquences d'une histoire d'amour mal terminée avec Jousia, son premier compagnon, quitte à devoir, surtout, résister à l'hostilité de tout un peuple de créatures surnaturelles, grabuges, teignons ou pieds-rayés, surgissant des marais pour défendre leurs prérogatives. L'aventure se complique davantage encore, quand apparaît dans le paysage Janatuinen, une inspectrice de police à sa recherche, depuis qu'elle la soupçonne d'une tentative de meurtre… de quoi nous tenir en haleine, dans cet improbable rififi chez les ploucs lapons, au coeur d'un foutu pays-cloaque, où la mère d'Elina, réputée sorcière, affirmait que le brochet était l'entremetteur entre notre monde et celui du dessous. Oui, on ne sait plus très bien dans ce récit fantastique, cette épopée parfois picaresque, où sont les frontières entre les mondes, l'humain et le surnaturel, le réalisme et la magie, et c'est tant mieux, quand la sévère policière finit par apprivoiser un inquiétant teignon, le transformant en affectueux toutou accroché à ses basques, quand le lecteur hésite entre le rire et les larmes, quand, derrière la tragico-farce, il y a peut-être aussi la meilleure des injonctions à nous inviter à mieux protéger cette nature vulnérable, notre demeure. Arto Paasilina peut reposer tranquille, son esprit, mélange d'intelligente lucidité, d'humour féroce et d'aimable tendresse, a trouvé digne héritier, ce Juhani Karila à la plume joyeuse !
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