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Critique de Erik35


Erik35
01 septembre 2017
POM-POM-POM-POM...

C'est en particulier par l'entremise de la publication d'un recueil drôle et féroce de "à la manière de..." que l'écrivain hongrois Frigyes Karinthy, auteur du célèbre "Voyage autour de mon crâne", se rendit très largement populaire dans son pays. Tour à tour journaliste, romancier, nouvelliste, poète, humoriste et dramaturge, cet écrivain touche à tout, humaniste libertaire mais sans dogmatisme, universaliste défendant, par exemple, l'émergence d'une langue nouvelle commune - en l'occurrence l'espéranto -, c'est donc à un petit exercice allant chasser sur les plate-bandes du célèbre britannique Jonathan Swift et de ses non moins célèbres Voyages de Gulliver que notre polygraphe hongrois se prête ici.

Notre héros anglais, toujours dans une forme exemplaire malgré les siècles passés, est devenu chirurgien et, malgré son peu d'empressement à se retrouver mêlé à cette guerre effrayante (la "première" mondiale), celui-ci se retrouve à bord d'un bâtiment de guerre de Sa Royale Majesté, qu'une mine allemande fera couler. Menaçant de se noyer, Il va cependant parvenir à s'échapper in extremis du navire en perdition à bord de l'hydravion du capitaine. Ce dernier ayant perdu la vie dans cette échappée, tout en maintenant le manche sans relâchement, provoque une ascension infernale de l'appareil vers des hauteurs vertigineuses. Gulliver est à deux souffles d'y perdre lui-même la vie mais sera recueilli par un représentant ailé de cette bizarre race d'être vivant que sont les habitants de Faremido, les très mécaniques, mais intelligents, Sollasis.

A la charnière entre le Gulliver original et un conte philosophique voltairien, dont l'auteur était un admirateur, - on ne peut s'empêcher de songer à Micromégas -, Karinthy explore les tréfonds de la destiné et de l'âme humaine en la confrontant à des êtres parfaitement imaginaires, des espèces de divinités de métal proches de la perfection car, s'il connaissent aussi maladie et vieillissement, leur fonctionnement interne de même que les éléments extérieurs dénués de toute biologie leur permet des améliorations incessantes, des changements de pièces comme on le ferait d'une vulgaire machine, évitant à ces "Robots" avant l'heure, les affres de nos propres petites existences inévitablement limitées dans le temps.

L'auteur va alors se livrer à une série de réflexions sur l'humanité, sur la recherche de la connaissance, la vie et la mort, la capacité assez vaine qu'on les hommes à réfléchir sur la réflexion, à se contempler dans les miroirs de leurs savoir plutôt que de s'exercer à une intelligence prospective et positive, sur la communication, etc. Et même si notre hongrois se perd parfois dans des digressions incessantes, dans des coq-à-l'âne un peu épuisants, il n'en demeure pas moins vrai que plusieurs des spéculations intellectuelles qu'il émet, souvent exprimées à bâton rompu entre son petit humain tour à tour émerveillé ou plongé dans l'incompréhension et le Mentor, Midoré, qu'il s'est trouvé sur cette planète fantastique, retiennent très obstinément l'attention et l'intérêt du lecteur. Ainsi en est-il des spéculations sur les mathématiques musicales (les Sollasis s'expriment par le biais des notes de musique...), qui préfigure d'ailleurs, avec presque dix ans d'avance, les théories d'Arnold Schönberg sur la musique sérielle et le dodécaphonisme ; il en est de même avec les compte-rendus des dialogues consacrés aux enjeux du langage, à son rôle psychologique et culturel ; idem sur les problèmes posés par les difficultés voire l'impossibilité de communiquer réellement entre les êtres.

D'un humour moins tranchant que d'autres textes de lui, d'une lecture parfois légèrement laborieuse, ce petit roman de moins de quatre-vingt pages, judicieusement publié par les Editions Cambourakis dans une traduction donnée par judith et Pierre Karinthy n'en est pas moins une petite perle de pensée philosophique pratique et prospective, marque d'un écrivain aussi éclectique que génial, sachant tout aussi bien s'inscrire dans une tradition littéraire vieille de plusieurs siècles qu'il préfigure ce que l'on qualifierait un peu plus tard (et même si le terme existait, bien que fort peu usité alors) de science fiction.

Une de ces petites sucreries littéraire que l'on ne regrette jamais d'avoir découverte, malgré son goût modestement suranné.
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