Elle aurait pu rester plantée toute la nuit dans la neige à les sermonner sur le caractère fugitif de la jeunesse, les dangers de ce monde, l’importance croissante de chaque acte posé dans cette vie, le fil ténu, si facilement tranché, entre la vie et la mort, ou simplement sur l’importance d’être respectueux de ses aînés, ils n’en auraient rien entendu.
On pouvait vivre avec le chagrin s’il ne s’accompagnait pas de regret.
Jeff était un homme exceptionnellement séduisant - de haute taille, les yeux vert olive, une crinière de cheveux bruns. Mais Mira le trouvait aussi séduisant qu'un mannequin de catalogue présentant des sous-vêtements masculins. Bien sûr, on y regardait à deux fois, mais le problème était que l'on vivait dans un monde à trois dimensions, alors qu'il n'était qu'une surface lisse et glaçée.
La mort est une force intense, puissante, incompréhensible, qui agit sur le psychisme.
Ce que nous nommons le deuil est peut-être moins le chagrin de ne pouvoir rappeler nos morts à nous que celui de ne pouvoir nous résoudre à le faire
elle tint de nouveau les mains ouvertes vers le ciel et, tout en regardant ses paumes, se prit à penser, pour une raison qui lui échappait complètement, à des moutons. Des moutons à la toison couverte de sang, aux yeux mangés de mouches. Des asticots plein les oreilles et l’anus. Son récit terminé, elle se tut et se plaqua les mains sur les yeux.
Quand elle les rouvrit, Ellen la regardait avec une aménité qui l’aurait fait tomber à genoux si elle n’avait été assise. Ce n’était ni de la compassion ni de l’empathie ni de la pitié.
"Et tous les vents vont soupirant.
Après les choses douces qui se meurent
Christina Rossetti
Le campus était vide. Les trottoirs glissants et déserts. Le soleil s'était levé au-dessus de l'horizon, faisant de la neige vierge - haute congères et aplats immaculés - un aveuglant paysage lunaire. Mira se dit qu'on avait désormais là un parfait campus pour revenants. Pour les invisibles. Les disparus. Nul ne pouvait les voir déambulant sur cette neige.
Elle était si belle. L'idéal de Platon, comme il l'avait appris sur le site Philosophy 101. Elle l'avait toujours été, mais à présent il percevait la chose pour ce qu'elle était, et savait que l'apparence était trompeuse.
Sa mère l'avait des millions de fois accusé d'afficher un sourire narquois ou de grimacer,des petites amies lui avaient reproché de rouler des yeux.Une fois au collège ,une de ses professeurs(miss Follain,la prof de lettres) s'était interrompue au beau milieu de son cours sur les phonèmes pour lui demander ce qu'il y avait de si drôle.
"Qu'est ce qui te fait rire?insista miss Follain.
_Mais je ne ris pas",protesta Craig,après quoi,bien sûr,il ne put s'empêcher de commencer à rigoler.Ironie et absurdité de la situation : il ne riait pas au moment ou il en avait été accusé,et voilà que maintenant il était tout près de se décrocher la mâchoire .Incapable de contenir son hilarité,il s'enfouit le visage dans l'angle du coude,et le reste de la classe se mit de la partie,riant d'abord sous cape et bientôt emportée par un fou rire.