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Critique de topocl



« Pour le survivant, tout livre a un sens. Peu importe son contenu. La moindre histoire est stimulante parce qu'elle donne l'illusion d'être libre. Nous ne sommes plus seuls. Ce qui dans des circonstances ordinaires paraissaient obscur ou insignifiant ne l'est plus. Contraint à l'élémentaire, l'esprit extrait d'emblée l'essence des choses, élucide ce qui est hermétique, pourvoit à ce qui est indigent. Avec le presque rien, on invente presque tout. »

Jean-Paul Kauffmann a toujours rêvé des îles Kerguelen, cet archipel de l'Océan Indien à la limite du continent antarctique, possession française depuis sa découverte par Kerguelen en 1772, peuplé de quelques militaires et scientifiques et de milliers de lapins, éléphants de mer et manchots. Les paysages sont fabuleux, chaos premiers aux évocations bibliques.

« Entre la page blanche et l'achevé d'imprimer, les Kerguelen donnent l'illusion d'approcher des origines ou des fins dernières. »

Quatre ans après sa libération de captivité, c'est chose faite, il s'embarque sur le Marion-Dufresne se confronter à cet archipel désertique, battu par la pluie et les vents, mi- mystère, mi-vérité. À côté des découvertes naturelles, géologiques, botaniques, zoologiques, à côté des paysages fantastiques, il teste cette nouvelle forme de solitude, où, cette fois encore, le temps ne se compte pas, mais à laquelle l'espace donne une ouverture pour lui salutaire.

« Je suis heureux d'affronter de mon plein gré l'extrême solitude et l'élémentaire clarté d'une nature hostile. »


Pas un mot de sa captivité, mais au travers des phrases, au-delà du récit de voyage, du rapport des nombreuses connaissances historiques ou géographiques accumulées , du recensement scrupuleux des noms de lieux et des morts, célèbres ou obscurs, Kauffmann poursuit une réflexion qu'il a intégrée à tout son être, qui s'est construite dans le cachot, et l'a sans doute sauvé, sur le temps, le silence, l'attente, la solitude.

« Existence cloîtrée, sans véritable but : pour moi la vérité à l'état pur.Désolation, terre de l'attente. Attente du chaland, attente d'une meilleure météo, attente du Marion, attente de l'arche que je n'ai pu rallier par Val Travers. C'est l'espoir sans l'impatience.
Le temps est un espace que le ciel et le vent laissent ouvert. Nul besoin de combler ce vide. L'attente ne s'épuise pas en efforts inutiles, en signes dérisoires que d'ordinaire l'on s'impatiente à interpréter. Dans le désoeuvrement kerguélénien, il entre une indolence qui est le contraire de l'apathie, une sorte d'insouciance ardente, tendue vers rien. L'esprit ne dépend ni des faits ni des instants, il n'est captif ni du passé ni de l'avenir. L'ordre des jours est aboli. »
Dans cette expédition, Kaufmann court après des chimères, peut-être. Il s'imprègne du vent (« la singulière complicité entre le silence et le vent »), de la lumière, des odeurs qu'il partage avec ces explorateurs et aventuriers dont les pas l'ont précédé sur l'île.
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