AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,78

sur 1028 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Quel choc émotionnel et littéraire ! Un vrai chef-d'oeuvre !

En poussant la porte d'une mystérieuse demeure japonaise, le vieil Eguchi, soixante-sept ans, sait juste qu'il va passer la nuit auprès d'une jeune fille endormie, plongée dans un profond sommeil par une drogue puissante qui garantit son inconscience pour la nuit. L'expérience le trouble certes, tant l'inconscience de l'adolescente le prive d'un quelconque échange, mais rapidement les souvenirs et les sensations affluent à la faveur d'une odeur corporelle, la position d'une main, le galbe d'un sein aperçu sous la couverture...quantité de petits détails qui trouvent un écho puissant dans sa mémoire. Lui qui venait là sur les conseils d'un ami par curiosité, persuadé de ne pas faire encore partie " des clients de tout repos ", de ne pas être " un vieillard qui déjà a cessé d'être un homme ", se retrouve submergé par des souvenirs agréables des femmes qui ont marqué sa vie, il se laisse alors aller à de subtiles réflexions sur l'existence, la mort.
La force de vie qui émane de ces belles endormies, loin de le désespérer en lui faisant prendre conscience de sa propre décrépitude, le stimule, l'invite à rêver, il renouvelle d'ailleurs l'expérience plusieurs nuits avec des endormies différentes qui suscitent des méditations variées. Sa réticence initiale vaincue, cela devient agréable pour lui, c'est indéniable, comme un voyage au coeur de lui-même, suscité par la seule présence passive d'une jeune beauté offerte.

J'ai retrouvé ici les thèmes chers à KAWABATA, premier prix Nobel de littérature japonais en 1968 : la beauté, la solitude, la mort, que j'avais découvert dans Tristesse et Beauté, autre magnifique roman à l'écriture dépouillée et poétique.
J'apprécie tout particulièrement la façon si subtile mais sans chichis avec laquelle il nous fait partager toutes les expériences d'Eguchi, avec finesse, et même tendresse aussi, sans aucune vulgarité. Ce qui étant donnée l'histoire, n'était pas évident. J'avoue avoir redouté une débauche de perversions malsaines dans cette histoire singulière à la lecture de la quatrième de couverture : il n'en est rien. Ce n'est pas à la débauche mais à la méditation que les clients, comme les lecteurs sont invités. Mêlant érotisme, beauté et mort, KAWABATA en dégage une belle méditation intemporelle sur la vie, le désir, un hymne touchant ! Un bel hommage selon moi à la beauté des femmes.

Commenter  J’apprécie          1308
Dans un article, Garcia Marquez nous décrit une scène qu'il a vécue pendant un voyage en avion où il était assis à côté d'une belle fille qui dormait tout au long du vol. Cette scène lui rappela ce roman qu'il aurait aimé écrire : "Les Belles Endormies" de Kawabata.

L'histoire même du roman peut paraître bizarre, voire devenir sujet de dégoût. C'est une histoire au limite de l'atroce. Mais comme nous ont appris les grands écrivains ; il n'y a pas de mauvais ou bon sujet en littérature, l'écrivain artiste doit savoir comment le présenter au lecteur. Heureusement, Yasunari Kawabata est l'un de ces écrivains talentueux qui savent le faire avec maîtrise et magie.

Ce court roman, sorte de poèmes en prose réunis et rassemblés avec art, est un très beau texte sur les effets de l'âge, de la vieillesse et le désir toujours vif de la chair. C'est l'histoire d'un vide, du dernier cri contre la mort. Un vieillard se rend à la fontaine de jouvence pour retrouver sa jeunesse. Mais tout ce qu'il retrouve est une jouissance factice et dérisoire avec un arrière-goût d'amertume. Même le lecteur ressent ce mélange de tristesse et de beauté qui émane de chaque page. Les filles endormies, objets de convoitise et d'observation, étalent leur beauté corporelle (avec leur odeur minutieusement décrite, leur peau, leur chevelure…) devant le vieillard. Ce dernier affronte les affres de la solitude, la vieillesse et la mort en partageant ce lit avec ces belles créatures. Or cette condition même ne fait qu'aggraver la situation puisqu'elle augmente la tristesse de sa solitude (la fille endormie ne sent même pas la présence du vieil homme) et l'atrocité de la vieillesse (incapable devant cette chair). Mais c'est pour lui aussi une occasion de rêver dans cette atmosphère de pénombres, d'odeur douceâtre et de bruits tendres le berçant, seuls refuges contre la pensée de la mort dont on sent la présence. Cette histoire ressemble à l'histoire d'Orphée mais dans une version où les rôles sont inversés ; le vieillard descend dans ce lieu ténébreux mais c'est la fille qui ne doit pas le regarder sinon tout le charme disparaît (la fille doit dormir jusqu'au départ du vieillard).
Commenter  J’apprécie          754
De Kawabata, je ne connaissais rien. Jusqu'à ce qu'une critique récente suivie d'une trainée de poudre conduisant à une polémique me pousse à ouvrir ce livre.


La littérature nous offre de beaux exemples de romans qui nous mettent mal à l'aise. Qui nous font réfléchir sur qui nous sommes et comment nous voyons ce qui nous entoure. Des romans que nous lisons différemment selon notre âge, notre humeur du jour, et surtout selon des lunettes qui colorent notre lecture en fonction de filtres personnels. Des romans qui nous offrent de voir des morceaux de réalité, du rêve, du fantastique, de la fiction.

Ce livre nous emmène dans un voyage de fin de vie. Est ce vrai ? Est-ce inventé ? Cela n'est guère important. Eguchi est âgé de 67 ans, ce qui pouvait lors de la publication de ce texte paraitre comme un vieil homme. Un ami lui a recommandé une maison spéciale avec ses règles propres : un endroit où il peut passer une nuit allongé aux côtés d'une femme vierge nue endormie. Une femme dont il touchera la chevelure, les cils, les dents. Un peu sceptique à l'issue de sa première nuit, Eguchi décide cependant de renouveler cette expérience. Observer chacune de ces jeunes filles est un révélateur, lui revient alors un moment de son passé lié à une fleur et surtout à une femme aimée. de façon inattendue ses souvenirs lointains sont vifs et précis.


Les relations sexuelles d'un client vieillissant avec une jeune prostituée (ou même une enfant comme j'ai pu le lire par ailleurs) n'ont pas leur place ici. Kawabata décrit le désir qui sous-tend. Celui d'un homme qui au seuil de sa vie n'a plus personne à qui parler et se retrouve seul.
Commenter  J’apprécie          6810
« Les belles endormies » est un livre du prix Nobel de littérature Yasunari Kawabata. Il a été écrit en 1961. C'est un roman court qui décrit 5 nuits d'un homme de 67 ans, Eguchi, qui se rend dans une maison accueillant des vieillards devenus impuissants au sens sexuel. En ce lieu ils peuvent passer la nuit auprès de jeunes femmes nues et endormies car droguées.
*
Avant de développer mon propos et sans vouloir relancer une controverse récente portant sur une critique de cet ouvrage je voudrais quand même insister sur quelques points factuels et, surtout, sur un état d'esprit qui me semble nécessaire avant de commencer cette lecture :
- Cet ouvrage ne porte pas sur la pédophilie (relations sexuelles avec des enfants) car il n'y a pas d'enfants. Il ne porte même pas sur l'hébéphilie puisque la plus jeune de ces « filles » a 16 ans et qu'elle ne vit absolument rien de sexuel. La sexualité telle que nous l'entendons est d'ailleurs très largement absente de tout ce roman.
- Cet ouvrage ne porte pas plus sur la notion de viol puisque les jeunes filles, par avance, sont consentantes.
- Cet ouvrage ne fait en aucun cas l'apologie de ce type de relations. Au contraire Kawabata insiste à diverses reprises sur le côté sordide de ces vécus (lire "mes" citations pour s'en convaincre).
- Tout aussi important c'est une fiction. Aucun lecteur sensé ne va ressentir le besoin, en lisant un policier, de se dire ou de faire savoir que l'assassinat c'est mal ni se demander si l'écrivain a des penchants homicides.
.
Mais, encore plus fondamental que ce qui précède, il n'est tout simplement pas possible d'aborder et encore moins de comprendre profondément cet ouvrage en plaquant stérilement nos valeurs sur une société autre. C'est l'altérité de la pensée de Kawabata mais aussi de cette sensibilité, qui ne saurait être séparée artificiellement du Japon du début du XXe siècle si cher à l'auteur, qui nous permet à la fois de ressentir profondément toute la singularité de ce livre splendide et, simultanément, de vivre une mise en abyme par rapport à ce que « nous » sommes en tant qu'occidentaux en ce début de XXIe siècle. Dit plus simplement c'est la singularité de cet ouvrage qui fait une part conséquente de son intérêt pour nous.
*
Je ne désire pas « raconter » ce roman. D'abord j'ai dit l'essentiel en quelques lignes et, ensuite et surtout, ce n'est pas ce qui en fait l'intérêt. Pour moi ce dernier est majeur et lié à :
- La beauté de la plume et l'évocation, entre sensualité et douleur, que Kawabata nous offre lorsqu'il décrit Eguchi regardant chacune des « belles endormies ». Sans être jamais à proprement parler érotique le regard très intense porté sur le corps singulier de chacune de ces femmes, l'évocation toute en finesse des sentiments de ce vieillard sont des moments forts. Par la très fine évocation de l'âme humaine, par le fait de permettre à chaque lecteur de ressentir pleinement ce que vit le personnage principal il y a sans conteste la plume d'un écrivain de génie ayant, en prime, acquis une parfaite maîtrise de son art complexe. J'ai, sur ce plan, ressenti des sentiments comparables à ceux suscités par certains des livres de Zweig, autre passionné de l'âme humaine.
- L'atmosphère de ce roman est unique. Sauf à avoir une lecture biaisée il est clair que ce livre ne prétend pas décrire une quelconque réalité, au moins sur le plan factuel. Le prétexte improbable à savoir une sorte de maison close sans relations sexuelles et qui accueillerait, avec d'ailleurs (et c'est essentiel) une cérémonie du thé comme préambule de la nuit et un petit déjeuner le lendemain, des vieillards génère une atmosphère assez onirique. Cette dernière est renforcée par une chambre qui semble hors du monde, l'évocation des sons extérieurs, l'explicitation de rêves et, bien entendu, par l'existence de ces femmes à la fois physiquement intensément présentes pour chaque sens d'Eguchi et absentes par ailleurs car rêvant.
- La réflexion sur un sujet rarement traité à savoir la déchéance physique, le vieillissement et ses conséquences corporelles mais aussi mentales et sociales, l'évolution du désir ou plutôt des désirs. Les livres d'amour sont infiniment nombreux, ceux sur ce thème pourtant majeur sont exceptionnels. Cette thématique est abordée ici avec pudeur mais aussi intensité et beaucoup de lucidité. Éros rencontre Thanatos et une lecture psychanalytique, sans être indispensable par ailleurs, peut permettre une saisissante mise en abyme. Des thématiques secondaires peuvent aussi retenir notre attention comme la corrélation entre différentes formes d'impuissance (l'aspect sexuel étant second au final) et la montée de pulsions de mort (pour soi et autrui), la force de la solitude, le souvenir et la relecture de sa vie, l'intensité des souvenirs corporels comparé aux autres au crépuscule d'une existence, le rapport à l'autre en amour, entre corps et « âmes », entre autres. En effet, pour le lecteur comme pour le vieil Eguchi, ce livre génère des rêveries qui, autant que des réflexions analytiques, guident vers une compréhension bien plus profonde. C'est un livre qui se ressent et se vit au moins autant qu'il se pense.
*
Au-delà de ce qui est si intéressant dans « Les belles endormies » j'ai cherché à comprendre pourquoi ce livre suscitait de telles réactions d'une part et pourquoi il me troublait d'autre part. J'ai trouvé trois types de réponses partielles :
- Si ce livre n'a rien de pédophile il peut nous choquer pour d'autres raisons. D'une part il s'agit, ce qui est de plus en plus condamné moralement voire pénalement en Europe, de prostitution. D'autre part les « filles » sont droguées ce qui peut nuire à leur santé et, le plus essentiel sans doute, ces femmes endormies s'avèrent totalement impuissantes. Leur consentement à cet état de fait n'est jamais mis en doute mais « nous » avons dans l'éthique de nos sociétés, ancré la conviction que chacun, à chaque instant, doit pouvoir décider lucidement de ce qui lui arrive. En pratique c'est largement une chimère mais là ce n'est pas le cas sur un plan effectif et c'est hautement troublant. Cet abandon/soumission/absence peut sembler érotique à certains, il est surtout choquant pour la plupart d'entre nous aujourd'hui.
- Au-delà ce livre touche à trois de nos principaux tabous occidentaux : la sexualité, la vieillesse et la mort. En Europe, actuellement, les personnes âgées sont largement cachées, masquées voire « invitées » à rejoindre des dites « maisons de retraite » où nous ne laisserions pas nos animaux domestiques en pension estivale. Les vieillards ont largement un statut secondaire et n'ont guère intérêt à revendiquer une égalité de traitement effective dans tous les domaines face à des jeunes.
Les malades et, pire, les mourants, sont cachés dans des hôpitaux et la mort est largement le principal tabou occidental. Les journaux, les films, les magazines font l'apologie de la « parfaite santé » et de la « beauté », jusqu'à pousser à l'anorexie une partie des adolescents les plus fragiles.
La sexualité, tout en étant omniprésente dans nos médias est largement encadrée et ne montre guère que des comportements jugés « normaux" et, surtout, entre êtres sains moralement et physiquement. Elle doit par ailleurs être consentie et joyeuse.
« Les belles endormies », en montrant de jeunes femmes soumises aux désirs de vieillards choque donc tout un corpus de valeurs mais aussi de représentations occidentales du monde. Implicitement un être âgé ne devrait plus avoir de sexualité ni même de désirs. S'il en ressent ces désirs doivent être « normaux » voire largement dénués de pulsions, presque aseptisés. Surtout son statut hautement dévalorisé doit absolument lui interdire de désirer un être jeune. Sinon il ne peut être que répugnant, pervers et à rejeter. Là est selon moi l'origine de ce qui nous choque le plus dans cette lecture. Être mis en abyme et réfléchir sur ces questions de façon neutre n'est pas inintéressant.
- le troisième point est que, en rendant profondément humain le vieil Eguchi il nous est difficile de ne pas réfléchir, même confusément, à la perspective plus ou moins lointaine de notre déchéance, ce qui n'est jamais confortable et peut susciter la recherche d'un prétexte pour disqualifier le livre et penser à autre chose. Et si je prenais du Soma, pardon, et si je lisais une romance plutôt ?
*
Pour conclure je me suis interrogé, à titre personnel, sur le fait de savoir si, vieillissant ou malade, j'aurais le même regard et les mêmes besoins, les mêmes priorités que cet homme. Il me semble que sa façon de percevoir le monde l'a mené à une extrême et assez tragique forme de solitude. Est-ce réellement inévitable ? Chacun trouvera je pense ses réponses à ces questions en temps utile, mais s'interroger auparavant, et pourquoi pas par le biais de lectures telles que celle-ci n'est-il pas judicieux ?
***
Je vous encourage à découvrir ce livre, en sachant l'aborder comme un voyage parfois difficile, à n'entreprendre qu'une fois moralement et intellectuellement, affectivement aussi, prêts à vivre quelque chose de signifiant. À cette condition vous devriez pouvoir en retirer beaucoup. Je vous souhaite de vivre une expérience marquante, en accompagnant ce merveilleux écrivain, dans le Japon du siècle dernier.
Commenter  J’apprécie          5824
Une bien curieuse histoire dans un très beau roman.

Eguchi, un homme de 67 ans découvre par l'intermédiaire d'un de ses amis une maison dans laquelle des hommes déjà vieux peuvent passer la nuit auprès de jeunes filles plongées dans un profond sommeil. Il reviendra plusieurs fois dans cet établissement où nuit après nuit lui reviendront les souvenirs des femmes qu'il a aimé, sa mère, ses filles, ses maîtresses …
Malgré la situation étrange dans laquelle il plonge ses personnages,

Kawabata parvient à garder une atmosphère poétique, pleine de pudeur et de tendresse. Son personnage qui s'interroge sur la vieillesse et sa propre mort sera confronté à ses souvenirs et directement à la mort, celle plus lointaine d'un autre vieillard, mais aussi celle plus troublante d'une des belles endormies.

On retrouve les thèmes favoris de l'auteur traités avec toute la délicatesse dont il est capable.

Lien : http://allectures.blogspot.f..
Commenter  J’apprécie          510
« Il tendit l'oreille et il lui sembla que le vent d'hiver se traînait exténué à travers les montagnes qui dominaient la mer. »
Je me suis laissée bercer par la poésie de Yasunari Kawabata
J'ai rêvé avec « Les belles endormies » à la lisière de l'hiver
Des souvenirs de désirs, de femmes, me sont revenus
Au détour de la rondeur d'un sein ou de la finesse d'un doigt
J'ai revu, celles « qui, à mes caresses avaient répondu de toute leur sensibilité en s'oubliant elles-mêmes »
J'ai senti des odeurs douces et enivrantes pour ressentir à nouveau
Un pétale de camélia s'est posé sur des paupières, pas encore les miennes...
Une feuille d'érable racornie va bientôt tomber cet hiver
Encore un souffle et je revois ma mère, la première femme.
Commenter  J’apprécie          433
Ce court récit ne peut laisser indifférent.
Le personnage principal est Eguchi, un riche "vieillard" de soixante-sept ans, qui fréquente une maison close assez particulière. En effet, elle est spécialisée dans l'accueil de vieillards à qui l'on propose de passer la nuit aux côtés de jeunes filles plongées chimiquement dans un profond sommeil. Le client s'engageant à ne pas passer à l'acte. Nous suivons donc le vieil Eguchi cinq nuits durant. Les descriptions sensorielles et minutieuses du corps des jeunes filles alternent avec les rêves chargés de symboles, les souvenirs évanescents et les réflexions du vieillard. Le décès mystérieux d'une jeune endormie met fin au récit.
Le livre m'a émue et dérangée en même temps. Il m'a dérangée par son machisme et sa morbidité. Un vieillard encore bien viril tripote de très jeunes filles transformées en poupées . Et le désir qui le domine peu à peu est quand même assez effrayant ! Mais la mélancolie et la tristesse d'Eguchi m'ont beaucoup touchée. La mélancolie à l'évocation des femmes aimées, de l'innocence souillée de sa fille; la tristesse de tout avoir perdu, le dégoût de lui même, la tentation du sommeil éternel. Tout est fort et vous trouble longtemps.

Commenter  J’apprécie          407
"Les Belles Endormies" n'est pas une histoire de prostitution, comme j'ai pu si souvent l'entendre. Si Eguchi passe ses nuits dans une demeure bien étrange auprès de jeunes filles endormies, ce n'est pas pour profiter de leur corps. Il reste éveillé, à contempler une jeunesse perdue, à réfléchir sur ce que fut sa vie, ses échecs et ses derniers désirs.

La prose est, comme toujours chez Kawabata, fluide et évocatrice d'images poétiques. Nous finissons par nous fondre dans le personnage d'Eguchi et nous interroger sur ce rapport si complexe qui existe entre la mort et la beauté. L'auteur aime jouer avec ces frontières. Bien loin des images de débauche que l'on pourrait imaginer, le texte oscille entre les souvenirs d'Eguchi et une sensualité discrète et raffinée.

Et c'est bien là que l'on sent le génie d'un écrivain : même lorsque la lecture est achevée, le livre fermé, nous continuons encore à penser au texte et à cette vérité que l'auteur a voulu nous dire, à sa manière.
On ne peut ressortir indemne de cette lecture. Un chef-d'oeuvre.
Commenter  J’apprécie          351



Kawabata est surtout connu en Europe pour son roman "Pays de neige", véritable chef-d'oeuvre de la sensibilité japonaise traditionnelle. Mais "Les Belles Endormies" semble marquer l'aboutissement des épreuves que l'écrivain s'était imposées, à travers sa quête esthétique. Selon certains critiques, avec ce court roman, l'auteur serait allé « délibérément jusqu'au fond de son propre enfer mental ».

"Les Belles Endormies" raconte l'histoire d'Eguchi, un sexagénaire, qui passe ses nuits dans une mystérieuse auberge, à contempler des adolescentes dévêtues, endormies sous l'effet de puissants narcotiques. Rien ne saurait les réveiller de leur sommeil artificiel. Ce sont les « belles endormies »... Eguchi admire les splendeurs offertes ; il peut toucher les jeunes filles, mais la loi de la maison est stricte, et lui interdit d'aller plus loin... le vieillard n'a d'ailleurs pas le temps d'aimer ces créatures, qu'il ne revoit plus après son réveil. Pour Eguchi, pénétrer dans cet étrange univers – où règne trouble et fascination – permet de faire surgir les fantômes du passé ; c'est l'occasion de se souvenir des femmes qu'il a aimées, et de se plonger dans de longues méditations sur la vieillesse et la mort.

La maladie d'Eguchi est la vieillesse. Il la refuse, car elle lui fait éprouver le sentiment de ne plus être digne de la beauté féminine. Eguchi va tenter de lutter contre son mal, en se remémorant sa jeunesse. Par un phénomène semblable à la madeleine de Proust, la présence des adolescentes endormies, permet de cristalliser le souvenir. de manière intermittente, les souvenirs envahissent la conscience du vieillard, qui se retrouve invariablement face à la triste vérité, face à une jeune fille nue endormie à ses côtés. Eguchi est alors animé de désirs contradictoires : celui de rompre le silence, celui de donner la mort, celui de revivifier sa passion pour l'amour...



"Les Belles Endormies" constitue l'évasion sensuelle d'un vieil homme, qui sent sa mort proche. le texte nous offre un espace miniature, riche d'images et de sensations. Chaque vision ouvre le héros à la conscience de lui-même et du monde. Nous retrouvons une fois de plus la grande constante de l'art japonais : l'homme déchiffre un ensemble de signes. Toute sensation, toute image, a sa signification, soit claire, soit suggérée. Roland Barthes parlait bien de l'Empire des signes

Sorte de quête spirituelle, "Les Belles Endormies" présente un univers quasi onirique, voilé et diaphane à la fois, où Kawabata a pu déployer tout son talent de la suggestion. Mais l'on ressent bien à la lecture, que l'essentiel est ce dont l'écrivain ne parle jamais. L'on est dans le domaine du secret, de l'indicible. Un halo de mystère enveloppe les êtres, les chairs dénudées, ainsi que le décor.
Une sorte de douceur vénéneuse infuse les âmes dans une mystérieuse immobilité.

L'on assiste à un discret et délicieux festival des sens, qui se prolonge indéfiniment dans l'âme du silence. Eguchi espère trouver auprès des « belles endormies » un cadre harmonieux et apaisant qui, au seuil de la mort, le mènerait à la sérénité totale, et peut-être au paradis perdu de l'enfance, ou à une sorte de rédemption. le corps de chaque adolescente devient une sorte de support à la méditation du vieil homme, comme si ce dernier voyait en filigrane, dans la chair féminine endormie, sa propre fragilité, sa propre mort, l'imminence de sa fin, mais aussi l'éphémère beauté du monde.

Les méditations d'Eguchi vont, par une étrange fatalité, être amenées à un point de rupture : le récit se termine de manière abrupte sur l'interruption du rêve, non par la mort logique du vieillard, mais par celle d'une des jeunes filles, suite à une surdose de narcotique.

Kawabata nous refait donc la démonstration qu'au Japon, la fugacité est l'essence même de la beauté ; il arrive à la cerner parfaitement dans cette oeuvre où vieillesse, amour, et érotisme sont en questionnement, fédérés dans une même méditation, et une même suspension du temps. La pureté et le dépouillement de la langue de l'écrivain, s'accordent merveilleusement à la sobriété du sujet traité ; ceci permet à Kawabata de réussir un texte très caractéristique de la sensibilité japonaise, dont l'énigme réside dans une esthétique située sur le fragile équilibre entre les sentiments et les sens.

Un magnifique roman, qui offre une excellente initiation à une culture fascinante.
Commenter  J’apprécie          357
C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai parcouru ce livre, que j'ai eu la chance de découvrir dans une édition spéciale. Publiée par Albin Michel, elle consiste en un livre-coffret à la belle couverture noire et rouge, où chaque page est accompagnée d'une photo sépia d'une jeune femme japonaise endormie à chaque fois dans des postures différentes. le texte lui-même est parfois parsemé de détails relatifs au texte: pétales de fleurs, trace de rouge à lèvres, ou enfin de magnifiques peintures sur des étoffes épaisses.
Pour moi, cette lecture a donc été empreinte de sensualité et d'une certaine douceur.
Avec les Belles endormies, on pénètre dans un lieu clos et obscur, celui du sommeil. Eguchi, 67 ans, découvre par l'intermédiaire d'un autre "vieux" cette maison qui accueille des hommes âgés venus passer une nuit auprès de jeunes femmes artificiellement endormies. Il est officiellement interdit de leur faire quoi que ce soit, à part les contempler dans leur sommeil et s'endormir auprès d'elles. Commence ainsi une série de quatre nuits qu'Eguchi passe auprès de femmes à chaque fois différente dont il parcourt le corps, peu à peu pris dans le désir de les réveiller, voire de leur faire du mal pour les sortir de leur léthargie. Ces nuits sont aussi le vivier de réminiscences, les odeurs corporelles, les mouvements involontaires des endormies et leurs courbes éveillant des souvenirs d'autres femmes qu'Eguchi a connu au cours de sa vie. Au contraire de la maîtresse des lieux, jamais Eguchi ne considère ces femmes comme des objets, et désire au contraire les connaître, observe leurs réactions, les touche délicatement.
Je m'attendais à un roman ardu, ennuyant ou froid, et ça a été tout le contraire pour moi, mais je pense que les illustrations de Frédéric Clément ont contribué à mon approche réussie de cette oeuvre en embaumant son atmosphère de sa touche artistique.
Je n'avais pas encore lu Kawabata jusqu'ici et je suis intriguée par le reste de son oeuvre, à continuer donc.
Commenter  J’apprécie          310




Lecteurs (2496) Voir plus



Quiz Voir plus

Les mangas adaptés en anime

"Attrapez-les tous", il s'agit du slogan de :

Bleach
Pokemon
One piece

10 questions
884 lecteurs ont répondu
Thèmes : manga , littérature japonaiseCréer un quiz sur ce livre

{* *}