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Robert Philippon (Traducteur)
EAN : 9782070757701
280 pages
Gallimard (03/03/2000)
4.13/5   39 notes
Résumé :
« Vassia ! cria-t-elle, en regardant d'un œil absent les voyageurs qui se détournèrent. Vassia ! Embrasse-moi...
— Ben quoi... » fit-il tout bas.
Il se rejeta en arrière d'un air excédé, puis se pencha sur la petite. Il se redressa bien vite, à croire qu'il avait achevé un pénible travail et bondit sur le marchepied. La jeune fille poussa un léger cri, mordit sa lèvre tremblante, se couvrit le visage de ses mains et les laissa retomber aussitôt.
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Asseyez-vous au creux d'un bon fauteuil, — moelleux, confortable. Emparez-vous de La Petite Gare — c'est un recueil de 12 nouvelles, exactement du gabarit de ceux de Maupassant. Ouvrez-le n'importe où, lisez n'importe quelle nouvelle et prenez plaisir.

Faites une pause à un moment et écoutez-vous pousser des petits couinements d'aise, sortez de vous même, imaginez-vous depuis l'extérieur et regardez-vous vous trémousser de bonheur à cette lecture.

Car la lecture, cela peut vraiment être ça, une pure gourmandise qu'on s'offre comme pour se récompenser d'un mérite imaginaire, comme on prendrait une bonne tasse de thé accompagnée de biscuits fins.

Quel régal ce Kazakov, quel artiste, quel artisan du verbe au savoir-faire impeccable ! Quel grand orfèvre des émotions, quel maître sommelier des relations infimes. Bref, douze nouvelles dorées à l'or fin.

On y parle d'amour : amours naissantes, amours avortées, amours potentielles. On y parle de nature : la forêt, la côte, la neige, les espaces. On y parle des gens, des gens vraies, pas héroïques, pas exceptionnelles dans aucune de leurs dimensions : des femmes jeunes ou matures, des enfants, des vieux, des hommes d'âge médian, des heureux, des malheureux. On y parle d'animaux de compagnie, de lieux d'habitation, de métier et le tout dans la Russie rurale de l'époque de l'Union Soviétique.

Et, le principal, c'est que toute cette nature, ces hommes, ces bêtes, ces lieux, ces activités humaines sont toutes en interaction les unes avec les autres pour former, — ça paraît idiot à dire mais pourtant je ne vois pas d'autre définition — l'essence même de la vie.

Iouri Kazakov développe une écriture très belle, à la fois onirique et sans fioriture. Il restitue tout l'esprit et toute l'âme russe, à la fois rudes, robustes, les pieds dans la terre, volontiers flamboyants mais aussi très empreints de poésie et de pensée magique.

En somme, un vrai chef-d'œuvre de subtilité et d'écriture ciselée, qui fut découvert et révélé à la France par Louis Aragon dans les années 1960 et que je compare à mille égards à l'écriture d'un John Steinbeck. Une bulle d'oxygène, une parenthèse à ne pas manquer pour s'extraire moindrement d'un quotidien pas toujours rose. Mais ce n'est bien sûr que mon petit avis, alors, Gare ! ce n'est peut-être pas grand-chose.
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A quelques années près, l'existence de Iouri Kazakov (1927-1982) a coïncidé avec celle de son pays, l'Union soviétique.
L'arbitraire stalinien le privera très jeune d'un père déporté au goulag pendant plus de vingt ans, avant d'être enfin réhabilité. Iouri réussit néanmoins de brillantes études de musique classique et devenu jeune adulte joue dans différents orchestres symphoniques et de jazz de Moscou avant de se consacrer au milieu des années cinquante à l'écriture.

“La petite gare” est un recueil de douze nouvelles écrites de 1954 à 1958 lors de nombreux voyages organisés par le prestigieux Institut littéraire Maxime-Gorki au sein duquel il étudie.
Iouri Kazakov, le moscovite, est sous le charme des régions les plus septentrionales du vaste pays et le littoral boisé de la mer Blanche est le terrain idéal pour assouvir ses passions de chasse et de pêche.

“Une matinée tranquille”, “Nocturne”, “A la chasse”, “Les secrets de Nikichka”, “Arcturus, chien courant”, près de la moitié des titres du recueil fait la part belle à la nature où magnificence et poésie se confondent. Les mondes végétal et animal, qui s'éveillent et s'animent dans un ordre immuable de lumières et de sons, inspirent la plume de l'écrivain qui retranscrit avec grand réalisme de véritables symphonies naturelles. La partition ci-dessous n'est-elle pas par sa tonalité extrêmement douce de l'ordre du divin ?

“Le soleil s'était enfin levé : dans les prés, un cheval hennit doucement et tout parut s'illuminer à une allure extraordinairement rapide, tout, aux alentours, se vêtit de rose. On distingua plus nettement la rosée d'argent des sapins et des buissons, le brouillard se mit en mouvement, s'effilocha et découvrit peu à peu, à contrecoeur, les meules de foin, taches sombres se détachant sur le fond gris-cendré de la forêt maintenant proche. Les poissons s'en donnaient à coeur joie. Les gouffres répercutaient de temps à autres, de lourds rebondissements, l'eau s'agitait, le long de la rive les joncs se balançaient doucement.”

“La petite gare”, “La maison sous la falaise”, “Le pèlerin”, “Le bleu et le vert”, “Les vieux”, ''Manka'' racontent des histoires sentimentales pas toujours très heureuses, des rapports humains où l'âme russe trouve tant de charme et de jouissance aussi bien dans l'abandon et la solitude que dans l'exubérance et l'intempérance parfois.

Le recueil se termine sur une note onirique avec la nouvelle intitulée “Les cornes de renne” dans laquelle le lecteur découvre le quotidien d'une jeune fille à l'imagination fertile. Hébergée dans une Maison de repos suite à une longue maladie, elle a une façon bien à elle de s'évader, de croire en un avenir meilleur.

La prose exquise de ce nouvelliste de talent se déguste lentement. Un petit verre de vodka et un grand bol de thé, pour imiter les protagonistes de ''Manka'', accompagneraient idéalement la découverte de ces tranches de vie slaves ô combien rafraîchissantes en ces chaudes journées printanières.
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Les nouvelles d'Iouri Kazakov se concentrent sur moments intenses où le destin peut basculer pour ses personnages. En peu de pages, ils deviennent familiers et le lecteur vit leurs aventures.
Quelques nouvelles sont des histoires d'amour universelles dont les thèmes m'ont fait penser à des chansons de Brassens: « La petite Gare » à « Saturne », « La maison sous la falaise » aux « passantes », « le Bleu et le vert » à « la première fille », « Manka» peut-être à un couplet du « Mécréant »
D'autres sont des initiations : « Une matinée tranquille », « Nocturne », « A la chasse », « Les Secrets de Nikichka » « Les cornes de rennes »
Et des nouvelles inclassables : « les vieux », où l'amertume est si forte qu'il n'est pas possible de prendre parti contre un des vieux ;« le pèlerin » est une nouvelle dure et ‘immorale'. Kazakov en laissant tranquille le coupable, il fait preuve d'un anticléricalisme retord ou il décrit l'âme slave tolérante avec les pèlerins
« Arcturus, chien courant » est l'histoire réjouissante d'une double renaissance d'un chien. Kazakov a été malin, il posé les réserves qu'il ne fallait pas confondre l'homme et l'animal, puis il nous a partagé la vie de ce chien Arcturus avec des sentiments humains. Cette nouvelle est très chaleureuse.
Même bousculés dans le métro, grâce à son style nous trémoussons de plaisir à lire les nouvelles de Iouri Kazakov
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Kazakov – Kazakov – Kazakov… Trois notes cadencées qui signalent le bruit de roulement du train sur les rails.
Iou-riii ! Iou-riii ! le son de la sirène indique l'arrivée en gare.

Mon voyage se termine, douze étapes, dans le train mélodique du merveilleux conteur qu'est Iouri Kazakov. Ce périple, que j'imagine ferroviaire, dans le Nord-Ouest de la Russie des années cinquante, sur les côtes boisées et gelées de la Mer Blanche, le long de la Dvina septentrionale, un secteur grand comme la France, mais qui ne représente qu'une infime partie de cette U.R.S.S. kolkhozienne, qui a longtemps été considérée comme un empire glaçant.
Se le représenter maintenant, peut-être en pire, tout proche de l'Europe « démocratique », mais avec ces habitants du terroir, à des milliers de verstes des querelles de pouvoir et de frontières, c'est ce que nous montre l'écrivain d'origine biélorusse, en nous peignant musicalement les paysages et les caractères de cette contrée éloignée et secrète.

La petite gare se remplit, de voyageurs qui comme moi ont été subjugués par ce voyage à la fois réaliste et onirique, et de souvenirs, pleins la tête, une symphonie fantastique qui résonnera encore longtemps, avec un mot qui me vient à l'esprit pour résumer les sentiments qui se sont propagés dans mon corps et mon esprit à la lecture de ce recueil de nouvelles, harmonie.

Avant de composer ses petites pièces littéraires, Kazakov était musicien, contrebassiste, dans des formations de jazz et des orchestres symphoniques. Après avoir enseigné la musique comme professeur au Conservatoire, il entre à l'Institut de Littérature Gorki.
Ah ! Milieu favorisé, un apparatchik, la voie royale, pardon, impériale, euh non, je voulais dire l'ascension par l'adhésion, aux thèses en vigueur à l'époque, la promotion du soviet suprême. Et bien que nenni, son père ouvrier fut déporté au goulag, lui-même s'est retrouvé bègue après l'explosion d'une bombe pendant la bataille de Moscou.
C'est peut-être la raison qui l'a poussé à écrire, à mettre des notes musicales dans ses notes littérales, à produire des textes comme des partitions, pour que les sons sortent sans hésitation, avec des ouvertures à progression lente, des descriptions foisonnantes et précises, des envolées lyriques et des silences pesants mais subtils, pour mettre de la respiration dans son propos.
Lire Kazakov, c'est se retrouver dans une salle de concert, attentif à toutes les sensations procurées par la magie de l'écriture, d'une simplicité dépouillée de tout artifice mais capable de mettre le feu aux sentiments éprouvés, d'une luminosité éblouissante, à l'image des paysages de ce grand Nord intact et figé, nature hostile et hospitalière, pas antinomique car peuplée de gens en accord avec leur décor.

D'autres voyageurs se précipitent dans les wagons, ils ont hâte de participer à cette aventure littéralement musicale, à cette expédition musicalement littéraire.
Allez, montez vous aussi, les instruments sont accordés, asseyez-vous, prenez place, la prestation va commencer, le chef d'orchestre de la gare a levé son drapeau, le sifflement s'accentue, les musiciens sont aux aguets, la vapeur s'échappe en chuintant, roulement de percussions, la fumée s'élève dans le ciel éclatant, le violoncelle lance sa note mélancolique, les roues se mettent à tourner, les violons débutent le thème, c'est parti... Bon voyage !

Douze morceaux, douze pépites, douze, symbole d'harmonie et de paix, mais comment l'obtenir cette paix, dans la fureur du monde ou dans le silence de la solitude ?
Maupassant, l'autre nouvelliste majeur, l'a décrit ainsi :

« Nous sommes deux races sur la terre. Ceux qui ont besoin des autres, que les autres distraient, occupent, reposent, et que la solitude harasse, épuise, anéantit (...) et ceux que les autres, au contraire, lassent, ennuient, gênent, courbaturent, tandis que l'isolement les calme, les baigne de repos dans l'indépendance et la fantaisie de leur pensée ». 
Qui sait ? Contes et nouvelles

Harasse, Arras, à race, le poids des mots, le choc des cultures, la bêtise humaine, les cycles anxiogènes.
Heureusement, il y a le pouvoir de la littérature, la prose poétique, la lumière des phrases, la sonorité de la phonétique.

« Rien n'est éternel en ce monde, pas même le chagrin. La vie ne s'arrête pas. Non, jamais elle ne s'arrête, elle s'impose impétueusement à notre âme, et toutes les peines se dissipent, comme de la fumée, ces petites peines humaines, si petites, quand on les compare à la vie. le monde est si bien ordonné ».

Linéaire, suivons les rails, la progression est musicale, je vous dis, d'abord, une petite ouverture, huit pages, pas une de plus, suffisant.

« C'était un automne gris et froid. le baraquement bas en rondins de la petite gare avait noirci sous l'action des pluies ».

Le décor est planté. Un cheval, une charrette, une valise, un gars, une jeune fille, un quai de gare. La séparation est imminente.

« Au loin, on entendit le bruit du train, faible, indistinct. le silence mélancolique de ce jour maussade fut traversé par un coup de sifflet grêle et traînant ».

Les violons sont en sourdine, la flûte a lancé sa note, lancinante.
Le hautbois et le basson alternent leurs phrases, langoureuses et ronchonnantes.

« - Je vais m'ennuyer, murmura-t-elle. Ecris de temps en temps, dis… Tu entends ? Ecris… Tu viendras, hein ?
- On te l'a déjà dit, répétait-il à contrecoeur, effrayé. Essuie tes larmes, voyons !
- Voilà, murmura-t-elle en suffocant, frottant ses larmes comme un écureuil et regardant avec amour le visage du garçon. Je vais rester seule. Rappelle-toi ce qu'on a dit…
- Je me rappelle. Qu'est-ce que ça peut me faire… bredouilla-t-il d'un air sombre, relevant la tête et roulant les yeux.
- Mais moi… Je ne vis que pour toi… Tu le sais bien !
- Tu me l'as dit, bougonna-t-il en regardant à ses pieds avec indifférence ».

La solitude harasse, l'isolement calme. Il part. Elle perd. C'est pur, c'est pire.
Les percussions reprennent, les solistes se sont tus.

« Le craquement des traverses, le bruit des roues cessèrent et, quand elle releva la tête, elle vit que le dernier wagon, avec son oeil rouge et rond sur un tampon, s'éloignait sans bruit, toujours plus, comme s'il voguait dans les airs ».

KAZAKOV – KAZAkov – kazakov…

Plus que 250 pages, faut que j' me calme, la place va manquer…

Matinée tranquille, partie de pêche, Volodia et Iachka, un citadin et un campagnard, un bruit au loin.

« Qu'est-ce donc qui tintait si étrangement là-bas derrière ? Qui donc soudain lançait dans les prés des cris distincts, mélodieux, pareils à des coups frappés l'un après l'autre sur une corde bien tendue » ?

Les berges sont fuyantes, « la terre s'effondrait sous ses pieds », sacrée anti-phrase, la matinée tranquille. Non, je ne vous dirai pas pourquoi, allez-y voir vous-mêmes, mais attention à l'eau, tel est pris qui croyait prendre !

Puis "Nocturne", un chasseur solitaire et sa longue progression, jusqu'à une lueur, il en chope un, de nocturne, un autre chasseur, qui chante et joue de l'accordéon.

« C'est vrai, c'est vrai, je joue. Seulement je fais un rêve, mais quel rêve ! Une chanson, comment ça s'invente ? Certes, pour ce qui est d'une chanson, ça peut se tourner de toutes les façons, et on arrive à la jouer comme personne ne l'a fait. C'est-il vrai ce que je dis ? Moi, comment je joue ? Je prends une mélodie, j'y ajoute encore une voix et voilà, la chanson a déjà son tour à elle, et la voix, comme qui dirait, sa propre nature. Il est possible, si c'est trop peu, d'y ajouter encore une voix, et alors ça donne une tout autre musique. Mais, là encore, ce n'est pas tout. C'est seulement la main droite, alors que dans la gauche il y a l'harmonisation. Les accords, autant dire. On va choisir un accord, ça a l'air bien, mais quand on ajoute un léger son, alors il n'y a plus de vraie pureté ! Tandis que la chanson, surtout si elle est longue, doit avoir son parfum, tout comme la rivière ou la forêt ».

Ensuite, « la maison sous la falaise », une chambre d'hôte tenue par une mégère non apprivoisée, qui tient sa fille sous sa coupe. Un homme arrive pour louer.

« Dehors, on entendait un son fréquent et cadencé, qui se rapprochait peu à peu. Cela évoquait le tic-tac sonore d'un réveil.
- Qu'est-ce que c'est ? Demanda Blokhine.
- ça ? La jeune fille poussa un soupir haletant et regarda par la fenêtre obscurcie. - C'est le veilleur et sa kolotouchka.
- Sa kolotouchka ? Questionna Blokhine stupéfié, prêtant l'oreille : jusqu'à ce jour, il n'avait jamais entendu frapper sur une kolotouchka. Pourquoi donc une kolotouchka ?
- Je l'ignore, répondit à contrecoeur la petite. Il frappe… Il frappe, et il me semble parfois que cela me cogne dans la tête.
Tak-tok, tak-tok, tak-tok, répéta le son mélancolique qui déjà s'éloignait ».

Dans « le pèlerin », à nouveau une rencontre dans une maison avec un voyageur pas au-dessus de tout soupçon.

« Un accordéon préluda, et une voix cassée de fausset entonna le couplet languissant d'une chanson populaire. Puis les voix s'égaillèrent, s'éloignèrent et tout redevint très calme. Dans la cour, un coq chanta trois fois ».

C'est alors qu'arrive la romance. Pas l'arrogance et la maturité du rouge et du noir, mais celle de l'innocence et des premiers balbutiements, le bleu et le vert.

« La neige craque sous nos pieds. Nous restons immobiles, mais la neige craque. Derrière nous retentit brusquement un claquement sonore. Il se propage avec un bruit sec sur les planches, comme sur la glace d'une rivière, et va mourir quelque part, à l'extrémité du quai ».

« A la chasse », c'est la transmission d'un père à son fils des traditions séculaires, mais après plusieurs décennies le paysage a changé.

« Peu après, dans les buissons de spirée, un oiseau préluda brièvement et son chant, composé de deux notes, était très simple : Ti-ti, ti-ti ».

Puis « Les secrets de Nikichka », c'est l'histoire d'un petit garçon sur un grand cheval. Un chemin entre falaises et vagues, vers un apprentissage que prodiguera le père.

« Soudain, au milieu de ce calme, de ce silence de mort, de ces bruits sans vie, une chanson. On entend quelqu'un frapper avec une hache, on perçoit une odeur de fumée. le cheval, les oreilles pointées, pousse un hennissement sonore, et le voilà au trot, au trot, et qui fonce : il sent une habitation ».

Vient ensuite Arcturus, le chien courant, pas l'étoile bleue, un canidé aveugle qui compense par l'ouïe.

« Les sons de la voix du maître étaient alors longs et brefs, comme un glouglou ou un murmure, ils ressemblaient d'emblée au bruit de l'eau, au bruissement des arbres et à rien du tout. Chaque son faisait naître des sortes d'étincelles, des odeurs confuses, comme une goutte provoque un tremblement dans l'eau ».

« Les vieux », c'est la lutte autant psychologique que physique entre Tikhon, le gardien et Krouglov, le patron.

« Il aimait écouter le son, d'une triste langueur, d'une cloche dans le lointain, les hennissements des juments dans les prés, les voix aiguës et chantantes des femmes qui lui parvenaient du village ».

Puis Manka, jeune factrice orpheline et Perfilii, un coq de pêcherie un peu cabotin, une évolution sentimentale où l'un sauvera l'autre.

« La mer rugissait comme un fauve géant en fureur. Brusquement, tout s'apaisa, on entendit le frémissement de l'eau qui refluait, et par derrière un grondement grandissait, comme celui d'un train ».

Enfin, « Les Cornes de Renne », où le mystérieux le dispute au merveilleux, la jeune fille de ce conte n'étant appelée qu'« elle ».

« Les touches du piano sont jaunies par le temps, dures et froides. le pied sur la pédale qui grince, elle frappe une touche, écoute le son languissant qui s'éteint lentement. Elle voudrait se rappeler la musique entendue en rêve. Elle choisit des accords, ses doigts se glacent, elle a la fièvre, il lui semble qu'à l'instant elle va se souvenir de tout... Non, ce n'est pas ça, ça ne va pas, ça ne ressemble pas » !

Bien sûr, vous l'avez compris, il n'y a pas que les sons, tous les sens sont mis à contribution, une véritable farandole qui exhale les sentiments.

Le voyage se termine, la petite gare a retrouvé son train-train quotidien.
Je sens que vous avez apprécié la musique des mots.
Kazakov, on ne peut que la – do – ré !

Merci à Nastasia-B d'avoir partagé cette merveilleuse découverte.

Iou-riii ! Iou-riii !

KAZAKOV – KAZAkov – kazakov...






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На полустанке и другие рассказы... Qui sait que cet ouvrage contient un chef d'oeuvre de 40 pages, "Le bleu et le vert" ? Une nouvelle totalement méconnue du "grand public" français, elle est la plus belle histoire d'amour adolescent qui fut jamais écrite... Avec prière — et même supplications, si vous préférez ! — de courir vérifier tout le sérieux de notre propos "à la source"...
Il s'agit ici de l'intégrale de ce beau recueil de douze nouvelles paru en France sous l'impulsion de Louis Aragon ; recueil admirablement traduit par Robert Philippon en 1962, reparu récemment sous une très belle couverture dans l'agréable collection "L'imaginaire" de Gallimard.
Et je dois commencer par citer ici notre amie Nastasia-B :
"À ce niveau d'écriture, on comprend que la littérature est réellement un art. À ce niveau d'écriture, on s'aperçoit que l'outrage d'une traduction ne peut entacher que très faiblement la lumière du propos. Iouri KAZAKOV parvient à écrire de la prose comme vous rêveriez la poésie : simple, limpide, évidente, belle, puissante, essentielle, magique".
Car j'ai ressenti ce même émerveillement devant certaines oeuvres méconnues de l'ardennais André DHÔTEL ("La maison du bout du monde", "Ma chère âme"), ou du kurde Yachar KEMAL ("Terre de fer, ciel de cuivre", "La légende des mille Taureaux"), ou encore du norvégien Tarjei VESAAS ("Les oiseaux", "¨Palais de Glace", "Les Ponts")... Et l'on repense particulièrement à ce recueil exceptionnel de nouvelles intitulé "Le Vent du Nord" ("Vindane") de Vesaas, pour leur côté âpre et panthéiste... et comparer la prose de Kazakov à celle de Vesaas n'est pas - pour nous - un mince compliment !
Bref, ce monde sensible a cette lumière particulière que seuls quelques-uns parviennent encore à discerner...
Ainsi, Iouri Kazakov était du nombre. Une matinée au bord de la rivière, le drame tapi dans une lumière dorée irisant la rosée sur les fougères ... Юрий Павлович Казаков (1927-1982) : Iouri Kazakov détestait visiblement "la grande ville" (Moscou où il était né et où il s'éteignit) : comme on le sent bien dans son oeuvre, et comme on partage !
Comme l'on préfère évidemment les bords de Loire et ceux de l'Evre de Julien GRACQ aux particules fines du brouillard jaunâtre parisien... Comme on aime les "écrivains provinciaux", au fond ! (Tous ces MAUPASSANT aux odeurs de vase remuée...). Dans ce monde des premiers éblouissements, dans cette "littérature des Pouvoirs Premiers" (comme l'écrivait Notre "Saint" RAMUZ...), le monde sensible respirait à l'état d'enfance : on y souffre, on y pleure, on s'y noie...
Les tentacules d'une pieuvre d'eau douce peuvent vous aspirer au fond de la rivière (c'est cet affabuleur de Michka Kaïoulenko qui vous l'affirmait peut-être quand vous portiez des culottes courtes, tels Iachka et Volodia d' "Une matinée tranquille"...).
Mais entrons ici dans le détail :
- "La petite gare" [1954] (pages 9 à 16) nous fait entrer immédiatement dans le coeur et l'âme de la très jeune fille au fichu, tête penchée sur l'épaule de son compagnon haltérophile - celui qui l'abandonne, très lâche et dédaigneux, bien sûr : en partance dans son aventure solitaire vers "La Ville" (cette mégalopole de Moscou et tous ses mirages où il se perdra sans doute...). Pour l'abandonnée, il n'y a plus qu'à sécher ses larmes dans le foin de la charrette : celle qui l'entraînera lentement vers on ne sait quels autres cieux tristes... Une histoire immortelle, n'est-ce pas ?
- "Une matinée tranquille" [1954] (pages 17 à 35) nous fait partager les fanfaronnades (plus les connaissances naturalistes) estivales de Iachka , - le "cousin des champs" - et son ahuri d' "ami des villes", Volodia (tout juste sorti de son ignorance crasse d'enfant de citadins moscovites) : il a fallu se lever avant l'aurore pour aller pêcher au-dessus du gouffre de la rivière lointaine... Evidemment [Attention, spoiler!] c'est bien Iachka le débrouillard qui sauvera l'ingénu Volodia de la noyade. Sous le regard narquois des brumes de la rivière - frontière d'un "Autre Monde"...
- "Nocturne" [1955] (pages 36 à 55) est le récit presque "dhôtelien" d'une longue marche solitaire d'un chasseur dans les senteurs de la plaine et des forêts (cette senteur tenace des pinèdes sèches) jusqu'à un lac lointain... et une rencontre double autour d'un feu de camp...
- "La maison sous la falaise" [1955] (pages 56 à 76) : l'histoire d'une jeune Gretel prisonnière d'une affreuse sorcière (sa mère biologique) : un jeune homme passe par là, "louant une chambre pour la nuit" chez la terrible mégère ... Un conte de fées moderne forgé dans une langue admirable, là encore !
-"Le pèlerin" [non daté] (pages 77 à 99) : ce pourrait être un remake littéraire de "Charlot Pèlerin"... le Tartuffe itinérant ne manque pas d'air... Ah, s'il pouvait "se faire" la fille de sa logeuse dans la nuit, tout en étant nourri et blanchi à l'oeil... mais voici que la belle endormie ne se laisse pas faire... le bonhomme repart queue basse dormir seul dans le meilleur lit de l'isba, et cherche à se faire nourrir tranquillement le lendemain matin, sous les regards et les silences courroucés de la mère, puis doit dégager la place, toute honte bue... On imagine sa journée qui s'annonce strictement semblable à la précédente... "La longue marche"... ou "L'aventure (parasitaire) c'est l'aventure ! " C'est que le cache-sexe de la religion est bien pratique ! Une belle ironie bienveillante traverse cette nouvelle où même ce foutu escroc possède des côtés presque sympathiques... Kazakov ne juge pas. Il décrit.
- "Le bleu et le vert" [1956] (pages 100 à 139) est la merveille des merveilles. Digne du justement célèbre roman stendhalien (ce dernier est-il volontairement "cité" dans le titre bichrome ?) ... Ici "Julien Sorel" est jeune, moscovite et timide : il est le narrateur. Il rencontre Lilia et la perdra... le coeur du lecteur se serre et souffre avec celui du "héros"... Mille "petits détails vrais"... pensées, sensations que nous avons tous et toutes connues, sans doute ! Cette histoire, universelle et immortelle, est sans doute la plus juste description des foudroyants aléas de notre sentiment amoureux, en cet âge terrible de l'adolescence. Cette nouvelle devrait être traduite dans toutes les langues humaines et être connue de tous les Terriens. Elle est sans doute - à nos yeux - le sommet de l'art exceptionnel de Iouri Kazakov...
- "A la chasse" [1956] (pages 140 à 154) La transmission d'un art de chasser - dans la dangereuse taïga - de père en fils : "J'initie mon fils tout comme mon père m'a initié...". le père retrouve avec son fils les traces d'un campement qu'il partagea avec son propre père... Les décennies ont passé, l'arbre qui les surplombait est devenu gigantesque, la cabane de branchages a pourri... C'est à peine s'il reconnaît l'endroit ! Mais l'éblouissement de son propre fils se mettant à l'eau - dans le crépuscule - pour aller ramasser leur propre gibier abattu, enfin le distrait de sa lourde nostalgie.
- "Les secrets de Nikichka"[ 1957] (pages 155 à 178) Un petit enfant (Nikichka) sur un très grand cheval docile, seulz dans la nature entre la maison de la mère et la hutte estivale du père, pêcheur de saumons. le cheval arrive à bon port et le père apprend son métier au fiston... un chien roux veille près de l'âtre. Une merveille descriptive cheminant entre littoral vertigineux et eaux scintillantes : celles qui cernent la barque paternelle, devenant véritable "école de la vie"...
- "Arcturus, chien courant" [1957] (pages 179 à 207) : un chien aveugle, un vieux docteur, une aventure canine christique en neuf chapitres poignants. Arcturus, le bien nommé, découvreur des vertiges sensoriels de la forêt boréale (jusqu'à en mourir). " Mais jamais certainement aucun chien ne fut aussi digne de porter un nom magnifique, le nom de l'étoile bleue dont rien ne ternit l'éclat ! "
- "Les vieux" [1958] (pages 208 à 235) : un lieu isolé (la maisonnette du gardien, près de l'entrepôt) d'où l'on domine un morne village recouvert de glace, sur la rive d'une anse de fleuve aménagée en port , un homme - le gardien - et toute son histoire. Il s'appelle Tilkhon Egorytch : sa vie n'a pas été des plus faciles... Malgré son âge (certain), toujours fière allure ! La haute stature, les bottes de feutre, la pelisse... Ancien ivrogne, il a su mener sa barque et garde (à peu près) sa silhouette herculéenne d'antan... Haï cependant par un de ses voisins dépossédé en 1917, Krouglov, paralytique, aigri... Il se prennent au collet... le plus fort demeure, l'autre s'effondre dans la neige. Un jour ou l'autre, l'un tuera l'autre : "Tikhon tuera Krouglov" chante le choeur du village perdu. En quatre chapitres seulement, nous voilà parvenus à un sommet (glacé) dans l'art de la nouvelle : proches du "climat" des plus beaux et âpres romans de Yachar Kemal (sa trilogie "Le pilier"/"Terre de fer, ciel de cuivre"/"L'herbe qui ne meurt pas") et de Georges Simenon ("Le chat" et cette fine description d'une haine recuite : celle, abyssale, de deux vies vieillissantes...). Un chef d'oeuvre (fondu au noir), à nouveau !
- "Manka" [1958] (pages 236 à 256) : une idylle... Manka est une orpheline devenue adolescente au physique ingrat, factrice de son état, devant aligner - à pied, bien sûr - les verstes (trente, entre Vasintzy et Zolotitza) entre son village perdu et les pêcheries. Elle doit cacher son sentiment grandissant pour Perfilii Volokitine, le jeune coq d'une pêcherie, fanfaron, accordéoniste vellétaire, acharnée à poursuivre Lenka la délurée, que tous les gars convoitent. Mais voici que certain matin, Manka et Perfilii se retrouvent seuls dans l'isba de la pêcherie... Un étonnant suspense psychologique dans la description des sentiments confus (en quatre chapitres, à nouveau) - qui nous rappelle évidemment son chef d'oeuvre [lire précédemment], "Le bleu et le vert". L'avant-dernière scène - maritime d'avant la tempête - évoque bien sûr le souvenir du jeune Iachka sauvant de la noyade son copain Volodia : ici le pêcheur Perfilii sauvant des eaux la vierge (timide et très amoureuse) Manka. Une fois séchée, Manka se laissera embrasser par Perfilii puis s'enfuira... C'est qu'elle veut - surtout - "le tenir" par les sentiments qu'elle a suscités en lui, et chante les paroles de malédiction amoureuse favorites de sa grand-mère - celles qui hantent à nouveau son esprit : "Alors qu'il crie et qu'il souffre, et qu'il brûle dans le feu, mais qu'il ne puisse sans moi ni vivre, ni exister, ni boire, ni manger !"
- "Les Cornes de Renne" [1958] (pages 257 à 270) : un conte de fées dont l'héroïne (quasi muette) est une adolescente convalescente de tuberculose - maladie jamais nommée... Que se passe-t-il réellement derrière les volets fermés de la villa hivernale nommé par elle "Les Cornes de Renne" ? Fantasmagorie ? Rêve ? Réalité qui s'altère ? Nous n'en saurons rien et la nouvelle se clora sur ses trois chapitres mystérieux. Manka a-elle rêvé ? le vieux troll lui a-t-il parlé des yeux ? La musique des luths et de la flûte à travers les jalousies existait-elle ? le jeune skieur repartira dans la neige et l'adolescente aura le dernier réflexe de se cacher derrière un arbre - gardant tout son monde intérieur en elle, celui qui devra servir de guide à son existence... Un monde d'enchantements - ou du moins, d'enchantements possibles, qui est bien le soubassement de ce que nous nommons tristement "le réel"... Ainsi, par l'étroite voie (magistrale) du cher Iouri Kazakov, nous rejoignons la philosophie et le rêve littéraire de notre cher "Ardennais universel" André Dhôtel... "Les Cornes de Renne" est le magnifique point d'orgue de cet inoubliable recueil de Iouri Kazakov - pour l'éternité Grand Célébrateur de son "Grand Nord" effectivement fascinant...
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Effectivement, oui. Car n'oublions pas de célébrer encore ici la curiosité et le goût si "sûr" de Nastasia-B, que nous remercierons vivement pour nous avoir amenés tous en Babelio — discrètement et efficacement — aux oeuvres de Iouri K. [dont "La belle vie" au titre si charmeur... ]
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Citations et extraits (46) Voir plus Ajouter une citation
Il marchait sur le bas-côté de la grand-route, le regard perdu au loin, dans l'azur, au-dessus d'une chaîne de collines en pente douce, coiffées de nuages d'été immobiles, roulés en boules. Le vent lui frappait rudement le visage, gonflait sa barbiche tendre, décolorée par le soleil. Les larmes lui venaient souvent aux yeux, il les essuyait d'un doigt sale et calleux et de nouveau, le regard fixe, contemplait devant lui le mirage aveuglant. […]
Il était jeune, de haute taille, légèrement voûté, et marchait à grands pas, avec assurance. Des bottes en caoutchouc, un bonnet d'hiver déchiré, un sac de voyage aux épaules, un chaud manteau râpé, tout cela lui allait bien, sans lui peser ni le gêner. […]
Ses yeux bleus, aux paupières rougies, ne considéraient rien avec attention, ne s'arrêtaient jamais un peu longtemps sur un objet, erraient dans les lointains, les nuages blancs, s'embuaient de larmes, puis se reprenaient à voir, sans penser. Sa canne de noisetier, un peu verdie par l'herbe, sonnait sur l'asphalte. Des buissons s'approchaient furtivement de la grand-route, de grands, d'antiques bouleaux l'accostaient rêveusement, puis, s'en écartaient sans bruit, impuissants à cacher l'immense étendue des champs.

LE PÈLERIN, I.
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Dans le fond, quelque chose se débat silencieusement, quelque chose d'énorme, de puissant, de vivant, les perches se mettent à trembler, les pans lestés du filet vibrent comme des cordes. On entend bruire le filet de nylon, le père le hisse vers la karbas. Nikichka, le cou tendu, regarde en bas. Voilà qu'il reste de moins en moins de place au saumon, voilà que, deux fois déjà, il a fait un bond vers la surface. Le père tient d'une main le fond qu'il a soulevé, et de l'autre cherche le maillet. Il l'a trouvé, il attend, le bras brandi, le moment de frapper, mais le saumon lutte toujours plus furieusement, avec toujours plus de force, heurte le fond de la karbas qui retentit, ne se rend pas, éclabousse d'eau les pêcheurs. Voici qu'on le voit déjà tout entier, comme dans une coupe écumeuse ; s'il pouvait crier, il se mettrait à hurler de terreur. Le père le frappe de toute sa force sur la tête et, d'un coup, tout s'interrompt, le saumon devient mou, s'effondre sur un côté. Le père le saisit par les ouïes, le hisse avec effort dans la barque, l'envoie rouler au fond, sous les pieds de Nikichka. Celui-ci contemple le poisson sans pouvoir en détacher les yeux : c'est qu'il vit toujours, ses ouïes tressaillent, ses écailles se crispent encore, il est énorme, ce poisson argenté au dos sombre, à la mâchoire inférieure recourbée vers le haut, à l'œil noir énorme.

LES SECRETS DE NIKICHKA, II.
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- Y a-t-il eu un mort dans cette maison ?
La femme sursauta, se retourna, regarda fixement l'étrange être barbu.
- Oui, dit-elle à mi-voix, ce printemps, mon fils est mort. Il travaillait comme chauffeur au kolkhoz, il a voulu traverser la rivière…
- Son nom ? interrompit rudement le pèlerin. […]
- Mon petit gars… il s'appelait Fédia… […]
- Je prierai pour lui, interrompit Jean, en écrivant sur son cahier, en gros caractères : " Théodore. " Comment t'appelles-tu ?
- Nastasia.
- Bon… Nas-ta-sia. Tu vis seule ?
- Nous sommes deux. Avec ma fille. C'est pas ma vraie fille, c'est la femme à Fédia, et alors je vis avec elle… […]
- Elle se conduit bien ? Elle croit en Dieu ?
- Non… elle ne croit pas en Dieu, elle fait partie des Jeunesses communistes, mais sans faire de péché, je dois dire que c'est une bonne fille… Elle a fini ses études à l'École professionnelle de zootechnie, elle travaille donc à la ferme et on l'a en plus chargée de s'occuper du club. On a un club, elle y va, ainsi, tous les soirs. Elle se fatigue… le jour d'un côté, le soir d'un autre… Dame ! j'y contredirai point, bien sûr, l'ennui d'être seule, elle est jeune, ils n'ont passé ensemble qu'une toute petite année… Mon petit gars, mon pauvre petit Fédia… Il est revenu de l'armée. " Ma petite maman, qu'il me disait, ma petite maman chérie… "
Le visage de Nastasia se contracta de douleur, ses lèvres sèches se mirent à trembler, des larmes roulèrent sur ses maigres joues hâlées. Le pèlerin gardait un silence sévère.
- Asseyez-vous, vous allez souper, dit Nastasia à travers ses larmes. Je m'en vais faire chauffer le samovar… […]
- Je vais prier.
Il se jeta à genoux à grand bruit, se tirailla la barbiche. Nastasia sortit doucement.
- Seigneur ! s'exclama Jean d'une voix profonde, Seigneur !
Il se tut, je ta un regard par la fenêtre sur les pommiers immobiles. Nastasia mettait la table, dans un bruit de vaisselle remuée. […]
- Seigneur ! soupira Jean.
Il se reprit à écouter le doux tintement de la vaisselle, laissa ses yeux errer par la fenêtre vers le lointain. Nastasia jeta un coup d'œil prudent à l'intérieur de la pièce et découvrit une tête ébouriffée dont les cheveux n'avaient pas été coupés depuis longtemps, un cou noir de crasse, de larges omoplates robustes, de longs pieds au bout de jambes repliées.
- Venez manger, s'il vous plaît, appela-t-elle à voix basse.
Mais le pèlerin ne bougea pas, ne répondit pas : il songeait à quelque chose, ses longs bras appuyés sur le plancher. Nastasia sortit, posa le samovar sur le perron et alla traire la vache.
Quand le pèlerin entendit, un instant plus tard, de légers pas dans l'entrée, il pensa très vite : " La fille ! ", tourna la tête, déjà aux aguets. La porte se referma bruyamment, les pas moururent au seuil de la pièce. […] Un silence. Puis les pas repartirent rapidement vers l'entrée. Jean bondit, s'approcha sans bruit de la porte et y colla l'oreille bistrée. […]
- Maman, qu'est-ce que c'est que cet homme qui est chez nous ?
- Rien… Un homme qui passait. un pèlerin à la recherche de la foi. Il a demandé à passer la nuit.
- Un pèlerin, Un vieux ?
- Il a une barbe mais, vieux, non, il doit pas l'être tant que ça… les yeux sont jeunes.
- Un aventurier, peut-être ?
- Qu'est-ce que tu dis ? Le Christ sort avec toi ! Un homme envoyé par Dieu, qui prie…
Un autre silence. Seul, le goret grogna faiblement. De nouveau reprit le bruit pressé, au rythme rapide et égal, du lait giclant sur le seau.

LE PÈLERIN, II.
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- Qu'est-ce que vous faites, vous travaillez, vous étudiez ? demanda-t-il de nouveau.
La jeune fille leva la tête. Blokhine découvrit de légères taches de rousseur pâles sur le nez et le front, une très petite bouche vermeille, des yeux purs transparents et, dans ces yeux, un monde à elle, étranger pour lui, une vie à elle, inconnue de lui, et qui lui était inaccessible.
- Je travaille, répondit-elle avec confiance. Comme contrôleuse. Sur l'autre rive… Je me suis présentée à l'École supérieure, je n'ai pas été reçue… J'avais travaillé comme une folle pour préparer l'examen, et voilà, tout ça pour rien.
- Et maintenant, vous vous ennuyez ?
- Pendant la journée, au travail, ça va. Le soir, je m'ennuie beaucoup. Toujours seule, seule. Je sors rarement, seulement au cinéma de temps en temps. Maman n'aime pas rester seule. Et je brode, vous voyez… Ah ! comme c'est bien que vous ayez loué une chambre chez nous, je déteste les pièces vides ! Je craignais que vous ne vous plaisiez pas ici. C'est un trou perdu… Qu'est-ce qui peut bien plaire chez nous ?
Elle enveloppa la cuisine d'un regard hostile. Ses yeux s'étaient un peu assombris.
" C'est vous qui m'avez plu ", aurait voulu dire Blokhine, mais il se tut.

LA MAISON SOUS LA FALAISE, II.
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Et voici les montagnes. Hautes, noires, comme une muraille à pic sur la mer ; sur les escarpements, des pins malingres et des maigres bouleaux noueux s'accrochent, contemplent la mer, dans l'attente d'un malheur. En bas, un éboulis rocheux : la pierre descend jusqu'à l'eau pour boire. Beaucoup de pierraille, et bien encombrante. […] La forêt est rouge, sauf, émergeant de terre, des roches moussues, sombres et brunes, tandis que se dressent à l'écart des sapins gris, mutilés, tordus et des bouleaux qui ressemblent étrangement à des pommiers.
Si quelqu'un venait ! Mais on ne voit personne, et Nikichka est seul dans la forêt morte. Y aura-t-il bientôt un lieu habité ? Personne à qui le demander, les pins et les sapins se taisent, à demi enfouis dans la terre, les roches observent Nikichka d'un air mystérieux. Il n'y a là que pierre et humidité… Rien qu'un sentier profondément enfoncé dans le sol, vieux, perdu…

LES SECRETS DE NIKICHKA, I.
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