A la fin de la seconde guerre mondiale, dans un manoir irlandais entouré de ses bois, on enterre le propriétaire Rodrick, bourgeois terrien qui vivait là avec sa famille. Entre paris aux courses et chasse à courre, achats à crédits et ostentation, la famille ne se refusait rien et a épuisé ses finances. A la mort de Rodrick, en plus des privations inhérentes à la guerre, son fils, héritier principal, découvre que la famille est ruinée. Lui et sa cousine projettent d'économiser sur tous les plans possibles, de travailler dur pour sauver le domaine. Mais l'oncle Hercules et la tante Consuello, qui n'ont jamais eu à se soucier de ces vulgaires problèmes d'argent, ne veulent pas comprendre la situation et sont bien décidés à ne pas travailler ni diminuer leur train de vie.
« - Madame Howard, avez-vous déjà entendu parler de banqueroute?
- Oui, bien sûr, qui n'en a pas entendu parler? C'est une façon d'arrêter de payer les factures. »
Tradition et modernité vont donc devoir s'affronter dans une comédie de moeurs assez bien vue et proche de la satire sociale : La jeune génération qui hérite doit imposer aux anciens un management sévère basé sur l'économie et le travail : Ils envisagent d'accueillir des hôtes payants dans leur belle demeure pour pouvoir au moins la rénover… Mais cette idée saugrenue choque l'oncle Hercules et la tante Consuello, pour qui il est humiliant de travailler ou même de laisser leurs domestiques personnels travailler pour d'autres. L'idée est donc farouchement rejetée par un sabotage efficace : mauvais accueil, vilaines farces etc… seront au rendez-vous.
Cependant, toute l'histoire est portée par un autre personnage, mystérieux et imprévisible : La tante Anna Rosa. On comprend rapidement qu'un événement du passé l'a rendue légèrement dérangée… Voire folle. Pour fuir mentalement cet événement, elle s'est créé un monde imaginaire qui lui permet de suivre malgré tout ce qui se déroule dans le présent.
« Elle avait vieilli dans son monde imaginaire, tout en demeurant en phase avec son temps. Elle n'avait rien de l'ombre de cet enfant-fiancée désespérée qu'elle avait fuie. Elle était séduisante, grotesque, amusante, moqueuse, adorable, la dame que vous vouliez qu'elle soit. Et elle était portée, soutenue, isolée par l'air et le souffle de la beauté. Cela exaltait injustement chaque petite action, amplifiait et rehaussait tout ce qu'elle faisait. Exagérait tout ce qu'elle était. »
La famille, habituée à ses excentricités, rentre dans son jeu. Mais les hôtes, comme le lecteur, sont vite déstabilisés par son comportement : Elle habite dans une chaise à porteur qu'elle croit être un wagon de l'orient express et, comble du mystère, elle parle sans cesse de ses rubis qui seraient cachés quelque part dans ce manoir… Ce trésor existe-t-il bel et bien ou n'est-il constitué que des divagations d'une tante instable ? Si la famille a renoncé à le découvrir, les hôtes sont passionnés par cette histoire et pourrait bien bouleverser la vie de ses habitants.
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Happés par la jolie couverture, on entre dans ce livre portés par une sorte de douceur un peu magique. On se demande où l'on est tombé car nous sommes projetés dans le vif de l'histoire avant même d'en connaître l'époque et le contexte. Et puis d'étranges paroles sont prononcées dans ce vieux manoir où le propriétaire vient de décéder : Une certaine tante Anna Rosa serait en train de nidifier… Plaît-il ? Tout cela donne des dialogues pour le moins intrigants voire surréalistes, ce qui amuse et nous rend curieux de la suite. Pour autant, la tante est-elle la plus folle, elle qui comprend la situation et soutient les héritiers dans leur démarche… ? Rien n'est moins sûr, peut-être est-elle bien plus censée qu'Hercules et Consuello qui concourent à leur propre perte…
Molly Keane manie ici un doux mélange des genres : Tout commence par une description appliquée du lieu, d'une plume douce et confortable d'auteur de roman, puis viennent les dialogues et les scènes du roman qui, eux, ont quelque chose d'extrêmement théâtral : ce côté vivant, direct, qui ne s'embarrasse pas de fioritures et évolue dans une certaine unité de lieu. C'est en grande partie à travers ces dialogues et jeux de scènes que l'histoire va nous apparaître et se dérouler, soulevant page après page les mystères qui entourent la scène d'ouverture des héritiers après l'enterrement. L'ensemble est frais et fait du bien ; Sorti en 1952, voici un livre réédité pour cette rentrée littéraire qui est drôle, théâtral et original, pour une lecture de détente qui vous distraira certainement.
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