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Critique de Presence


Ce tome constitue le début d'une nouvelle série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2014, écrits par Joe Keatinge, dessinés et encrés par Leila del Duca, mis en couleurs par Own Gieni, avec un lettrage d'Ed Brisson.

L'histoire commence par un retour dans le passé quand Kate (diminutif de Katheryne) avait 7 ans et que son père l'avait emmenée sur la Lune comme cadeau d'anniversaire. de nos jours elle n'a pas envie de se lever. Il s'agit d'une jeune femme de 27 ans, son chat robot (appelé plus tard simplement Chat) l'admoneste et la taquine gentiment. Elle ouvre les rideaux, dehors des individus étranges (dont des animaux anthropomorphes) circulent.

Bon gré, mal gré, elle s'habille et se rend sur la tombe de son père Chris Kristopher pour l'anniversaire de sa mort. Chemin faisant, elle appelle sa colocataire Alain (une femme). Dans le cimetière elle est attaquée par 3 fantômes ninjas roses, puis par 3 rats anthropomorphes, et enfin par un gros robot mécanique rondouillard appelé Harold. C'est le début d'une étrange cavale où il est beaucoup question de son père, et de ses enfants cachés.

Depuis le début des années 2010, l'éditeur Image Comics a pris de l'ampleur (grâce au succès de la série "Wlaking dead", entre autres) et est devenu l'éditeur de choix pour les séries indépendantes les plus diverses. En ouvrant "Shutter", le lecteur ne sait pas à quoi s'attendre, il découvre les règles du jeu au fur et à mesure. Joe Keatinge commence par une scène merveilleuse sur la Lune, où une jeune enfant bénéficie d'un spectacle (la Terre sur un fond étoilé) exceptionnel. Puis il enchaîne avec un réveil difficile dans un monde de légère anticipation (les capacités du robot Chat), et peuplé d'individus merveilleux. Toutefois, Kate prend le métro aérien, un moment très ordinaire (malgré les passagers).

La suite comprend plusieurs séquences d'action, l'apparition de personnages toujours plus improbables et sympathiques (le serviteur squelette en tenue habillée), la rencontre avec son petit frère, et quelques souvenirs sur sa vie passée. Joe Keatinge rend tout cela très original. Il faut dire qu'il a choisi une femme comme personnage principal, qu'elle n'a rien d'une cruche, qu'elle sait se débrouiller dans les situations dangereuses. Elle est un peu râleuse, un peu moqueuse, un peu fonceuse, et elle refuse de se laisser marcher sur les pieds ou de s'en laisser conter.

Le scénario bénéficie de la mise en images très convaincantes de Leila del Luca, étoffée avec soin par la mise en couleurs d'Owen Gieni. Dès les premières images, le lecteur est séduit par une apparence riche et foisonnante, de très belles couleurs rehaussant toutes les formes. Gieni bâtit des compositions chromatiques très élaborées. Il adapte sa palette à chaque séquence, en particulier pour rendre dompte de la luminosité. Pour autant, il n'a pas choisi de décliner une teinte dominante en plusieurs nuances. Il utilise une palette large pour que chaque élément ressorte, soit une entité graphique à part entière.

De plus, il introduit des variations de nuances dans chaque forme pour rendre compte de sa texture. Il est possible d'en trouver des exemples dans chaque page. Lorsque Kate ouvre ses rideaux, elle contemple un paysage urbain, sous un soleil radieux. En regardant les plantes à l'extérieur, le lecteur constate qu'Owen Gieni a utilisé différentes teintes de vert pour différencier chaque essence de plantes. Pour chacune, il utilise des nuances dans la teinte de vert pour rendre compte de la surface irrégulière du feuillage, et des reflets de la lumière.

Quelques pages plus loin, la scène se déroule dans une pièce avec du parquet. La dessinatrice a représenté le parquet avec de grands traits fins délimitant rapidement les lames. Gieni a souligné chaque trait d'un fin trait blanc pour évoquer la limite entre chaque latte et l'imperceptible différence de niveau de l'une à l'autre. Il a également utilisé la couleur pour évoquer la texture du bois, sans se substituer pour autant à l'encrage. Encore plus loin, le lecteur peut contempler la peau d'une créature en forme de dragon, et apprécier le jeu de lumière sur sa forme, tout en nuances (sans effet de miroir basique).

Le travail d'Owen Gieni est d'autant plus remarquable qu'il n'écrase pas les dessins de del Luca. Cette dernière combine des dessins descriptifs détaillés, avec des traits un peu rapides, un peu lâches. Elle réussit à réaliser des images denses en information visuelle, sans rien perdre en spontanéité. Les traits d'encrage utilisés pour détourer les formes peuvent être soit très fins, soit très épais, encore alourdis par les ombres portées. Cette façon d'utiliser l'encrage combine une approche détaillée, et une mise en avant des éléments les plus importants dans la composition, tout gardant une impression de spontanéité.

Chaque page et chaque élément visuel impressionnent par la dextérité avec laquelle la dessinatrice arrive à amalgamer des composantes hétérogènes. Elle peut aussi bien intégrer un aménagement détaillé (avec fauteuils, canapés, tapis, tableaux au mur, etc.), que des personnages loufoques (ces fantômes ninjas roses, ou ce robot rondouillard), avec des êtres humains aux expressions justes et aux visages remarquables (Général, la nounou de Kate).

Leila del Lucia sait donner une unité visuelle à des composantes très disparates, avec un léger parfum humoristique discret. du coup, le lecteur reste un peu interloqué quand il découvre une scène de carnage dans laquelle le sang coule à profusion. Il finit par s'interroger sur la composante majoritaire du récit. Pas facile de choisir entre l'aventure bon enfant, le récit fantastique avec des créatures anthropomorphes, l'anticipation avec un robot rondouillard aux relents victoriens, l'héritage paternel à supporter par Kate qui ne parle jamais de sa mère.

Du fait du nombre important d'éléments divers et de la dextérité narrative visuel, le lecteur passe un très bon moment de lecture, à haute teneur en divertissement (impossible d'oublier l'ornithorynque et son télécopieur). Il apprécie également que Joe Keatinge réussisse à déjouer les clichés habituels, pour les soumettre à sa narration, à créer une héroïne aussi attachante, sans être parfaite. Il s'interroge sur la direction principale du récit (impossible à identifier), mais il sait qu'il reviendra pour le tome 2, du fait des mystères en suspens et l'inventivité du récit.
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