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EAN : 9782848051185
272 pages
Sabine Wespieser (04/10/2012)
3.84/5   161 notes
Résumé :
Enracinées pour l’essentiel dans la terre d’Irlande, les nouvelles de ce recueil confirment l’éblouissant talent de Claire Keegan qui, sous la surface lisse de situations ordinaires, excelle à déceler le trouble et la dissonance.
Dans La Mort lente et douloureuse, un écrivain se venge de l’incursion d’un importun. Le Cadeau d’adieu met en scène la dernière matinée d’une jeune fille dans la maison de son père avant son départ pour l’Amérique. Pourquoi le prêtr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (51) Voir plus Ajouter une critique
3,84

sur 161 notes
« À travers les champs bleus » est un recueil de huit nouvelles de l'une des voix de la jeune génération des écrivains irlandais, Claire Keegan.

Profondément ancrées dans une Irlande rurale, qui semble appartenir à des temps anciens, les nouvelles du recueil ont un goût doux-amer, une couleur claire-obscure. Elles s'attardent sur le point de bascule du destin de leurs personnages, aux prises avec leurs démons intérieurs.

« Elle a jeté un coup d'oeil à la ronde et, ne voyant personne, s'est dévêtue et avancée maladroitement sur les pierres rugueuses, mouillées, au bord de l'eau. Celle-ci était beaucoup plus chaude qu'elle l'avait imaginé. Elle a pataugé, puis la profondeur a augmenté brusquement et elle a senti le frisson visqueux des algues contre ses cuisses. Quand l'eau est arrivée à hauteur de ses côtes, elle a pris une grande inspiration, roulé sur le dos et nagé loin vers le large. Ceci, s'est-elle dit, était ce qu'elle devait faire de sa vie, à ce moment précis. »

Un peu perdus, étrangers à ce monde, les protagonistes de Claire Keegan se mesurent à une nature sauvage, silencieuse, omniprésente, qui évoque un écrin à la beauté douloureuse, serti des embruns marins de la côte irlandaise.

L'héroïne de la première nouvelle, « La mort lente et douloureuse », qui n'hésite pas à se baigner, nue, dans un océan inhospitalier, vient de commencer un séjour dans l'ancienne demeure d'Heinrich Böll, reconvertie en « maison d'écriture ». On la devine forte et fragile à la fois, en pleine conscience de la nature indomptée qui l'entoure.

« Le ciel était nuageux mais prometteur, zébré de bleu. Là-bas dans l'océan, un ruban d'eau a formé une crête transparente et s'est brisé sur la plage ».

L'écrivaine semble se trouver à un carrefour de son existence, celui où une jeunesse insouciante laisse imperceptiblement la place à l'âge de la maturité. Un professeur allemand vient perturber le début de son séjour en demandant à visiter la maison de son compatriote écrivain. La femme accepte, remet son projet d'écriture au lendemain et prépare même un gâteau au chocolat à l'intention du visiteur. Malgré un air avenant, ce dernier ne tarde pas à se montrer odieux, au point que notre héroïne au caractère bien trempé, décide de le congédier sans ménagement.

Comme dans les autres nouvelles de Claire Keegan, tout est suggéré, évoqué de manière implicite, un voile semble recouvrir avec une pudeur infinie le coeur de l'intrigue. le lecteur devine à demi-mot que la femme de l'importun, aujourd'hui décédée, elle-même auteure de talent, s'était vu refuser l'accès à la demeure d'Heinrich Böll. C'est ce refus qui motive l'acrimonie presque agressive de l'hôte de l'écrivaine, veuf encore aigri par le refus subi par sa défunte épouse. Après s'être débarrassé de son étrange visiteur du soir, l'écrivaine s'assoit à sa table d'écriture et écrit toute la nuit, une histoire où elle destine son héros à une mort lente et douloureuse.

Certaines des nouvelles du recueil sont plus amples, à l'instar de « La fille du forestier », qui nous narre la destinée d'une famille singulière. On y retrouve l'art du non-dit, la douceur parfois inquiétante de l'écriture de Claire Keegan, une nature omniprésente et l'importance des rêves prémonitoires troublant les protagonistes, qui pressentent confusément que leur vie est sur le point de basculer.

« Dans son sommeil, il rêve qu'il se tient sous les chênes. Dans le rêve, ce n'est pas l'automne, mais une belle journée d'été. Une bourrasque monte de la vallée. Elle est très violente et soudaine - d'où qu'elle vienne, cette rafale effraie Deegan et les chênes tressaillent. Des feuilles se mettent à tomber. Tout semble aller de travers, pourtant, lorsqu'il regarde le sol, Deegan voit des billets de vingt livres autour de ses pieds. Vers la fin du rêve, il est comme un enfant qui essaie, sans grand succès, de tous les attraper. »

Ce rêve du personnage principal de « La fille du forestier », un paysan dur au mal, père de trois enfants, illustre la simplicité déroutante de l'écriture de l'auteure, son caractère onirique, la place accordée à une nature indomptée, au souffle du vent, à la force de l'océan, et à la beauté des arbres.

À travers ce très beau recueil, l'auteure nous propose une voix singulière, une écriture à la fois simple et poétique, un art consommé de laisser au lecteur le plaisir de deviner ce qui n'a pas été sciemment formulé. L'omniprésence d'une nature parfois effrayante, la place accordée aux rêves de ses personnages, une maîtrise saisissante du non-dit, confèrent aux textes de Claire Keegan une forme d'étrangeté touchante ainsi qu'une beauté presque douloureuse.

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Les mots de Claire Keegan nous transportent principalement en terre irlandaise. Ses récits mettent en scène des personnages solitaires,aux prises avec leur condition, ce qui les contraints à accepter des compromis douloureux.Chaque nouvelle porte ainsi des non- dits,des secrets,qui empoisonnent leur existence. Leur destinée les rattrape inexorablement...

Les rêves sont souvent prémonitoires, les superstitions et les préjugés tenaces.Des tranches de vie âpres où les femme n'ont pas le beau rôle mais s'en tirent mieux que les hommes,empêtrés dans leurs contradictions, incapables de choisir,enchaînés à leurs terres,se raccrochant à leurs pauvres pensées pour continuer leur chemin austère et sans amour.

Rudes comme le vent,les tourbières frissonnantes,tourmentés comme les nuages annonciateurs de tempête, comme les longues soirées d'hiver qui font resurgir le passé que l'on croyait oublié. Ensorcelant.
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A travers les champs bleus, je me promène ainsi sous le regard bienveillant de la lune. Platitude de la terre, mais pas des sentiments, je ne vois dans mon panorama que tourbières et pubs, la beauté de l'Irlande. Une odeur saline pénètre mon âme fouettée ainsi par le vent et la pluie oblique. Il faut un feu de cheminée pour supporter l'humidité – l'intimité - de cette chaumière, un feu de tourbes, une odeur de chèvre. La campagne irlandaise, quoi ! Une terre brûlée au vent des landes de pierres, un whiskey tourbé.

Au pub, on me sert une bière brune, presque noire. Avec une mousse qui tient ainsi au sommet du verre, un long col blanc, comme une collerette de curé au sommet de sa robe noire. Car même dans un pub, même devant une pinte, la religion ne s'absente pas. Elle est toujours présente dans l'esprit des hommes, et des femmes. Surtout. Et des femmes, j'en découvre d'un autre monde. Fortes, solitaires, rejetées, elles sont présentes tout au long de cette aventure froide et humide, verte et saline, les femmes d'Erin.

Des femmes dans la tourmente, des femmes dans la tempête, des femmes tristes, c'est beau la littérature irlandaise, ce qui me vaut d'écouter un disque de van Morrison, douceur, tout en me servant un verre de Connemara, douceur, l'eau pure des lacs, de la pluie et la tourbe, donnant ainsi un léger goût de fumé à mon verre, même si là-bas, le whiskey se prend chaud…
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Un recueil de nouvelles.

Et l'écriture de Claire Keegan, tout en légèreté, délicatesse, poésie.


La terre d'Irlande (sauf pour une qui se passe dans un autre pays), des senteurs de la tourbe qui brûle dans la cheminée, du thé qui infuse, de chiens mouillés par les pluies qui battent les paysages...
La nature comme un compagnon des vies, indissociable d'elles, reflet des affrontements de l'âme.

Les arbres s 'agitent sous le vent, les feuilles tourbillonnent, les bêtes appellent, la terre gorgée d'eau devient rivière.

Et le récit de vies, de l'intimité, de moments durant lesquels l'existence bifurque et prend un chemin sans espoir de pouvoir revenir sur les pas, sur les décisions privilégiées.


C'est un recueil qui parle de solitude, de regrets, d'amours compliquées, de choix déchirants, de désespoir et parfois d'incommunicabilité ou d'incompréhension entre les êtres.
C'est le récit des petites choses de la vie, des batailles quotidiennes, des erreurs toujours trop lourdes de conséquences.

La misère d'une certaine Irlande est présente, comme un dernier appel à la compassion des hommes, les yeux des enfants criant de la faim qui les habite, et le partage qu'il soit matériel ou celui des pensées, étant devenu un bien trop rare pour qu'elle soit si évidente et si facile à éprouver.

Et pourtant, ces moments d'existence recèlent tant d'émotions contenues, tant d'espoirs entretenus, tant de tentatives de communication avec le monde imaginaire , qu'ils construisent un recueil envoûtant, qui parle au coeur du lecteur. La différence peut être la clef d'une vie, l'importun devient sujet d'inspiration, le silence des autres peut être si terrible qu'il brise une vie...


De magnifiques textes tout en mélancolie pour oublier le temps présent et fouler la belle terre de cette Irlande de traditions et de légendes.

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Je ne vais beaucoup développer cet article, car j'ai parlé de Claire Keegan, de son style et de ses oeuvres lors de son interview il y a quelque temps.

Moi qui ne suis pas très habituée à lire des nouvelles – trop courtes, chute mal contrôlée, histoire amputée ? – je reste pourtant admirative face à la maîtrise de Claire Keegan au fil de ses textes. Les 8 récits qui composent ce recueil sont magnifiques, et nous emmènent temporairement suivre la vie de quelques personnages.

Un des thèmes communs me semble être pourtant le lien familial – filial, marital ou autre – très présent et souvent problématique (Claire Keegan m'avait répondu sur ce point en me disant que c'est ainsi qu'elle se représente la famille) : » .. mais il est très rare que deux personnes veuillent la même chose à un moment précis de l'existence. Quelquefois c'est l'aspect de plus dur de la condition humaine.«

Mais globalement, elles sont très différentes. Seules les dates d'écriture ont déterminé leur place dans ce recueil, je ne vais donc pas insister sur leurs liens mutuels.

De même, elles se passent – sauf une – en Irlande, pays qui reste sans arrêt présent, par petites touches : quelques mots de gaélique, un paysage, des traditions. En effet, la nature est présente, mais rarement d'une manière bucolique : il faut la dompter, la travailler. La précarité, la fragilité face aux contingences naturelles sont très fortes.

Comme toujours, il est difficile de déterminer leur époque, mais à cette question, l'auteur m'avait répondu que ça n'avait pas d'importance, seule l'histoire, la gestuelle des personnages, comptent. Cependant, ce sont des sociétés très traditionnelles, en particulier pour la place des femmes; et très paysannes. Dans les femmes, seule La Fille du Forestier sort de ce schéma traditionnel, et c'est ma nouvelle préférée. Les traditions, l'esprit de village, les superstitions sont encore très fortes, et sont souvent décisives pour les histoires individuelles.

Au-delà de ces histoires, j'ai retrouvé le style net, presque elliptique de Claire Keegan. Elle ne nous donne jamais les clés de ses oeuvres. Ses nouvelles sont extrêmement travaillées, mais le lecteur ne doit pas être passif non plus : c'est lui qui va compléter l'oeuvre, et décider de ce qu'il veut en faire. On peut trouver cela frustrant, mais à la limite je préfère ça que certains auteurs qui nous servent une philosophie toute faite, convenue, qui ne nous demande aucun effort de décryptage.

Je vous invite donc à découvrir cet auteur, et en particulier Les Trois Lumières (si vous êtes rébarbatifs aux nouvelles). C'est un court roman, dans la droite ligne des autres, mais d'une puissance et d'une richesse énormes.
Lien : https://missbouquinaix.wordp..
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critiques presse (2)
Telerama
05 décembre 2012
[Claire Keegan est] dans l'ombre [de ses personnages], écoute leur souffle, pour décrire en peu de mots d'une justesse imparable les douleurs de l'absence, la solitude absolue et l'hypocrisie sexuelle.
Lire la critique sur le site : Telerama
LesEchos
23 octobre 2012
Les nouvelles de Claire Keegan sont telluriques. […] Chacun de ses textes vont droit au but. Contant une histoire forte, ils sont conçus comme de petits romans aboutis - accomplis serait-on tenté de dire, pour traduire la touche sacrée, mystique de sa prose.
Lire la critique sur le site : LesEchos
Citations et extraits (37) Voir plus Ajouter une citation
Les saisons ont passé et l'hiver est revenu. Ils sont partis en excursion, ont roulé vers le nord jusqu'à la Silent Valley et logé dans une petite pension de famille près de Newry. Ce soir là, pendant le dîner, elle a caressé le pied de son verre et lui a dit qu'elle ne pouvait plus supporter cette situation. S'il ne quittait pas la prêtrise, elle refusait de continuer à le voir de cette façon. Ils sont allés dans un musée de plein air le lendemain matin sur le trajet du retour, ont remonté les époques, de la cour et de la maison vikings aux crannogs* , et ont terminé par une tombe néolithique. Là, ils se se sont tenus au bord d'un lac artificiel où un bateau en bois rudimentaire était à moitié immergé. Des graines de pissenlit jonchaient la surface de l'eau. Une brise froide sifflait dans les roseaux, mais ils sont restés silencieux, enfermés dans la conscience que rien ne serait plus jamais pareil.

* Habitations fortifiées lacustres, en Irlande et en Ecosse, dont les plus anciens remontent à la préhistoire.
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Maintenant, le prêtre se tient dehors et considère les alentours de la chapelle. C'est une journée fraîche, que le vent rend lumineuse. Des confettis ont volé sur les pierres tombales, le pavage, le long du sentier du cimetière. Sur l'if, un lambeau de voile frémit. Le prêtre lève le bras et le retire de la branche. Il lui semble raide, plus étrange qu'une soutane. Il aimerait, à présent, changer de vêtements et aller sur la route de campagne, franchir l'échalier et descendre en direction de la rivière. Là, dans la zone marécageuse entre les champs, sa présence ferait se disperser les canards sauvages. Plus loin au bord de la rivière, il se sentirait calme, mais, dès qu'il tourne la clé dans la porte de la chapelle, il affronte la rue où son devoir l'attend.
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Ta mère ne voulait pas une grande famille. Parfois, quand elle perdait patience, elle te disait qu'elle allait te fourrer dans un seau et te noyer. Petite, tu imaginais qu'on t'emmenait de force sur la rive de la Slaney, qu'on te mettait dans un seau et qu'on jetait le seau, qui flottait une minute avant de sombrer. Plus tard, tu as su que c'était seulement une figure de style, puis tu as pensé que c'était juste une chose horrible à dire. Les gens disaient parfois des choses horribles.
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Cet été-là, ses roses ont fleuri, écarlates, mais, bien avant que le vent ait pu disperser leurs pétales, Martha s'est rendu compte de son erreur. Tout ce qu'elle avait, c'était un mari qui lui parlait à peine, maintenant qu'il l'avait épousée, une maison vide et aucun revenu personnel. Elle avait épousé un homme qu'elle n'aimait pas. Qu'avait-elle espéré ? Elle avait espéré que ce lien évoluerait et s'approfondirait en amour. A présent elle avait soif d'intimité et du genre de conversation qui dépasserait les malentendus. Elle a envisagé de trouver du travail, mais il était trop tard : le berceau accueillerait très bientôt un bébé.
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La marée haute avait échoué des débris, mais alentour ce n'étaient qu'épaisses couches de pierres luisantes, blanchies. Jamais elle n'avait vu des pierres aussi belles, cliquetant comme de la faïence de Delft sous ses pieds chaque fois qu'elle bougeait. Elle s'est demandé depuis combien de temps elles s'entassaient là et quel genre de pierres c'était; mais quelle importance ? Elles étaient ici, maintenant, de même qu'elle.
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Claire Keegan & Camilla Grudova in conversation with Sinéad Gleeson
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