Les floraisons intérieures: Méditations sur la Dame à la Licorne

Le Jardin est ouvert et pourtant protégé. Moins par le rempart qu’esquisse la roseraie que par l’Unicorne et le Lion qui en gardent l’accès, repoussant tout visiteur suspect. De même, là-haut, le faucon de l’esprit veille en permanence et de son regard foudroyant empêche la pie de dérober une perle. Le profane curieux et avide est tenu à l’écart. Seul accède à ce royaume l’individu intègre, droit, aux pensées désintéressées, qui désire progresser spirituellement et œuvrer à la rédemption du monde. Les deux Animaux emblématiques qui entourent la Dame incarnent aussi des qualités requises pour entrer dans la demeure des mystères : l’adepte doit avoir un cœur de Lion, c'est-à-dire se montrer ardent et courageux, loyal et généreux, et il doit, telle la Licorne immaculée, avoir des intentions pures et développer, comme son unique corne spiralée, une intelligence fine et pénétrante orientée vers les réalités éternelles.

Loin de se plier aux poncifs psychologiques qui parlent d’unir la masculin et le féminin en vue d’une réalisation personnelle, le Lion et l’Unicorne (qui, rappelons-le, sont tous deux du genre masculin) se réfèrent à un plan supérieur, autant dire spirituel. Présents de part et d’autre de la Dame dans les six tapisseries, à la fois inséparables et distincts, ils évoquent deux aspects d’un même Feu : chaleur du Cœur, que figure le Lion majestueux, et lumière de l’Intelligence, qui émane du blanc Unicorne. La Sagesse est bien Connaissance d’Amour, et celui qui la cherche doit faire preuve de l’intelligence du cœur, qualité suprême qui n’a rien de sentimental ni de cérébral.

On pense au très beau récit de René d’Anjou, Le Livre du Cœur d’amour épris, qui date de 1457. Secondé par son écuyer Vif-Désir, le chevalier Cœur part en quête de Doulce Mercy, merveilleuse Dame qui, comme dans tous les romans courtois, représente à la fois l’Amour et la Sagesse. Le titre est crypté, il évoque à la fois le cœur ardent et la lumière spirituelle : cœur épris, et esprit d’amour.

Dressés sur la pointe de leurs pattes et de leurs sabots, le Lion et l’Unicorne illustrent l’indispensable dépassement de soi pour avoir part aux saveurs éternelles. Réveillant en chacun une mâle vigueur, ils prodiguent aussi cet avertissement : nul n’entre ici s’il n'est chevalier.

Le Moyen Âge raffole des bestiaires, des herbiers, des lapidaires ; il se plaît à dénombrer les merveilles parfois étranges de la Création, les monstres « dignes d’être montrés ». De ces tapisseries émane une immense tendresse accordée à la totalité du monde vivant, à la violette et au lapin comme à l’oranger magnifique et à l’exotique guépard. On pense à la civilisation de l’Égypte ancienne, aux bas-reliefs des temples, aux peintures des tombeaux qui reproduisent avec une précision inouïe un poisson, un fruit, un légume, un oiseau… Une telle exactitude montre que l’artiste a contemplé longuement et de près le modèle naturel. Il en va ainsi sur ces tapisseries où les fleurs, les animaux, les arbres, les étoffes, les joyaux sont figurés avec soin, minutie et amour. Ce sont ces images fraîches et colorées, enveloppées de tendresse, qui se montrent le plus aptes à refléter les beautés de l'autre monde et à suggérer l’essence divine des choses. Vivants en effet sont les êtres et les objets qu’anime un regard d’amour.

Aussi faut-il tendre l'oreille parce que la voix des fleurs est fluette et que les pierres chuchotent en secret... Tout est animé par le souffle de l'Esprit et baigne dans la lumière indicible. Sous des formes multiples se cache et se révèle une unique présence.