La revanche de Dieu. Chrétiens, juifs et musulmans à la reconquête du monde

Dans les pays indépendants du tiers monde, la religion est bien souvent tenue pour un obstacle au « progrès » – vu comme la mobilisation du peuple derrière ses nouveaux dirigeants. Pourtant, durant la lutte contre la puissance coloniale, l'appartenance religieuse avait été brandie, même par les progressistes, lorsqu'elle permettait de souder les « indigènes » contre les « colons », aidant à l'accouchement d'une identité nationale parfois bien floue. Mais, une fois le nouveau régime installé fermement aux commandes, les clercs ont été renvoyés à leurs études et les mouvements politico-religieux qui avaient accompagné les enfants du pays vers la victoire se sont vus pourchassés ou anéantis.

Observer les mouvements religieux qui fleurissent alors un peu partout dans le monde, c'est nous interroger à travers eux sur les mutations d'ensemble que connaissent les sociétés contemporaines en notre dernier quart de siècle – mutations dont l'opinion ressent les effets sans en posséder les causes. Observer ces mouvements, aussi bizarres, aberrants, fanatiques qu'ils paraissent dans certains cas, c'est prendre au sérieux leurs discours et les formes de socialisation alternatives qu'ils tentent de construire, à la mesure du désarroi que leur inspire un univers où ils ne retrouvent plus leurs marques.

La bipolarité du monde que fige la guerre froide ne fait qu'accroître les séductions de l'antagonisme entre Moscou et Washington, car les deux termes de l'alternative paraissent un dilemme fondamental hors duquel il n'est point de salut. Les croyants sont tenus de s'engager – à défendre le monde libre ou le socialisme –, ce qui mène lentement à subordonner la foi à la réalisation d'idéaux terrestres, l'au-delà à l'ici-bas.