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EAN : 9782073016898
192 pages
Gallimard (07/09/2023)
3.22/5   250 notes
Résumé :
« J'ai conçu Canoës comme un roman en pièces détachées : une novella centrale, "Mustang", et autour, tels des satellites, sept récits. Tous sont connectés, tous se parlent entre eux, et partent d'un même désir : sonder la nature de la voix humaine, sa matérialité, ses pouvoirs, et composer une sorte de monde vocal, empli d'échos, de vibrations, de traces rémanentes. Chaque voix est saisie dans un moment de trouble, quand son timbre s'use ou mue, se distingue ou se c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (57) Voir plus Ajouter une critique
3,22

sur 250 notes
Disons le tout de suite : je suis une fan de la première heure de Maylis de Kerangal.
Mais disons le tout de suite aussi : ce « Canoës » n'est pas ce qu'elle a fait de meilleur.

L'incipit était pourtant bon : nous livrer 8 récits, 8 nouvelles avec une thématique intéressante (et paradoxalement peu traitée) : de l‘importance de la voix – celle qui nous appartient, qui nous caractérise, qui nous identifie – dans des fragments de vie de personnages très divers et variés, ou plutôt devrais-je dire une nouvelle centrale – « Mustang » - et sept autres.

Dans « Mustang » précisément, la narratrice, ayant débarqué au Colorado pour suivre son mari Sam accompagnée de son jeune fils Kid, refuse au départ de circuler en voiture –les transports en commun suffiront bien. Mais qui a voyagé ne serait-ce qu'une fois aux USA sait que ce pari est d'office intenable, les Etats-Unis étant bien évidemment la civilisation de l'automobile. Alors la narratrice va apprendre à conduire. Portrait saisissant d'une professeure d'auto-école, qui – l'héroïne va vite le comprendre – n'a pas que cet emploi pour survivre. Elle doit aussi ramasser en chemin une pile de linge à repasser, et fournir le paquet qu'elle a du repasser très tard le soir après avoir donné ses leçons. Entre deux, la narratrice fait une curieuse découverte dans la boite à gants : un pistolet – un « gun » - trône au fond de la boite et une série de quiproquo va conduire à une drôle de situation : elle emportera le pistolet à la maison, d'où la professeure d'auto-école viendra le rechercher.
Le rapport avec la voix me direz-vous ?
L'héroïne a du mal à se couler dans ce pays nouveau, elle est comme « cabrée, réfractaire ». Et si son fils, tout comme son mari semblent vite intégrer les codes sociaux en vigueur, son mari, ce qu'elle entend de sa voix - « le timbre, la tessiture, tout »- est comme transformé, y compris quand il s'exprime en français. Curieux , non ?

L'idée est effectivement très séduisante de composer différents récits sur ce thème, comme ces retrouvailles entre amies où la première a la sensation de ne pas reconnaître la seconde : c'est bon signe, lui dit-elle, c'est qu'elle est parvenue à contrefaire sa voix féminine, à la faire descendre en gravité, pour pouvoir postuler à la radio où désormais les voix aigues n'ont plus droit de cité.

Il y a des objets qui reviennent dans chaque nouvelle. Des canoës, bien sûr, qui donnent leur titre au recueil, mais aussi des oiseaux, des ossements, des flèches et tout un univers propre à la narratrice qui décline sa thématique sur l'ensemble de son écriture, comme elle a su si bien le faire dans ses précédents récits, comme par exemple dans "Un monde à portée de main".


« En mars 2020 », précise l'autrice à la fin de son recueil, « alors que je commençais à écrire sur la voir humaine, des bouches ont brusquement disparu sous les masques, et les voix se sont trouvées filtrées, parasitées, voilées ; leurs vibrations se sont modifiées et un ensemble de récits a pris forme. »

Mais toutes les nouvelles ne se valent pas : si « Mustang » et « Ruisseau et limaille de fer » sont réussies, « After » ou un lendemain de fête vaseux, « Ontario » - une nouvelle pour laquelle je n'ai toujours pas compris de quoi il s'agissait ou « Ariane espace » qui rappelle la série « OVNI » diffusée récemment ne sont pas de la même eau.

Reste la touchante histoire intitulée « Oiseau léger », une scène réunissant un père et sa fille, et où l'on comprend que la mère – ou l'épouse – est la grande absente trop tôt disparue. Mais le père n'a pas réussi, malgré le drame qui date déjà de cinq ans, à effacer la voix de sa femme du répondeur de la maison.
« Bonjour, vous êtes chez nous mais nous n'y sommes pas ; laissez-nous un message et nous vous rappellerons ! ».
Qui n'a jamais fait l'expérience de voir une vidéo d'une personne défunte ou d'entendre sa voix par delà son décès ne peut apprécier complètement ce récit. Un récit touchant où s'affronte la fille qui voudrait entendre un nouveau message sur le répondeur familial, et un père qui ne peut s'y résoudre …

L'autrice de « Naissance d'un pont » - que j'avais chroniqué lors de sa sortie et dont j'étais ressortie éblouie, mais aussi de « Réparer les vivants » couronné fort justement de prix littéraires ou encore de « Corniche Kennedy » que je vous recommande si vous ne l'avez jamais lu, cette autrice donc est parti d'un concept intéressant mais n'a pas complètement atteint son objectif. Celle qui a « eu envie d'aller chercher sa voix parmi les leurs, de la faire entendre au plus juste, de trouver un « je » au plus proche », n'a pas complètement réussi son pari.

Mais on ne lui en veut pas, parce qu'elle reste tout de même une grande autrice que je continuerai à suivre, ne serait-ce que pour son style qui lui est propre, une belle voix de la littérature française contemporaine donc.
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Sept nouvelles et une novella composent ce recueil, dont le fil rouge décline le thème de la voix. On y retrouve aussi avec une savante manière de les insérer dans le texte autant de canoës que de nouvelles !

Ça commence avec les retrouvailles de deux amies, l'une d'elle cherchant ce qui a pu changer chez l'autre, quelque chose de ténu mais de net…

Suit la novella qui conte les efforts d'adaptation d'une française immigrée au pays de Buffalo Bill. C'est presque la trame d'un roman, le squelette d'une histoire plus consistante.

Puis l'histoire de deux soeurs qui captent les voix pour des desseins obscurs.

Marquante aussi la nouvelle qui traite de ces voix sur les répondeurs qu'on hésitera si longtemps à effacer après que la personne a disparu.

Toutes ces tranches de vie ont pour point commun , hormis le thème, vaste, une écriture très travaillée, au pouvoir quasi hypnotique, au risque de perdre le fil.

Mais ça marche, on est pris par la magie des textes et on se laisse emporter par la narration.

Quelle chance d'avoir pu entendre trois de ces nouvelles, lues par l'auteur et accompagnées par deux musiciens fabuleux aux Correspondances de Manosque !

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Maylis de Kerangal. Son nom sonne comme une promesse. La promesse d'une écriture épique, précise, aérienne. Livre après livre, la musique de sa prose est toujours plus virtuose. Chaque mot compte, chaque virgule importe, elle travaille son texte comme une partition, au point, parfois, de privilégier la forme au détriment du fond.
D'où ma réserve. Certains passages sont à couper le souffle parce que l'élan du verbe porte à merveille la beauté ou l'acuité du propos (exemples : p55, p78, p80). D'autres en deviennent presque ridicules tant la chose décrite est étrangère aux ors et parures dont l'auteure l'affuble (exemples : p51, p112). J'avais déjà relevé ce travers dans son précédent roman, ce goût de la peinture qui confine au maniérisme.
Contrairement à beaucoup de lecteurs, je n'ai rien contre les nouvelles. Il est d'ailleurs étonnant qu'en ces temps de zapping et d'attention limitée, ce genre littéraire n'ait pas plus de succès. Une nouvelle réussie est une nouvelle sous tension. A cet égard, j'ai adoré « Un oiseau léger » et « Nevermore ». J'ai été agacée, en revanche, par l'usage systématique du mot « canoë ». Il revient dans chaque histoire comme un prétexte au choix du titre, une contrainte oulipienne mal assimilée, une excuse à ne pas avoir écrit un roman.
Je reste sur ma faim. J'ai l'impression que Maylis de Kerangal ne met pas son talent au service d'une grande et belle histoire. Avec ses ouvrages précédents, elle nous avait bien habitués. J'ose espérer qu'elle ne nous avait pas gâtés.
Bilan : 🌹
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Et au milieu coule une rivière ou une nouvelle, pièce centrale de ce recueil, Mustang.

Et au milieu roule donc une Ford Mustang d'un vert entre forêt et émeraude.

Et au milieu se glisse une voix, des voix. D'abord celle de Steve McQueen. Quand on me parle Mustang, un cheval qui galope sur la calandre, je suis dans Bullitt. D'autres voix aussi partagent ces moments, des voix intérieures, des voix sorties d'une bande FM lorsque je roule dans la poussière d'un état poussiéreux. Ou est-ce moi qui suis dans un état poussiéreux ? Né poussière, je finirai poussière, crossroads. En attendant je chevauche le pur-sang, je roule en Ford Mustang,

Car c'est bien cette caisse la pièce maitresse de ce livre, « Mustang ». Les canoës ? Maylis de Kerangal les a bien évoqué par la suite. Pour en dire quoi ? et où ? J'ai déjà oublié cette histoire de « canoës ». Tout comme le fil conducteur, les voix. Je suis resté dans la poussière mythique des Amériques, et est eu du mal à me captiver pour d'autres aventures, même si la « plume » de l'auteur se faisant d'aigle me transporte souvent, toujours, au-delà des frontières de l'état et de mon imagination, le souffle haletant par la volubilité de ses phrases. Des voix, des canoës et une Mustang.
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Chère Maylis,
Il faut que je vous confie un secret : vous savez, nous lecteurs, nous ne sommes pas comme les éditeurs, nous ne vous réclamons pas à cor et à cri un livre tous les deux/trois ans, nous savons patienter, nous ne sommes pas pressés… On peut même attendre cinq ans, dix ans s'il le faut (pas tellement plus parce qu'on est un peu vieux, hein…)
Je dis ça, parce qu'entre nous, cette nouvelle « Mustang » page 33 à 102, elle est vraiment très forte, elle m'a beaucoup touchée, moi qui, comme vous, suis de la même année que la Ford Mustang vert forêt, intérieur skaï vert amande. Je vous ai suivie le long des contreforts des Rocheuses, dans les prairies rose poussière, j'ai chiné dans le magasin de pierres « Colorado Magical Stones », j'ai senti le sol, les matières, j'ai touché les cendres, le grès, le schiste, le granit, j'aime la sensualité de ce qui compose la roche, la falaise, la montagne, moi aussi je peux nager en piscine en mer dans les lacs, partout, j'aime aussi partir d'un coup quand j'en ai ma claque et la poterie pourquoi pas, rien que pour faire comme elle dit, Ursula K.Le Guin, dans sa « théorie de la fiction-panier », j'adore ce qu'elle dit, Ursula K.Le Guin, et j'en ai un peu marre des récits de mecs poilus qui tuent (même si je peux aimer les mecs poilus qui tuent.) Je suis entrée à pieds joints dans votre « infra-fiction » secrète, je m'y suis vautrée. Moi, je suis toujours prête pour les « infra-fictions secrètes », je démarre vite, je me fais des films, je suis très très douée pour ça. Bref, j'ai marché, j'ai roulé, j'ai pris la poussière et l'odeur du gazoil. Je me suis débrouillée seule, moi aussi, et mes écarts se sont faits de plus en plus fréquents. Oui, je les ai aimées vos virées en Mustang et me perdre me va très bien. Vous voyez comme je l'ai habitée, cette nouvelle, comme je la sens encore vibrer en moi.
Mais, honnêtement, les autres autour, c'était pas la peine. Et ce truc du canoë, cette référence, ce soi-disant « écho » qui revient dans chaque nouvelle, on sait pas bien pourquoi. Bof.
Votre voix, je ne l'ai entendue clairement que dans « Mustang », le reste, il fallait peut-être le garder pour plus tard, pour un autre roman. Pour être sûre de ne pas risquer de brouiller la fréquence de « Mustang »...
Prenez votre temps, Maylis, on sera patients.
« Mustang » dans la tête et dans le corps, j'ai à manger pour tout l'été et pour l'hiver aussi. Mes rêves ont de quoi se nourrir, je vous en remercie.
Prenez votre temps, Maylis, n'écoutez pas votre éditeur. Faites-nous un bon gros roman, parlez-nous encore des dinosaures aux longs cils, des scanners temporo-mandibulaires et des macaques rhésus. Laissez tomber les canoës. Pas de rafistolage, de rapiéçage, de patchwork. On veut du blindé, du massif, du brut.
On veut du Maylis de Kerangal...
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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critiques presse (9)
LaPresse
28 juin 2021
Rien de plus humain que la voix, thème autour duquel s’articule Canoës, brillant recueil de huit nouvelles qui parle autant du phénomène physique qui la produit que de chacune de ses infimes nuances et des émotions qu’elle procure.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LaCroix
17 juin 2021
Le nouveau roman de Maylis de Kerangal se présente comme une constellation de huit récits, dont les pulsations convergent vers une même étude de la voix humaine.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Culturebox
14 juin 2021
L'autrice de "Réparer les vivants" s'attaque dans ce recueil de nouvelles à la voix, à sa texture mais aussi aux effets et au pouvoir qu'une voix peut avoir sur nous.
Lire la critique sur le site : Culturebox
SudOuestPresse
07 juin 2021
Autour d’un grand récit central intitulé « Mustang », s’organisent sept plus courts, connectés, qui tous donnent à entendre des voix de femmes. Complexe et passionnant.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
LeFigaro
03 juin 2021
A l'occasion de l'ouverture du tournoi de Roland Garros, un essai propose de mettre en perspective le « mythe » de Roger Federer, l'un des sportifs les plus adulés de l'époque contemporaine.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Elle
26 mai 2021
Qu'est-ce que nos voix disent de nos vies ? Dans « Canoës », Maylis de Kerangal compose un monde sonore de femmes à la dérive. Splendide.
Lire la critique sur le site : Elle
Bibliobs
25 mai 2021
Depuis plus d’un an, nos voix sont filtrées par les masques. Maylis de Kerangal leur redonne toute leur puissance et leur netteté dans un recueil de nouvelles plein de bruits et de murmures.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeSoir
17 mai 2021
Les masques des gestes barrières modifient le son des voix. Maylis de Kerangal restitue leur mystère et leur vérité.
Lire la critique sur le site : LeSoir
LeMonde
14 mai 2021
L’écrivaine signe « Canoës », un recueil de nouvelles bruissantes de sons et d’émotions, dont chacune résonne du timbre fragile et trouble de son narrateur.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (34) Voir plus Ajouter une citation
Je m’assieds au volant en prenant soin de régler l’inclinaison du dossier, la distance des pédales, puis je démarre et bientôt stabilise une vitesse lente et continue, une vitesse de croisière, et me projette au hasard, décentrée, désorientée, multipliant les variations, les écarts, les déroutages, les perspectives. Souvent, une fois lancée, j’allume l’autoradio, aussitôt assaillie par les prêches religieux que débitent d’une fréquence à l’autre des voix mâles aux modulations perverses, tour à tour séductrices et menaçantes, caverneuses, des prêches que j’écarte, choisissant la musique, un air, une chanson que je pourrais chanter moi aussi, à voix haute et claire, à voir forte même, à gorge déployée dit-on – c’est si bon de chanter fort en secouant la tête ; et si je baisse le volume, je perçois alors ma propre voix, furtive mais incroyablement nette, elle me revient, et insiste, comme si ces heures seule en voiture ne servaient qu’à ça : l’entendre.
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C’est si simple, si facile, et la circulation si tranquille à cette heure, pas un encombrement, pas un seul obstacle, rien qui puisse perturber mon champ de vision – mais peut-être suis-je trop sûre de moi en cet instant, ou ailleurs, dressée dans ma solitude où pousse à présent quelque chose de fragile, quelque chose qui m’appartient en propre et que je protège comme on protège un secret -, quand pourtant je dose mal l’appui de mon pied sur la pédale et rabats trop durement le volant, si bien que la Mustang bondit, un soubresaut, ma tête bascule vers l’avant puis rebascule en arrière, mon corps se contracte, mes mains se cramponnent, je n’arrive pas à redresser ma trajectoire qui se déporte inéluctablement sur la file de gauche, et coupe la voie à ceux qui remontent en sens inverse sans se douter de rien (…) Baong ! Un bruit mat et mou éclate dans l’habitacle, j’ai percuté l’avant d’une Buick caramel
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Eblouis, je n’ai pas saisi immédiatement ce qui se jouait là, le long de cette artère qui fléchait le centre de Denver sur près de dix miles, et j’ai plissé les yeux : des parkings de voitures entouraient le bus, à perte de vue. Des centaines de concessionnaires et de marchands de bagnoles d’occase, des milliers de voitures et de pick-up étaient garés là, à touche-touche, coalisés, ne formant plus qu’une surface de métal qui étincelait au soleil. Vus de mon siège, les toits et les capots semblaient s’être littéralement substitués au sol, ils carrossaient la plaine et la platitude du relief augmentant l’effet de la perspective, ils donnaient au bassin de Denver l’aspect d’un lac étincelant. Des étendards et des fanions flottaient haut dans le ciel, encadrant des enseignes géantes, aussi solennels et majestueux que des drapeaux de pays, leurs logos colorés saillant dans l’immensité monochrome et leurs lettres épelant le grand alphabet de l’industrie automobile américaine : Buick, Cadillac, Chevrolet, Chrysler, Dodge, Ford, Jeep, Lincoln, Mercury, Plymouth, Pontiac.
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Cette capsule de bière qui roule dans ma bouche, cette couronne de métal cabossée, déformée d'u coup de mâchoire, son pourtour dentelé de pointes, le recto poli, émaillé sous ma langue, le verso râpeux, et cette façon dont elle a de prolonger son goût de petite monnaie tiède, de faire durer sous mes lèvres ses arômes de foin et de houblon, de rappeler l'amertume, cette pièce d'or Heineken frappée d'une étoile rouge qui valdingue contre mes dents et que je colle sous mon palais telle une hostie clandestine, il est midi, la prairie craque, il règne un grand silence, le ciel est sillonné de photométéores, je traîne un grand sac-poubelle de plastique noir, et devant moi, l'herbe aplatie, piétinée, creuse sur une surface plus clair que le couvert végétal, une vaste cuvette où les pierres qui cette nuit cerclaient notre foyer sont encore chaudes.
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Ce que Zoé appelle « sa voix de chiotte » n’est autre chose qu’un timbre claire et vif, une voix au débit saccadé, pointue mais capable de s’élever dans la stridence – un ruisseau de montage. Je l’aime, cette voix, c’est la sienne. Quand je pense à Zoé, c’est ce timbre qui revient et, dans son sillage, la nuit où elle avait chanté des standards de folkeuses américaines (….)
Il semble pourtant que cette voix soit trop aigue pour devenir une vois radiophonique. Ici, on n’aime pas trop les petites voix sucrées ! A-t-on balancé récemment à Zoé, manière de la prévenir que son accès au micro était compromis, et quelle ferait mieux de revoir ses rêves à la baisse. Un présage qu’elle a entendu comme une incitation à se montrer opiniâtre, à prouver sa valeur, et surtout à travailler sa voix afin de la rendre plus grave, plus profonde, plus posée. Plus masculine tu veux dire ? Ai-je demandé. Moins féminine en tout cas, m’a-t-elle rétorqué en s’allumant une clope. Zoé est donc partie en quête de sa voix grave, celle qui connote la compétence, l’autorité et l’assurance que l’on refuse à sa voix aigue.
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Videos de Maylis de Kerangal (94) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Maylis de Kerangal
Lecture par l'autrice
À l'occasion d'un prix littéraire canadien qui lui a été attribué, Maylis de Kerangal a été invitée à composer un recueil de textes : c'est cet Archipel qui paraît aujourd'hui. Y sont rassemblés des fictions, des essais et des récits, des « îles » aux formes et histoires différentes, qui tiennent ensemble par une unité sous-jacente, un « même climat, un même idiome, une même origine géologique. » En ouverture, la novela « Rouge » serait l'île principale où s'ancre la langue, sa possibilité d'exploration et de suspension. La narratrice y déploie un souvenir, une expérience personnelle vécue à la fin des années 1980 d'un dimanche où elle a été embauchée comme hôtesse à l'hippodrome de Longchamp.
À lire – Maylis de Kerangal, Un archipel. Fiction, récits, essais, Les Presses de l'Université de Montréal, 2023.
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