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sur 4575 notes
J'ose à peine l'écrire : Coup de coeur inattendu de ce début d'année 2014 !

Oui, gros coup de coeur pour ce roman, véritable plaidoyer pour la transplantation cardiaque ! Ce don gratuit qui n'en est pas un finalement puisqu'il intervient en cas de mort cérébrale et permet d'offrir dans un anonymat total et définitif un supplément de vie à quelqu'un, condamné à plus ou moins brève échéance par son coeur défaillant.

Cette gratuité humaine qui redonne confiance en la vie, forge un nouveau départ.

Hymne à la vie donc, ce roman est à la fois passionnant et bouleversant, mais entendons-nous bien, aucun pathos larmoyant ici. En 24 heures chrono, l'histoire s'articule autour de Simon Limbres ( clin d'oeil aux limbes ? ), jeune homme de 17 ans, fou de surf, qui suite à un accident de la route, est déclaré en état de mort cérébrale, situation idéale pour envisager de récupérer ses organes vitaux ( coeur, poumons, foie et reins ) en parfait état, et de Claire Mejean, quinquagénaire dont le coeur à bout de souffle l'a contrainte à réorganiser sa vie, au point de vivre au ralenti à proximité de l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, dans l'attente de l'organe compatible - une vie qui s'amenuise inexorablement.
Autour d'eux gravitent évidemment les familles, les médecins, les chirurgiens, les infirmières, mais aussi les chauffeurs de taxi agréés que Mailys de Kerangal incarnent à travers des personnages très réalistes et touchants dans leurs particularités, tous embarqués dans le tourbillon de la transplantation, véritable course contre la montre, ballet à la chorégraphie millimétrée où chaque maillon est indispensable au bon déroulement.

Je ne suis pas fan d'ordinaire de récits foisonnant de détails médicaux, et sans l'avis de MarianneL, que je remercie vraiment pour la découverte, je n'aurais sans doute pas choisi cette lecture. J'aurais alors raté un livre marquant qui me laissera assurément une trace indélébile, tant il me conforte dans mon acceptation personnelle du don d'organes.
J'ai tout particulièrement apprécié l'alternance de narration lente chargée d'émotions et les pages de description enlevée du protocole médical, très instructives sans être rébarbatives, le tout servi par une écriture dense, serrée, souvent concentrée autour de mots, de verbes percutants. Je me suis laissée embarquer dans cette aventure, au point de supporter sans difficulté un tourbillon de phrases longues qui peuvent s'étirer sur plusieurs pages, comme pour mieux tenir le lecteur en haleine. Et de fait, je n'ai pas beaucoup lâché le livre avant d'en avoir achevé la lecture, signe indiscutable de son intérêt.

24 heures : le temps du roman - de la fin d'une vie aux premiers battements du coeur transplanté. Une prouesse médicale et littéraire !
Un beau roman-document pour alimenter sa réflexion en vue d'une prise de position concernant ses propres organes au cas où...
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Ce qui m'a frappé en lisant le nouveau livre de Maylis de Kérangal, c'est l'écriture. Dès les premières lignes on devine que l'on va passer un moment fort. Car on delà du sujet sensible et profondément intime, la mort qui frappe aveuglement et plonge une famille dans l'impensable puis, la décision dans l'horreur de l'instant, de faire un don d'organes pour redonner un supplément de vie à de parfaits inconnus, c'est dans le choix des mots, l'envolée des phrases, le style que le roman de Kérangal bouscule tout sur son passage. Au plus près de chacun des personnages, elle est d'une justesse remarquable. Pas un mot de trop qui pourrait faire chavirer le roman dans le pathos. C'est aussi un magnifique hommage à ces anonymes héros du monde hospitalier, luttant contre la montre oubliant leurs propres maux pour accompagner les familles dans leurs souffrances ou leurs espoirs.
« Réparer les vivants » est un livre passionnant, émouvant, il nous interpelle sur nos propres convictions et nos questionnements que l‘on botte volontiers en touche sur des sujets aussi sensibles.
Maylis de Kérangal nous donne un bouquin bouleversant qui va droit au … coeur.
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Mon coeur bat trop vite : je viens de refermer cette ode à la vie qu'est ce chef-d'oeuvre de Maylis de Kerangal.
Mon coeur s'essouffle, ralentit, se déchire : je hurle avec les parents de ce jeune homme de 19 ans, mort dans un accident de voiture.
Mon coeur se dilate, explose : je salue la course à la vie, à travers la greffe des organes de ce jeune.

Je n'en peux plus de lire cette souffrance des parents devant le corps de leur enfant. Je m'en imprègne et m'écroule.
Je tremble d'exaltation lorsque la demande de greffes d'organes leur est proposée, afin de sauver d'autres vies. Un processus qui demande rapidité, un processus qui pourtant est rempli de respect. Respect de la douleur. Humanité profonde.

J'accompagne chaque personnage : Simon, bien entendu, le jeune surfeur qui, quelques minutes avant l'accident fatal, s'abandonnait à sa passion dans la mer froide, à l'heure où le gris foncé n'a pas encore cédé le pas à l'aube. Marianne, sa maman, bouleversante. Sean, son papa, décomposé et plein de rage. Lou, sa petite soeur de 7 ans, qu'il a fallu « caser » chez la voisine. Juliette, son amour.
Et puis l'équipe médicale : Revol, le médecin en réanimation de qui tout est parti. Thomas, l'infirmier responsable du processus de greffe, du début à la fin. La jeune infirmière tout encore imprégnée de sa folle nuit d'amour. Et tous les autres, aux quatre coins de la France, unis dans une même urgence.
Tout au bout de la chaîne, et à son origine, Claire, la receveuse du coeur de Simon, celle pour qui le processus s'est mis en branle.

Que dire de plus sur ce roman ? Et d'ailleurs, comment appeler cela un roman, alors qu'il est rempli d'humanité et de vérité, dans toute leur crudité émotionnelle et physique ?
Un souffle de vie traverse cette histoire de part en part, souffle ponctué jusque dans son style, ponctuation chaotique, images bouleversantes et cosmiques, où le temps et l'espace communient avec la solitude de l'être humain.
Solitude, oui. Solitude de la souffrance, de la mort. Mais Vie, explosion de vie, malgré tout, envers et contre tout.

Mon coeur éclate. « Réparer les vivants » m'a, à tout jamais, enferré dans la vie. Merci.
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Au coeur de « Réparer les vivants » il y a un coeur à prendre. Le coeur de Simon Limbres.

Limbres… (selon Maylis de Kerangal, les noms de ses personnages ne sont jamais un hasard) presque comme les limbes où l'on pourrait imaginer Simon durant les vingt-quatre heures qui vont suivre son accident fatal.

Vingt-quatre heures intenses et poignantes d'une course contre la montre, qui honore la vie en tutoyant la mort. Vingt-quatre heures suffocantes, construites comme la trajectoire d'une vague qui s'étire et s'amplifie pour monter en puissance vers l'objectif ultime : le transfert d'un coeur, d'un corps vers un autre corps.

Comme autant de respirations dans ce flux inexorable, comme autant d'évocations de l'Amour dans ses différentes expressions, l'intervention des principaux personnages et de leurs émotions propres apporte une vibration profondément humaine à l'épopée scientifique. Là se trouve toute la virtuosité de l'auteure dont l'écriture fiévreuse surfe remarquablement sur ces deux registres, décrivant avec une précision captivante la performance médicale et ses impératifs tangibles, insufflant aussi (et surtout) une dimension spirituelle bouleversante à cette aventure d'exception.

Magnifique et… palpitant, ce récit fulgurant cumule à ce jour pas moins de sept récompenses hexagonales. De quoi se réconcilier avec les prix littéraires finalement.

Ҩ

Mille mercis à l'équipe de Babelio ainsi qu'à Anne-Gaëlle Fontaine des éditions Gallimard qui m'ont sélectionnée pour cette lecture. J'en attendais beaucoup, elle m'a offert bien plus encore.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Désolée mais je ne partage pas l'enthousiasme quasi général pour ce livre. Croyez bien que j'en suis désolée, mais pour reprendre l'expression d'une de mes babéliotes préférées, ce n'est la que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose !
Certes le sujet est grave et délicat et il semble important de sensibiliser la population afin de sauver des vies, mais j'ai détesté le style de ce livre, diluer un sujet dans des phrases à rallonges qui se veulent parfois légèrement poétiques, ou qui se font l'expression des sentiments des personnages, avec moult détails me met presque en colère je ne comprends pas cette forme d'écriture, j'aurais voulu compatir dans la première partie avec cette famille qui perd un enfant, mais des détails à chaque fois sont venus parasiter mon ressenti : oui c'est bien triste ce couple qui rentre à la maison accablé par la douleur, mais a-t-on besoin de préciser qu'ils s'assoient sur un canapé trouvé un jour, au bord d'une route ? Est-il si important de dévier sur Thomas Rémiges qui choisit un chardonneret et de spécifier que le chardonneret de la forêt de Baïnem disparaît ? Que Révol verse le café dans des gobelets de plastique blanc ?
Non décidément, cette littérature n'est pas pour moi !
J'ai donc lu ce roman en diagonale, cherchant désespérément les passages qui traitent de la question du don d'organe.
Je n'ai pu m'attacher à aucun personnage, le texte me donnant l'impression de décrire froidement un prélèvement d'organe et une transplantation et de faire évoluer des personnages transparents sans relief.
L'intention de l'auteur était intéressante et louable, je trouve dommage de n'avoir pu m'accrocher !
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Ça y est. J'ai retrouvé Maylis de Kerangal dans une aventure à la fois peu ordinaire et pourtant de pratique courante aujourd'hui, en médecine, le don d'organes.
Tout d'abord et pour parler d'écriture, je dirai que c'est du Kerangal, comme je pourrais en dire autant de Chalandon, c'est du Chalandon. Mais cela n'a rien de péjoratif, bien au contraire, quand je découvre une écriture qui atteint à mon avis, sa pleine maturité et que dès les premières pages se conforte mon jugement. Je découvre une écriture à large spectre qui touche tous les publics, dont les jeunes, quand on sait leur générosité pour un sujet où en général, ils ne tergiversent guère, celui du partage et de la question du don. La jeunesse est fougueuse et ne n'enferre pas dans l'idée de la durée au-delà d'un prolongement autre que le futur proche.
Ici, la qualité de l'écrit est indéniable tout autant qu'il est indéfectible. Je m'explique. Dans l'univers qui nous attache, le mot juste parmi toutes les possibilités offertes à une importance pour ainsi dire capitale. Pour la précision mais pas seulement.
Maylis de Kerangal va bien plus loin que l'imagée de l'écriture. Elle illustre par le choix du texte et dans les mêmes proportions autant le milieu ambiant que le ressenti profond des personnages et, comme si cette prouesse déjà complexe n'était pas le summum de sa performance, elle réussit à l'adapter à des cadres bien particuliers, des contextes, des lieux, des personnes et à toute la résonnance environnementale qui compose un ensemble qui ordonne certes, la dichotomie, mais surtout l'harmonisation du tout. Ceci sur un sujet tout de même épineux et dont on peut se féliciter qu'il soit abordé de cette manière ; tandis que je me posais la question peu avant d'amorcer ma lecture, de savoir s'il serait traité dans toute sa complexité. Qu'est à dire encore !
Que pour un tel sujet, je peux bien concéder de dire clairement - si c'est possible, ma position.
J'ai, moi-même, personnellement et nous avons, dans notre petite famille, notre carte de donneur. Mais, cela étant dit, qu'ai-je dit ? Pas grand-chose. Si toutefois pour moi c'est réglé, (si tant est qu'il me reste quelque chose à donner vu mes nombreux excès... Je rigole là...) Je suis donneur ! C'est inscrit sur ma carte et de toute façon, je ne serais plus là pour contester cet assentiment. Mais ! Pour l'enfant ? C'est un peu plus compliqué. Surtout s'il n'y a pas de consentement établi au préalable. Et quand bien même ! Disons le vrai ! C'est bien le dernier moment que celui-là, de la concertation où j'aurais envie de parler à quiconque et encore moins d'accorder un temps et de penser à un acte d'humanité, tandis que s'échappe précisément une partie de la mienne. Et pourtant ! C'est bien dans ce prolongement de l'acte que les donateurs, parfois, se réactivent dans un mouvement qui perpétue la présence du fils, du disparu, à travers la transmission d'organes qui signifie la vie, quelque part, tandis qu'au moment du retour vers l'habitat, et quittant la sphère grouillante de l'institution hospitalière, une immense chape de plomb et de solitude s'abat sur la famille et les proches du défunt.
Alors, ce que j'apprécie dans ce livre, c'est la justesse du ton et le réalisme qui y est entièrement représenté. Car, même si on y parle de mort, curieusement, on y parle tout autant et surtout de la vie et c'est une autre performance à mon avis, que de nous faire entrer jusque dans la salle d'opération, pour la technique et dans les coeurs, celui de Simon Limbres, en état de mort cérébrale, mais pas seulement, celui aussi de tous les protagonistes, parents, soeur, amis, et de tous les praticiens qui ne sont que des hommes, eux aussi, avec parfois un grand coeur et un sens de la responsabilité qui n'entrave en rien la parole donnée.
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Maylis de Kerangal - Réparer les vivants - 2014 : Quand on parle de phrases courantes sur plusieurs pages, certains vont penser a Proust et se détourner poliment du livre avec un raclement de gorge entendu. Pourtant ça n'a rien à voir ! Autant "Du coté de chez Swann" pouvait paraître long et soporifique, autant ce roman de Maylis de Kerangal revendique l'absence de ponctuation dans la mesure ou elle soutient le rythme rapide d'un récit implacablement serré et précis. Les mots seuls peuvent être incisifs et l'auteur maîtrise parfaitement le vocabulaire de crise qui permet de garder le lecteur sous pression comme s'il était partie prenante de la course contre la montre qui se joue devant lui. La mort intolérable d'un jeune homme lors d'un accident de surf précipite une famille dans la douleur et déclenche un mécanisme impressionnant par sa précision et son professionnalisme. Impossible de ne pas s'identifier aux parents, a leur détresse devant le corps inanimé de leur fils alors que le temps presse et qu'il va falloir décidé si on permet a cette équipe médicale si délicate et pressante de meurtrir à nouveau cette peau, ce ventre, cette poitrine qui vibrait il y a peu encore sous le souffle de la vie. Mais voilà d'autres êtres humains attendent une transplantation pour continuer à exister eux aussi et ce jeune coeur, ces jeune poumons deviennent des trésors inestimables convoités par ces joailliers de l'extrême qui polissent chaque organe comme les plus précieux des diamants. Les événements s'enchaînent comme une sarabande de tristesse arrachant au temps quelques morceaux de vie, ici la dernière nuit d'amour d'une infirmière, là de vagues souvenirs de vacances. Tous ça reste en périphérie car au bout de la course c'est la cage thoracique épuisée d'une patiente en sursis qui va recueillir l'obole et relancer cette machine extraordinaire faite de tendons et de viscères dangereusement sur le point de s'éteindre. Voila un livre qui ne laissera personne indifférent car il tempête en chacun de nous comme un orage sur la mer tant l'être humain moderne repousse loin de lui la moindre image de sa mort ou de celle de ses proches. C'est aussi une formidable aventure technologique menée par des hommes et des femmes dévoués jusque dans leur chair au bien-être de leurs prochains... absolument bouleversant.
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Panégyrique à la gloire des soignants et hymne à la vie, ce magnifique roman décrit 24 heures fatidiques où la mort d'un surfer déclenche le don de ses organes vitaux et permet de réparer des vivants attendant une greffe, d'un coeur ou d'un foie, de poumons ou de reins.

Thème sensible qui pourrait engendrer des pages ruisselantes d'hémoglobine et des pleurs dans les chaumières, que Maylis de Kerangal domine en abordant la question par le triple versant juridique, médical et humain.

L'aspect juridique est décrit avec pédagogie et nous enseigne la loi Caillavet et ses modernisations, rappelle les régles qui assurent le respect des volontés exprimées par le donneur et garantissent l'anonymat du don.

Le volet chirurgical est traité de main de maitre par une enquêtrice qui a rencontré des infirmiers, des urgentistes, des chirurgiens et est donc capable de disséquer le moindre acte médical et de le décrire de façon technique et objective en mettant en évidence son rôle salvateur.

La dimension humaine est abordée avec pudeur et tact. La famille de Simon, les soignants, les receveurs, sont, au premier abord, des personnes ordinaires, abasourdies par l'accident, engagées dans leur métier médical, inquiètes et impatientes d'être « réparées ».

La romancière alterne les épisodes de ce dimanche tragique avec des retours en arrière qui projettent les séances de surf des adolescents, les galipettes de l'infirmière nymphomane, les discussions de la future greffée avec sa mère et ses enfants. Cette alternance permet au lecteur de reprendre souffle entre deux épisodes hospitaliers et surtout donne le temps aux acteurs de progresser dans leur réflexion et Dieu sait qu'en 24 heures, dans un contexte dramatique, les positions peuvent évoluer du désespoir à la révolte, de la révolte à l'espérance.

L'écriture, oh combien reconnaissable de Maylis de Kerangal, avec ses longues tirades, très visuelles, peint les décors du Havre, des bords de Seine, des plages cauchoises, du Bourget, du Stade de France, des hôpitaux et brosse le tableau des acteurs de cette épopée et immortalise le savoir faire des équipes médicales mobilisées pour « réparer les vivants. »

Un chef d'oeuvre et un superbe hommage au corps médical.
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Il y a des livres dont on sait qu'on les rencontrera un jour. On a entendu le bruit qui a été fait à leur sortie, on a senti le vent du succès à observer les palmarès des prix littéraires, on a aperçu les informations sur leur adaptation ciné. On s'est tenu le plus éloigné possible des résumés parce qu'on avait envie de découvrir l'histoire par nous même. On sait qu'il s'agit de médecine, le titre nous le confirme. On espère qu'il y aura suffisamment d'originalité pour que ce soit une belle rencontre d'auteure en plus d'être une lecture unique intéressante.

Alors quand un ou deux critères de challenges nous placent le livre sur notre chemin, on n'hésite plus, on sait que le moment est venu... et quelle joie parce qu'on est pas déçu. le style de Maylis de Kerangal est particulier, il en a dérouté certains et a d'ailleurs amené certaines critiques moins enthousiastes. J'aime les voix littéraires étranges, chemins de traverse, surtout quand elles ne sont pas juste exercices de style mais ont vocation à retranscrire le réel ou en tout cas un réel, volonté de sincérité, recherche de l'émotion, pas pour faire pleurer dans les chaumières (même si l'effet a été atteint chez moi et ils ne sont pas si nombreux les livres qui me tirent une vraie larme) mais parce que certains sujets ne peuvent faire l'économie des larmes. Ici l'auteure mélange langage jeune, néologismes, envolées poétiques, descriptions techniques, les accole les uns aux autres, dans un fouillis finalement artistique. Apparemment c'est la patte de l'auteure, je ne sais pas si cela était particulièrement adapté à ses autres sujets, mais ici c'est très juste.

En effet, le sujet c'est la greffe d'organe. Et dans la greffe il y a très souvent la jeunesse, parce que les candidats donneurs d'organe sont malheureusement le plus souvent les jeunes victimes d'accident. Dans la greffe, il y a aussi la médecine et dans sa partie la plus technique, car elle est ici nécessairement au maximum de ses capacités, on demande aux médecins d'être des apprentis Frankenstein. La greffe, c'est éminemment poétique, parce qu'il est question de vie et de mort, de deuil, d'humanité, de sentiments. le style de l'auteure est donc parfait pour décrire ce mélange baroque de courants qui ne devraient pas pouvoir se rencontrer et qui nécessite donc d'inventer de nouvelles formes pour en rendre compte.

Pour rendre ce mélange de technicité et d'humanité, l'auteure adapte intelligemment sa narration. Elle ne nous épargne aucun détail technique, mais s'intéresse également en profondeur à tous les protagonistes humains: parents du donneur, professionnels de toutes spécialités (anesthésistes, chirurgiens, infirmière, coordonnateur du service des greffes, receveur et sa famille). Elle n'est pas économe en digressions, évoquant la passion d'un soignant pour le chant ou les aventures d'une nuit d'une infirmière. Là encore certaines critiques le lui reprochent mais cela m'a permis de mon côté de ressentir tout ce qu'il y a d'humanité engagée dans ce processus, au delà des gestes techniques précis nécessaires. Toutes ces personnes qui interviennent dans cette aventure extraordinaire de la greffe ne sont pas des pantins désincarnés, ce sont des hommes et des femmes à part entière, nourris de tout ce qu'ils sont quand ils ne sont pas médecins, de leurs emportements, de leurs engouements, de leur complexité. J'ai également beaucoup aimé la façon de parsemer tout le livre de clins d'oeil anatomiques, les organes sont présents même de façon incongrue, les moments sont disséqués pour découvrir ce qui se cache sous la surface, comme une opération se rejouant tout au long du récit.

J'étais déjà personnellement convaincu par la nécessité du don d'organes, et ai profité de la lecture pour réaffirmer à ma femme mon accord plein et entier si jamais les circonstances devaient le nécessiter. Cette lecture n'aura fait que me conforter dans mon choix, avec la prouesse particulière de le faire en n'omettant aucunement la douleur et la difficulté pour les familles à se positionner face à ce choix. La première partie du livre se concentre majoritairement sur ce moment de la décision ou non d'accepter, revient sur les avancées législatives tout en l'opposant à la nécessité impérative du respect des volontés de chacun et de l'accompagnement tout en bienveillance des parents. Ce livre milite sans en donner l'impression, juste en décrivant une réalité, sans jugement de valeur ni grandes envolées moralisatrices. Que Mme de Kerangal en soit grandement remerciée.

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Dès que j'ai appris l'existence de ce livre de Maylis de Kerangal, que je ne connaissais pas auparavant, je l'ai immédiatement noté dans mes prochains ouvrages à acheter et bien sûr à lire.
Comme certains d'entre-vous le savent, je me suis senti tout de suite concerné, ayant bénéficié d'une transplantation cardiaque (Ce qui me donne le temps de lire). Il fallait que je le lise ! Cette situation est toujours un peu dangereuse en termes d'objectivité, car on attend beaucoup de ces lectures impliquantes, et on ne les trouve pas toujours au niveau souhaité. Je me suis donc prémuni de cela en laissant l'auteur me délivrer son message, sans trop attendre en fonction de ma situation personnelle.
On démarre par une surprenante et excellente description des moments vécus par des surfeurs . On arrive très vite à être « dedans », même sans être jamais monté sur une planche. (C'est du vécu…)
Et on s'aperçoit au fur et à mesure de la lecture que ce roman (ou témoignage) écrit par une femme (d'où peut-être la sensibilité que l'on décèle en permanence ?) propose des analyses de sentiments, de ressenti, par exemple lors de l'annonce aux parents de la possibilité de dons d'organes, très fines et très fouillées. Et pourtant, dans ce qui pourrait être du mélo, il y a du rythme. (p 198)
Il faut noter également la description du travail psychologique de l'infirmier coordinateur. D'ailleurs tous ces intervenants, de l'infirmier au chirurgien, même épuisés, crevés vont mener un travail psychologique non pas pour manipuler et obtenir coûte que coûte une décision, mais pour accompagner la réflexion de chacun dans ce processus difficile qu'est l'acceptation de la mort d'abord, du don ensuite.
Pour autant, on n'est pas dans l'univers des Bisounours, et la rivalité entre les différentes équipes est bien réelle et bien traduite dans ce livre. Paradoxalement, tout le monde poursuit le même objectif et est capable de sacrifices pour les atteindre, mais ne peut passer au-dessus des vieilles lunes de l'hôpital, ni des rivalités, au-delà des personnes, entre les services.
En ce qui concerne le fond, une petite remarque, intégrant beaucoup de discussions avec des « greffés » rencontrés pendant les journées de suivi, quand, en tant que receveur potentiel, on vous annonce qu'un greffon compatible est disponible pour vous, on ne se dit pas toujours « Je suis sauvé ! » mais « Zut, ça y-est ! ». On est au-pied du mur, le doute et la peur s'installent.
Un autre thème est abordé également sur lequel l'auteur nous conduit sans prendre position, c'est le « coeur comme dépositaire de l'amour » dans les croyances ancestrales. D'où les questions qui s'amorcent sur ce que deviendront les sentiments qu'avaient le donneur et le receveur. On voit comment il est difficile de sortir de l'affectif pour parler d'un simple organe indispensable à la vie.
Sur le style, l'écriture est très bien maîtrisée, avec des rythmes très différenciés, des phrases sensibles, mais aussi des phrases qui n'en finissent pas, et qui maintiennent le lecteur dans un rythme captivant. Quelque-chose cependant m'a un peu dérouté dans l'écriture, et qui ne me semble pas apporter grand-chose : Il s'agit de la formalisation des dialogues comme dans un mauvais langage parlé, avec le rejet du verbe tout à la fin de la phrase. Exemples :
« Tu n'es pas drôle, tu sais, son plus jeune fils murmure » (p 211)
« C'est le genre de nana qui débarque en touriste et croit que le pognon pousse dans les arbres il pensa, irrité »
On est presque dans la télé réalité. Mais cela reste un détail !
J'avais en fait beaucoup de choses à dire sur ce livre, ce qui est en général bon signe. C'est en effet un très beau livre, sensible, juste, clair, qui aborde avec intelligence et réflexion un sujet essentiel. Que l'on soit ou non concerné, il faut lire ce bouquin, le partager, en parler en famille, entre amis, au travail et agir en connaissance de cause.
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