Etonnant. Je n'ose pas dire détonnant, je sens qu'une bombe va exploser au coin de la rue. BOUM, une mine, des soldats morts. Tac-tac-tac, des Palestiniens criblés de balles… Et comme cela fait des années que la situation dure et perdure – et pourtant je suis d'un âge canonique – BOOM, je découvre ce bouquin, que j'aurais pu trouver dans la poche de treillis d'un soldat israélien, laissé là pour mort. Peut-être même que cela fait un an qu'il le lit, à la hauteur d'une nouvelle par semaine, si je sais bien compter, il y a donc cinquante-deux nouvelles, des shorts-stories, dans ce livre. Et j'aime ce genre-là, les micro-histoires à la Brautigan ou à la Carver, car il m'en apprend pas mal sur le pays, sur les gens, sur le quotidien. Sur l'adolescence de l'auteur et la préoccupation du service militaire.
Dans «
Pipelines », j'y découvre beaucoup d'histoires autour de l'armée et du service militaire - presque omniprésent, des arabes moustachus, et aussi un autre moustachu plus aryen d'une autre époque. Et au milieu de la banalité de ce quotidien, parfois des morts, parfois des décombres ou des tunnels qui mèneraient au Paradis, ou à l'Enfer. Et pour décompresser, il y a du loufoque, de l'incongru, du mystère et par moment une pointe de fantastique – ou disons, d'imaginaire. Un esprit totalement décalé. Lorsque je commence une histoire, je n'imagine pas du tout dans quel kibboutz l'écrivain va m'embarquer…
Etgar Keret semble particulièrement aimé ce genre de format, ce n'est ni son premier, ni son dernier. Il aime faire court, il aime bousculer la chute, au bout d'une page ou deux, guère plus, au-delà ça devint une guerre de lassitude. Alors l'écrivain préfère rester dans l'instant, une idée, trente lignes, et BOOM, la fin abrupte et brutale, comme un enfant palestinien qui marche sur les abords d'une route poussiéreuse et saute malencontreusement sur une mine. Voilà, c'est ça les nouvelles de Etgar, je n'ai pas le temps de m'ennuyer, j'avance et je ferme les yeux, jusqu'à ce que je rentre dans un mur, sur une patrouille militaire, voir même dans un pipeline. Et j'ai beaucoup aimé. Peut-être même que j'y reviendrai, après tout, je crois que c'est la première fois que j'entre en terre israélienne… Peut-être même qu'après ça, je vais également m'écouter quelques micro-improvisations de Keith Jarrett, là je suis fourni, en prenant une bière, non merci à cette heure-ci pas de café, en imaginant la construction d'un biéroduc jusqu'à la poussière de mes terres…