Si vous êtes arrivés au milieu de votre vie, que l'argent n'est pas un problème et que vous appréciez la franchise sans fard, alors ce récit est fait pour vous.
A 40 ans, alors que tout semble lui sourire dans sa vie privée et professionnelle, le comique allemand
Hans-Peter Kerkeling s'est retrouvé presque « à l'insu de son plein gré » à Saint-Jean-Pied-de-Port sans se douter de ce qui l'attendait.
Alors, pourquoi se lancer à 40 ans sur le chemin de Compostelle lorsqu'apparemment on n'a rien à (se) prouver ? Gros fumeur, peu sportif et aimant le confort, cette vedette de la télévision d'outre-Rhin avoue subrepticement avoir frôlé l'infarctus en se tuant au travail. Depuis, il s'en veut de ne pas avoir su s'écouter lorsque ses alarmes internes clignotaient.
Pour se soigner, il décide de marcher 800 kilomètres entre juin et juillet, canicule et orages garantis ! Ses amis le traitent de fou et parient qu'il n'arrivera pas à Santiago. Lui s'en moque éperdument et décide de cheminer à sa façon, c'est à dire en ne se refusant (presque) rien.
Et c'est justement ça que j'ai trouvé rafraichissant : Hans-Peter (
Jean-Pierre) nous offre sur le Camino Francés une perspective vraiment différente. Déjà, en tant qu'Allemand, la propreté c'est sacré ! Imaginez un peu sa réaction lorsqu'il se retrouve dans un gîte espagnol de niveau, disons moyen-inférieur ?
« À contrecoeur, je vais jusqu'au refugio pour faire tamponner ma crédentiale. L'endroit est bordé par la nationale c'est affreux. Un bulldozer serait bienvenu: les fenêtres ne tiennent qu'à un fil et les vitres brisées sont colmatées avec du carton. Une trentaine de lits métalliques sont alignés dans des dortoirs douteux, entièrement recouverts de carrelage, comme dans une clinique... Tout le charme d'un abattoir. En comparaison, un foyer pour sans-abri ferait figure de trois étoiles. Un seul w.c. et une seule douche pour trente personnes ! C'est répugnant. »
Ce pèlerin germanique ose appeler un chat un chat et ne se la joue pas du style « je suis ouvert d'esprit, je trouve ça cool » et j'accepte l'inacceptable. Il justifie son opinion sans se défausser et en laissant de côté le politiquement correct : « Comment se fait-il que les pèlerins, qui sont souvent aisés, consentent à descendre dans des endroits aussi minables? Sans compter qu'il n'est pas rare de s'y faire engueuler. Vraiment, je ne comprends pas. Il est déjà suffisamment pénible de marcher vingt kilomètres sous un soleil de plomb et dans la poussière. »
Et de poursuivre : « Voilà donc des gens argentés qui non seulement s'épuisent pendant toute la journée, mais en plus jouent aux pauvres le soir! Plusieurs fois, j'ai croisé des Américaines de cinquante ans qui faisaient leurs quarante kilomètres quotidiens sous un soleil de plomb et acceptaient sans râler de dormir dans les refugios. Faut-il qu'elles aient vraiment beaucoup à se faire pardonner ! »
Toutefois, résumer l'intérêt de ces 220 pages aux seules considérations hôtelières serait déplacé. Outre le partage de ses nombreux états d'âme, Hans-Peter se pose aussi ouvertement un certain nombre de questions existentielles dont la moindre n'est pas : « Pourquoi le monde existe-t-il ? » Or, même s'il est un catholique pratiquant, il cherche urbi et orbi la réponse à cette question, y compris dans le bouddhisme !
Et comme il parle couramment espagnol, italien et anglais, il est capable d'avoir des discussions profondes avec 80% des pèlerins qu'il croise chaque jour, malgré le fait qu'il dort systématiquement à l'hôtel ou en chambre d'hôtes (dans des chambres à 30 euros, ce qui reste raisonnable!)
Mais, trêve de palabres, laissons-lui le mot de la fin : « J'ai lu dans mon guide que Compostelle est un chemin vers la Révélation. Je n'en suis pas tout à fait certain. C'est comme quand on prend un congé sans être sûr de pouvoir vraiment se reposer. En bref, je n'espère pas, mais j'y crois un peu quand même. La Révélation, c'est comme une porte à passer. Il ne faut pas avoir peur de la franchir, mais il ne faut pas non plus trop compter y parvenir. Il ne faut pas trop attendre de ce qui est de l'autre côté et ne pas délaisser ce qu'on laisse sur le seuil. »