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Critique de Ileauxtresors


Cette trilogie berlinoise ouvre l'oeuvre monumentale de Philip Kerr, publiée sur trente ans, qui poursuit page après page un projet un peu fou : une série de romans policiers qui reconstituerait comme un puzzle la vie d'un homme, Bernie Gunther – et par la même occasion une fresque de l'histoire du XXe siècle. Pour autant que je puisse en juger sur la base de ces trois premiers tomes berlinois, Philip Kerr relève magistralement son propre défi.

Ces trois enquêtes sont aussi complexes qu'addictives. Chacune nous transporte au coeur d'une séquence-clé de l'histoire nationale-socialiste – l'été 1936, marqué par les Jeux Olympiques, la crise des Sudètes et la Reichskristallnacht de 1938, puis l'immédiat après-guerre. le décor est remarquablement fouillé, esquissé dans ses moindres détails – comme par exemple les vitrines rouges du Stürmer et cinquante-et-une autres nuances d'antisémitisme, La Marche de la cavalerie du Grand Électeur claironnée par un orchestre de cuivre près de la Porte de Brandenbourg, le film tourné à Neuer Markt, à Vienne. Ou encore les rituels terribles qui régissent le quotidien dans le camp de Dachau. On s'y croirait. C'est glaçant : la forme du roman permet, comme souvent, de prendre la mesure des choses.

L'intrigue se nourrit de cette densité. Philip Kerr a une capacité étonnante à tisser sa trame narrative dans les rouages historiques les plus évidents comme les plus infimes ou les plus confidentiels. le statut du protagoniste détonne : grande-gueule flegmatique mais viscéralement exaspérée par le national-socialisme, témoin désabusé de son époque mais enquêteur tenace, inséré (malgré lui) dans les hautes sphères. Cette position très particulière donne lieu à des dialogues piquants et à de multiples réflexions percutantes sur le crime, la culpabilité, la justice et l'humanité. Ce point de vue m'a, entre autres, fait réaliser le bazar hors de contrôle qui caractérisait les organisations nazies que j'avais tendance, à tort, à voir comme une machine implacable. Au milieu de tout ça, le détective n'est pas tout blanc, mais il conserve son humanité et certaines lignes rouges auxquelles il se tient tant bien que mal. Et insuffle quelques moments de grâce à ce roman très noir – la scène de la course de Jesse Owens est l'une des plus belles à cet égard.

Un exercice d'équilibriste rondement mené à la lisière entre polar et roman historique. Fascinant.
Lien : https://ileauxtresors.blog/2..
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