Le monde selon De Gaulle, tome 2 : Le général à livre ouvert...

AVEC LE RECUL DE L'HISTOIRE.
François Kersaudy est un historien spécialiste des biographies de Churchill et De Gaulle. Son livre est un tour guidé de l'univers gaullien à travers ses écrits discours et confidences, choisis et commentés par l'auteur. Avec plus de 60 ans de recul, il est très intéressant de voir les opinions de ce chef d'État visionnaire. Je ne citerai que quelques phrases concernant des sujets qui sont encore au coeur de l'actualité politique.
-Question africaine : il souhaitait établir un Commonwealth à la française dans tous les pays d'Afrique francophone. Ce fut l'Union Africaine et Malgache qui dura de 1965 à 1985.
-Union Européenne : il souhaitait une confédération européenne et non une fédération (qui impliquait alors un gouvernement fédéral). La commission de Bruxelles et son mille-feuille administratif : « vous savez bien que chaque fois qu'il y a une perspective en vue d'organismes internationaux supranationaux, commissions, assemblées, bureau d'études ce qui sera le cas avec la communauté européenne, il y a des gens qui pensent aux postes qui seront créés, souvent intéressants et avantageux […] tous ces braves gens ne pensent qu'à leur carrière, ils se foutent complètement de leur pays. Les commissions européennes forment un petit monde qui vit selon leurs propres lois comme les règles d'un club. Bref c'est donc pour certains l'entrée d'un bon fromage. » Et encore : « Un marché commun que l'on bâtirait à 11 puis 13 puis peut-être à 18 ne ressemblerait guère sans aucun doute à celui des 6. Il est à prévoir que la cohésion de tous ses membres qui serait très nombreux très divers n'y résisterait pas longtemps. »
Une supranationalité : «… pourrait nous forcer la main dans n'importe quelle matière économique sociale et même politique et ce qui a été acquis dans le domaine agricole pourrait être remis en cause à tout instant. »
-L'Angleterre et l'Europe : Il constate que la Grande-Bretagne prétend continuer à importer des denrées alimentaires des États-Unis de l'Amérique du Sud et du Commonwealth tout en subventionnant fortement ses agriculteurs ce qui est totalement incompatible avec les règles du marché commun. de plus, Londres qui ne veut pas entendre parler de politique agricole commune est prête à s'en exempter en cas d'adhésion. »C'est la raison pour laquelle en 1963 il s'oppose à l'entrée de l'Angleterre dans le marché commmun.
-La guerre du Vietnam : en septembre 1959, s'adressant au président Eisenhauer : « Faites très attention. N'intervenez pas militairement. Sinon vous enverrez d'abord 50.000 hommes puis 300.000, puis 500.000. Votre problème sera alors de savoir comment vous en sortir et il y aura de graves répercussions dans votre pays. Écoutez moi. N'y allez pas »
-Le problème palestinien : « certains même redoutaient que les juifs […] une fois rassemblés dans le site de leurs anciennes grandeurs, n'en viennent changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu'il formaient depuis 19 siècles. »
Le Général à livre ouvert : une dimension prophétique !

J'avais 22 ans lors de la manifestation monstre sur les Champs-Elysées après la fin des événements de mai 68. Mon père, héros de guerre, avait rallié De Gaulle après son évasion d'Allemagne en 1942, ma mère travaillait à Alger dans son staff …. Cependant, si je n'avais pas lu ses Mémoires de guerre, je n'avais rien raté de ses conférences de presse et de ses discours à partir de 1958. Donc, c'est certain, je ne suis pas tout à fait objective !
Cet ouvrage est passionnant. C'est le second tome mais il peut se lire d'emblée. Grâce au classement thématique puis chronologique, François Kersaudy livre une analyse de la pensée du Général dans différents domaines, avec citations et références à l'appui. Voici donc l'expression de l'homme d'Etat sur l'Armée, l'OTAN et la force de frappe, l'Europe, l'ONU, l'Afrique, l'Orient, l'économie, les médias … et surtout la politique, les partis, les institutions, la mort …
Confidences privées, extraits des conférences de presse, mémoires … la vision lucide et prospective de Charles de Gaulle est d'une extraordinaire clairvoyance et modernité.
Thèmes récurrents : la paralysie des gouvernements de la république parlementaire, l'inadaptation des institutions, la démagogie et la vénalité – surtout de la Presse – le péril du Communisme, la nécessité d'un rassemblement au-dessus ou au-delà des partis politiques classiques. On perçoit sa fureur à l'égard des politiciens professionnels qui – du moins avant la Constitution de 1958 - monopolisent le pouvoir mais sont incapables de l'exercer.
Ces réflexions sont datées, certes, mais combien d'entre elles restent d'actualité aujourd'hui ! L'auteur ne manque pas de le souligner, avec un certain humour …
Ce qui me touche surtout, c'est l'appréciation élogieuse de l'écrivain, le style étincelant de De Gaulle, homme de plume autant qu'homme d'action et de réflexion. Son premier ouvrage « La discorde chez l'ennemi » paraît en 1924, une analyse des causes de la défaite allemande. Suivront « le fil de l'épée », et « Vers l'armée de métier ». On y décèle des figures de style récurrentes : le rythme ternaire, les images et les métaphores souvent maritimes ou climatiques, les anaphores (Paris libéré !) mais jamais le « je ». En 1938, il publie « La France et son armée » qu'il a commencé à rédiger 11 ans auparavant en tant que « nègre » du Maréchal Pétain. Enfin, il y aura les Mémoires de guerre … et celles qu'il ne pourra pas finir.
Chacun de ses discours sont autant d'oeuvres littéraires. Un style inimitable, un travail complexe, harassant.
Charles de Gaulle disait « le plus difficile est de rester réaliste quand on a un idéal, et de garder son idéal quand on voit la réalité. » Une maxime toujours aussi actuelle.
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