AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,88

sur 42 notes
5
7 avis
4
6 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
Funeste méprise par Imre Kertész

L'écrivain magyar, grand ami de László Krasznahorkai, décide de déplacer l'intrigue de “Roman Policier” en Amérique Latine mais, ne nous y trompons pas, l'implacable, l'aveuglement, l'arbitraire et la bêtise des automates de la police politique du régime totalitaire fictif dépeint par le Prix Nobel de Littérature est bien celle de sa Hongrie communiste.

Le Père et le fils Salinas sont a priori bien loin d'être les plus à plaindre dans cette nouvelle dictature, la bourgeoisie est souvent plus épargnée, grâce aux réseaux que son argent lui assure. Une question se pose alors : pourquoi lutter ? La réponse est capitale car “il faut savoir pourquoi on lutte. Sinon ça n'a pas de sens. En général on lutte contre le pouvoir en place pour prendre soi-même le pouvoir. Ou bien parce que le pouvoir en place représente une menace de mort” souligne le père Salinas. Dès les premières pages nous apprenons qu'ils ont fait l'objet d'une enquête policière aux méthodes difficilement soutenables…

“Je déteste la cécité, les faux espoirs, la vie végétative, les esclaves qui soupirent de bonheur pour peu que le fouet les épargne pendant une journée”. Les aspirations romantiques d'une jeunesse perdue coté Enrique Salinas, la duplicité brutale d'un régime qui ne laisse rien au hasard du coté du flic Diaz. Mais, pris dans une course infernale, ce régime pour qui la fin justifie les moyens atteint ce paradoxe ultime où il n'y a même plus de fin…. juste des moyens odieux.

“D'abord le pouvoir, et ensuite seulement la loi." Kertész ne se considérait pas comme un écrivain engagé, et nul n'est besoin d'autre engagement que celui de cette écriture de chair et de sang. Ce n'est pas tant le roman qui est policier c'est l'Etat qu'il dépeint. Dans son ton original, un poil sardonique, et sa construction captivante, ce court ouvrage est à mettre entre les mains de tous les amoureux de la liberté, de la justice et ses garanties qui y trouveront des pages difficiles et révoltantes mais pourtant nécessaires.

Qu'en pensez-vous ?
Commenter  J’apprécie          982
Un grand merci à ASAI, qui par ses critiques enthousiastes, m'a donné envie de découvrir cet auteur hongrois nobellisé.
A mon grand étonnement, j'ai découvert que ma bibliothèque n'avait qu'un seul de ses livres, ce "Roman policier".

Ce livre est glaçant, cynique et tellement vrai.
Imre Kertesz situe son court roman dans un pays d'Amérique du Sud non nommé. On comprend bien que c'est son seul moyen de passer la censure hongroise des années 70. Car le roman est une critique très acerbe d'un régime dictatorial. Ce qu'était son pays à ce moment-là.
L'auteur aborde plusieurs thèmes, le choix, la raison de vivre, l'engagement à travers le personnage d'Enrique qui veut changer de société.
Et la violence, l'oppression, la torture... à travers le personnage du policier Martens.
La fin est d'un cynisme absolu, violent.
L'écriture est magnifique, l'auteur s'interroge et nous interroge en si peu de pages. Un livre qui pousse à la réflexion....

Je sens que je vais faire une commande auprès de ma librairie pour découvrir d'autres textes de cet auteur.
Commenter  J’apprécie          395
Ce court roman a été écrit alors que la Hongrie, pays de l'auteur, faisait encore partie du bloc de l'est. Imre Kertész, a tout intérêt alors à exporter l'action dans un pays d'Amérique latine, fictif, car son livre est une sévère critique d'un régime totalitaire, aux mains de militaires et policiers, faisant régner la terreur et n'hésitant pas à mettre à mort des innocents après des procès arbitraires, des enquêtes à charge et des interrogatoires musclés menés par des sadiques sanguinaires.
Beaucoup de violence dans ce livre... qui provoque un grand malaise. Un livre fort.
Commenter  J’apprécie          323
Écrit en deux semaines et publié pour la première fois en 1977, ce court roman avait pour but de dénoncer un régime totalitaire parvenu au pouvoir légalement tout en contournant la censure de l'époque en Hongrie.
L'avocat commis d'office d'Antonio Martens nous présente le manuscrit de son client.
Antonio a en effet demandé du fin fond de sa prison de pouvoir relater l'affaire qui l'a mené devant le tribunal du nouveau régime politique : l'affaire Salinas.
Martens raconte son passage de « naif » policier à la criminelle à membre de la Corporation, chargée de faire « descentes, arrestations, interrogatoires, liquidations » des éléments hostiles au gouvernement au pouvoir depuis le jour de la Victoire.
Un jeune homme idéaliste qui rêve de lutter contre le totalitarisme, un père inquiet, une femme qui tente de vivre malgré la dictature, tels sont les principaux protagonistes de ce qui paraît être un complot sur fond de menaces d'attentats.
Antonio Martens se dédouane, se justifie en expliquant qu'il n'était qu'un simple « bleu », qu'il obéissait aux ordres de sa hiérarchie tout en pensant parfois « qu'ils allaient trop loin ». Il est poursuivi par des migraines qui semblent figurées son sentiment de culpabilité. Lorsqu'il achète le journal intime du fils Salinas, les frontières se brouillent plus encore, diluant les notions de bien et de mal.
Le livre présente une réflexion sur les fondements de l'humanité et ses lois trop souvent bafouées : « D'abord, on croit être malin et maîtriser les évènements, mais après on aimerait seulement savoir où diable ils nous entraînent. »
Commenter  J’apprécie          303
Je ne peux être qu'admirative encore une fois de ce grand écrivain qu'était Imre Kertész. Écrit en deux semaines pour répondre à une exigence de son éditeur, il écrit, dans la préface : « C'est alors que je me souvins de Roman policier. C'était une vieille idée fugace qui m'avait occupé l'esprit pendant un temps, et que j'avais oubliée en écrivant Être sans destin. À première vue, il n'y avait pas de quoi régaler un éditeur. En effet, comment, dans une dictature arrivée au pouvoir par des voies illégales, publier au nez et à la barbe de la censure une histoire qui parle des moyens illégaux de s'emparer du pouvoir ? Par ailleurs tout détour « astucieux » aurait menacé l'efficacité et la radicalité de l'histoire. Je décidai finalement de ne pas renoncer à son caractère « scandaleux », en revanche, je situai l'action dans un pays imaginaire d'Amérique du Sud. » (p. 8) Roman policier se lit comme un roman policier, et malgré le propos qui peut être parfois à la limite du soutenable – l'auteur nous donnant à voir les rouages d'une police politique sous un régime dictatorial -, le récit s'avère prenant. Nous lisons le manuscrit d'Antonio Rojas Martens, policier à la criminelle avant d'intégrer les rangs de la Corporation, tel que remis (et un peu corrigé…) par son avocat commis d'office. À travers des personnages broyés par le système, Kertész revient à la notion d'être sans destin, et de ce que cela suscite, individuellement et collectivement. Un texte éclairant.
Commenter  J’apprécie          270
Effroyablement efficace.

L'auteur, hongrois, a voulu raconter son pays sous la tyrannie, mais « comment, dans une dictature arrivée au pouvoir par des voies illégales, publier au nez et à la barbe de la censure une histoire qui parle des moyens illégaux de s'emparer du pouvoir ? » Tout simplement en transposant les faits en Amérique du Sud.

Et ces faits, qu'ils soient de n'importe où, d'ailleurs, sont glaçants. Tout l'appareillage du Pouvoir est décrit, sans aucun détail racoleur. C'est cela justement qui donne froid dans le dos : le ton candide du narrateur (un des policiers préposés à la question) qui a d'effroyables migraines lorsqu'il doit interroger les suspects. le narrateur est considéré comme le « bleu » par son chef et par le bourreau. Et il ne se rend pas totalement compte de l'effroyable efficacité de ce petit bureau aux ordres du Colonel.
« C'était une conversation à deux, moi, ils ne me demandaient plus rien. Je restais donc assis à les écouter. J'avais mal à la tête, terriblement mal. Peut-être que ça se voyait.
- Il va se sauver, dit Rodriguez d'un ton soucieux.
- Où ça ? demande Diaz.
- Qu'est-ce que j'en sais ? Ces gens-là ont toujours un endroit où aller, rétorque Rodriguez nerveusement. Il va se sauver au dernier moment. le sale bourgeois.
- Nous ne combattons pas expressément le capitalisme, lui rappelle Diaz.
- Ca m'est égal, dit Rodriguez, les yeux brillants. Bourgeois, juifs, sauveurs du monde, tout ça, c'est pareil. Tout ce qui les intéresse, c'est de semer le trouble.
- Et toi, demande alors Diaz, tu veux quoi, mon brave Rodriguez ?
- L'ordre. Mais mon ordre à moi ! »

Mais c'est ce petit bleu qui va être considéré comme le responsable, qui va porter le chapeau d'une effroyable erreur : le cas « Salinas ». En prison, il va écrire, ou plutôt décomposer le cas « Salinas », du nom d'un jeune homme idéaliste et emprisonné, en s'aidant du journal intime de celui-ci, pour essayer enfin de comprendre…

Ce jeune Salinas, idéaliste, parce qu'il résume à lui tout seul toute l'opposition au Pouvoir, a été exécuté avant même d'avoir commis toute action subversive. Et ce qu'il dit dans son journal est effroyablement juste :
« Plutôt ne pas vivre que vivre de la sorte. Je lui parle de ma nausée, je lui parle de mon dégoût quotidien. Je lui dis que je déteste tout autour de moi, tout. Je déteste leurs policiers, leurs journaux, leurs informations. Je déteste ces regards sournois autour de moi, ces hommes qu'on fête aujourd'hui et qu'on méprisait hier. Je déteste la résignation, l'avidité, cet éternel jeu de cache-cache, de qui est qui, les privilèges et les gens qui s'écrasent…Je déteste la cécité, les faux espoirs, la vie végétative, les esclaves qui soupirent de bonheur pour peu que le fouet les épargne pendant une journée…Et je lui dis aussi que je me déteste moi-même, avant tout, seulement parce que je suis là et que je ne fais rien. Que je sais bien que je suis moi aussi un esclave, du moins pour l'instant, mais que je le serai de plus en plus si je ne fais rien. »

Petit roman qui donne froid dans le dos ! Effroyable. Efficace.
Commenter  J’apprécie          251
Excellent et bref roman abordant l'un des rouages de la terreur politique dans un pays fictif d'Amérique Latine, sorte de bureau d'investigation de la sécurité intérieure, ou autrement dit, chambre des arrestations et de la torture. Imre Kertesz est parvenu, grâce à cette exterritorialisation des procédés de la dictature hongroise, à faire publier ce texte par l'un des deux éditeurs d'Etat en Hongrie en 1977.
Commenter  J’apprécie          220
D'abord je tiens à remercier un ami babeliaute qui m'a recommandé cette lecture. Sachant qu'on allait vers du terrifiant.
Terrifiant oui mais l'écriture est si magnifique, si belle, si précise, si imagée aussi ( et là ce n'est pas facile à lire), bref.
Je ne peux pas raconter le livre mais le titre est tellement symptomatique, un roman, oui, pas de doute, l'histoire d'un policier (le bleu) face à des policiers autrement aguerris dans leur barbarie...
L'histoire linéaire que certains voudront raconter n'a à mes yeux aucune importance.
Ce que Imre Kertesz écrit c'est la barbarie. Peu importe comment. C'est la terreur, c'est la bascule de Boger. Je ne peux pas expliquer ici ce qu'est la bascule de Boger, il faut lire le livre.

Imre se bat, combat toute forme de dictature, toute forme d'abrutissement, et dans Roman Policier, l'histoire,du père et de son fils , lequel voudrait s'engager dans la lutte contre le régime en place, est extrêmement belle et tragique. Et le père (donc la génération précédente) veut protéger son fils. Mais que ne l'a-t-il fait auparavant ?
Roman policier est comme une tragédie grecque qui se déroule dans une dictature communiste, vous savez nos voisines pendant 40 ans...- certes, Imre K. a dû, pour être publié, transposer cette histoire en
Amérique latine. A ce propos, c'est la transposition qui lui a pris quinze jours, et non pas l'écriture du roman entier.
Il l'a écrit, il l'a construite cette histoire, il l'a assumée, et son écriture est d'une qualité telle que beaucoup pourraient aller se rhabiller et s'incliner devant ce grand Monsieur.
Commenter  J’apprécie          163
Comment raconter une dictature tout en évitant la censure ?

Imre Kertész la fait tout simplement en déplaçant le lieu sur un autre continent (de son pays la Hongrie vers l'Amérique latine !!). le narrateur ex policier (dit le « bleu » par son chef et son adjoint) est en prison pour l'affaire « Salinas ».

A l'aide du journal intime du fils Salinas, le bleu se remémore les années de dictature, les censures, la fermeture des universités, ..... Il décrit le travail de son unité (écoutes téléphoniques, intimidations, surveillance en continue,..) et surtout les méthodes inhumaines de traquer et punir les opposants au pouvoir.

J'ai beaucoup aimé ce roman, il est assez court (118 pages) et se lit facilement (en deux jours).
Commenter  J’apprécie          150
L'homme face à la barbarie; la vie d' Imre Kertész a été ponctuée de multiples tyrannies, les camps de concentrations, la domination de l'Urss sur les pays de l'Est....
l'Auteur transpose ce roman dans un pays d'Amérique du Sud afin de le voir publié en Hongrie, il fait du bourreau une victime du régime en place dans un récit sarcastique par ce retournement des valeurs.
Commenter  J’apprécie          140




Lecteurs (132) Voir plus




{* *}