Alain Kervern est breton, traducteur et analyste de haïkus, dont il est un passionné. Il a commis plusieurs livres sur ce sujet, dont « Haïkus des cinq saisons » chez le même éditeur, qui m'avait vivement intéressé. D'où mon intérêt immédiat pour ce livre au thème à la fois d'actualité et très spécialisé.
Ce livre a le mérite dans ses premiers chapitres de mettre l'accent sur le cadre général, et récurrent, dans lequel s'inscrit l'art et la tradition du haïku, à savoir un almanach poétique des saisons, qui existe depuis des siècles et constitue un véritable élément du patrimoine culturel nippon. Il est à rapprocher du caractère généreux mais aussi instable de la nature qui impose ses caprices à l'archipel : tremblements de terre, éruptions volcaniques, tsunamis et typhons y insécurisent la vie et renforcent le sentiment d'impermanence de toute chose (mujôkan). Plus qu'ailleurs, le japonais ressent avec une acuité toute particulière l'effet de la saison, et le poète de haïku utilise systématiquement dans ses créations un mot de saison (la neige, les fleurs de cerisiers…) qui va situer cette très courte pièce dans un contexte temporel. Cette première partie du livre est essentielle pour comprendre la composition du haïku, qui est avant tout régi par ce dyptique almanach de saison – mot de saison (kigo), contrairement à d'autres formes poétiques japonaises (tanka par exemple), qui comme la poésie occidentale, sont davantage encadrées par des règles métriques. Le propos est intéressant, mais un peu ardu et souffre aussi de répétitions qui alourdissent à mon sens inutilement le fil de la démonstration, au risque de tourner en rond et d'opacifier le discours.
La suite tend à nous montrer que les poètes sont de véritables sentinelles du changement climatique. Par leur très sensible acuité à l'air du temps, ils savent ressentir et traduire les transformations à l'oeuvre. Non seulement ils modifient et enrichissent au fil de ces changements l'almanach de saison, mais ils vont jusqu'à sensibiliser le public voire les pouvoirs publics aux menaces sur l'environnement.
Manifestement, l'auteur a réalisé un travail remarquable de référencement d'informations scientifiques sur le changement climatique. Il parvient à vulgariser son propos sans le rendre simpliste. C'est un heureux aspect de son livre, qui nous en apprend beaucoup sur la dégradation de l'environnement, des forêts notamment, au Japon, derrière la carte postale inaltérable d'un magnifique Japon éternel. Il consacre un chapitre bien documenté et passionnant à trois exemples de menaces sur des sites précis, que les poètes ont contribué à sauver en faisant entendre leur voix.
Au final, un livre très intéressant, parsemé de haïkus, malheureusement pas assez nombreux sans doute, notamment parmi les auteurs de notre siècle, tant le sujet est brûlant d'actualité.
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Fukushima
la lune d'hiver brille
sur une ville morte
Shigemoto Yasushiko
Entre les serres brûlantes
du Roi des Enfers
l'archipel japonais
Kodama Chiyoko
L'herbe du vert de l'été
voici qu'elle tourne
au bleu de l'océan
Koga Akiko
Demain ne resteront
dans les décombres
que les pousses du printemps
Hoshino Tsunehiko
Bientôt par milliers
ces oiseaux ne sauront pas
que la forêt se meurt
Kaneko Tôta
5 questions posées à Alain Kervern à l'occasion de la parution du livre "Ce grand vent ira-t-il plus loin que le matin" (La part commune).