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Critique de enjie77


Sublime et lyrique écriture de Kessel qui nous décrit avec finesse, avec humanité, une atmosphère, la complexité des relations humaines, l'imbroglio qui peut se nouer dans les sentiments humains, l'impact d'un instant sur nos vies, pour mieux nous entraîner, attirer notre attention, nous rendre plus réceptifs à ce qui peut se cacher sous le masque d'un visage humain. Il perçoit les mouvements de l'âme humaine. Il nous entraine dans une histoire d'amour tragique, bouleversante.

Témoin de son époque, ce « Lion » magnifique et généreux a tellement roulé sa bosse en sa qualité de journaliste-reporter qu'il a développé un sens aigu de l'observation. Ses aventures qu'il cherche aux quatre coins du monde, lui servent d'inspiration pour ses romans. Dans cette fiction (voire autofiction), il scrute ce qu'il se passe sous le ciel de Paris en 1935. Il voit les modifications sociopolitiques de l'époque et avec elles, pressent l'avenir de l'Europe malgré le bonheur des premiers congés payés.

Montmartre au petit jour, le narrateur, journaliste-reporter, fini sa nuit, attablé derrière la vitre du bistrot « le Sans-Souci ». Il remarque une jeune femme qui toujours aux mêmes heures, invariablement, passe devant le café. Son allure retient son attention. Elle est mystérieuse, elle le fascine par sa façon de se comporter dans son manteau de zibeline jusqu'à devenir une obsession.

« Je crois que sa régularité même, l'inclinaison pareille de la tête, le trajet identique, la démarche qui reproduisait strictement celle de la veille, m'inspiraient l'effroi que j'éprouve toujours devant l'automatisme des fous"

Jusqu'au jour où n'y tenant plus, le narrateur, ivre et fiévreux ce jour là, se met en travers de la route de son apparition. Pris d'un malaise, il s'écroule près d'elle, la jeune femme lui porte secours et va l'aider à rejoindre son domicile.

Elsa Wiener est allemande, elle a fuit l'Allemagne et son cortège de bourreaux. Son mari, Michel, éditeur et opposant à la nouvelle politique d'Hitler, a été arrêté pour être transféré dans un camp. C'est l'époque où l'apparition des premiers camps est évoquée. Elsa a fuit en compagnie de Max, un enfant juif, que les coups des nazis ont rendu infirme. Pour subvenir à leur besoin, Elsa chante dans les cabarets, la nuit.

A partir de cet instant, on assiste impuissant à la lente descente aux enfers d'Elsa dans ce milieu interlope des nuits parisiennes. Elle doit survivre pour elle et pour Max, tenir envers et contre tout jusqu'au retour de Michel ! La lecture nous propulse à la suite d'Elsa, d'étape en étape, de bonheur en déchéance, d'espoir en crise de détresse, d'angoisse pour Michel mais détestation d'elle-même, l'avilissement dans les bas fonds, l'alcool aidant, Elsa va vivre un véritable calvaire devant le regard d'un enfant de douze ans impuissant à soulager la détresse de celle qui l'a sauvé d'une mort certaine.

Ce roman est peut-être le plus beau de Kessel bien que je n'ai pas lu « Belle de jour ». Assister à la déchéance de cette femme a été pour moi une torture et c'est là que l'écriture de Kessel est admirable, il défie notre empathie.

Bouleversant, fascinant, la présence de Romy Schneider ne m'a pas quittée un seul instant bien que le livre et le film fussent totalement différents. Son aura a illuminé le livre.

La passante du « Sans-Souci » se situe à la fin des années folles. Kessel ressemble au narrateur, journaliste-reporter. La narration emploie le « Je » ce qui donne plus d'épaisseur à son message. Paru en 1936 chez Gallimard, ce petit livre de 285 pages est un manifeste antifasciste d'un écrivain Juif qui pressent un sombre avenir.
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