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Critique de si-bemol


13 novembre 2015. Dans quelques heures, un attentat va ensanglanter le Stade de France. Et parmi les terroristes, il y a Khalil, qui devait se faire sauter, comme ses « frères », mais dont la ceinture d'explosifs n'a pas fonctionné. Khalil, c'est un jeune belge d'origine marocaine, un paumé comme il y en a tant, issu d'une famille de petites gens vivotant au jour le jour et pour qui (à part sa soeur jumelle) il n'a que du mépris : « A quoi servaient-ils, eux ? Qu'avaient-ils fait de leur vie ? (…) Ils survivaient en parasites résistants, rendant le monde de moins en moins attrayant. »

Son parcours, que nous raconte ce roman dont il est le narrateur, est des plus ordinaire : échec scolaire, glandouille, petits boulots, absence d'ambition et de repères… et la mosquée, son imam et son cheikh, comme refuges. C'est le récit d'une dérive personnelle, celle d'un jeune homme sans instruction, sans culture et sans perspectives d'avenir, dont l'ego se sent maltraité par le néant de son existence ; c'est le parcours d'un être médiocre, affamé de reconnaissance – « c'est la première fois que je me sens important », dit-il juste avant l'attentat – et prêt à tout pour sortir de l'anonymat et devenir « quelqu'un », quitte à tuer aveuglément et quitte à en mourir.

La lecture de ce roman m'a laissée quelque peu perplexe. Il y a, certes, l'écriture de Yasmina Khadra, comme toujours agréable et séduisante, et donc un roman qui se lit vite et bien. Mais l'histoire qui nous est racontée est tellement – et tristement – ordinaire et banale que je n'en ai pas bien vu l'intérêt romanesque. D'autre part, et surtout, le choix narratif de Khadra m'a profondément dérangée : faire de ce terroriste le narrateur du roman, c'est lui redonner toute son humanité, c'est forcer le lecteur à adopter son point de vue, à entrer dans une démarche de compréhension et d'empathie qui le dédouane à peu de frais de ses responsabilités, de ses échecs et de son crime (même manqué), jusqu'à en faire à son tour une victime – de la société, de sa famille ou de ses origines (ce qui est un peu facile), sans parler de son argumentaire en faveur du djihad et de l'islam radical. Et là, s'agissant d'un contexte terroriste on ne peut plus réel et d'un attentat qui a vraiment eu lieu, je n'achète pas. Yasmina Khadra est un romancier bien trop expérimenté pour ne pas avoir mesuré le risque induit par son choix narratif : en ce qui me concerne, le pari est perdu.

Un roman, au moins pour moi, à l'histoire convenue et sans intérêt qui se contente de décalquer le réel, avec un personnage principal dont l'insignifiance et la médiocrité, comme la psychologie simpliste et autocentrée, peinent à donner au récit une épaisseur convaincante, et un point de vue narratif discutable et potentiellement dangereux, dont je ne suis pas sûre qu'il apporte quoi que ce soit à la compréhension du terrorisme, et encore moins à la littérature.

[Challenge MULTI-DÉFIS 2019]
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