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sur 855 notes
Réfugié dans une école de Syrte, la ville de son adolescence, Mouammar Kadhafi, entre cauchemar, rêve et réalité, attend entouré de ses derniers fidèles de partir se cacher dans un lieu plus sûr. Dans un discours qui frôle le délire mégalomaniaque, il tance ceux qui l'entourent pour leur abattement et tente de se raccrocher aux croyances qui l'ont mené au plus haut.

Mais le point de non-retour est atteint sans que celui qui se considère comme l'élu de Dieu en ait encore conscience. En effet, au fil des heures, le dictateur libyen va vers sa perte à son insu en raison de son incapacité à admettre qu'il est maintenant un homme détesté par tout son peuple qui, devenu son ennemi le plus redoutable, ne veut plus que sa mort.

Quelle idée brillante et périlleuse que celle de ressusciter le dictateur libyen pour qu'il se raconte et nous narre ses dernières heures et sa fin barbare ! Dans ce livre, qu'il faut lire absolument pour sa valeur historique, l'intensité dramatique des faits qui y sont rapportés et le style flamboyant de l'auteur, Yasmina Khadra a pris le risque d'une démarche surprenante et déroutante, mais cela en valait la peine, le résultat est proprement époustouflant.
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Mouammar kadhafi bien tristement célèbre, parle dans ce roman sous la plume de Yasmina khadra tout au long du dernier jour de sa vie, alors qu'aux abois, il se terre dans une école désaffectée se Syrte, sa ville natale. Parlant de lui, il semble présenter un personnage juste et équilibré, mais il n'est pas nécessaire d'approfondir beaucoup la lecture pour comprendre que l'on a affaire à un individu déséquilibré, mégalomane, persuadé d'être élu de Dieu, sans compassion pour autrui, se ventant des meurtres et des viols commis durant toutes les années de son règne et qui ne peut avoir de considération pour ses semblables que si l'on sert ses intérêts. Un personnage intelligent, doté d'une mémoire phénoménale, mais qui n'a pu mettre cette intelligence au service du bien. On n'éprouve aucune difficulté après le premier tiers du roman, à anticiper les réactions du Raïs face à certaines paroles et certains actes, de même qu'on s'aperçoit vite que le dictateur est entouré de gens qui soit ont peur de lui, soit ne montrent pas leur vrai visage, soit sont aussi déséquilibrés et prêt à vouer un culte à leur frère guide comme cela doit être vrai pour un certain nombre de dictatures.
Les informations sur Kadhafi sont fournies au lecteur par les actions présentes dans une situation extrême pour tout l'entourage du colonel, les rêves d'un homme perturbé et tourmenté, et ses souvenirs d'enfance, de jeunesse, de début de règne.
Certains passages bien que nécessaires sont difficile à assimiler, particulièrement les manoeuvres stratégiques pour permettre au colonel d'échapper aux rebelles.
ce roman, selon la formule consacrée, ne peut laisser indemne, car on a beau savoir que la violence, la torture et le crime existent, on n'en prend véritablement conscience qu'à travers de telles lectures. Cela s'applique particulièrement à la pacifique que je suis.
Un roman dur, que j'ai pu lire et je n'en suis pas mécontente, grâce à l'écriture toujours aussi merveilleuse de Yasmina khadra, écriture envoûtante pour les amoureux de la langue française.

Je remercie Babélio et les éditions Julliard pour ce partenariat.
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Yasmina Khadra nous convie à un bien curieux spectacle : la dernière nuit de Kadhafi. Et nous sommes aux premières loges, puisque nous sommes dans la tête du dictateur.
Elle est mouvementée cette dernière nuit : les manoeuvres militaires, les courtisans qui vont et viennent, mais surtout les pensées qui virevoltent dans la tête du tyran.
Kadhafi revit les évènements marquants de sa vie, de son enfance pauvre qui peut en partie expliquer sa soif de réussite et de pouvoir, jusqu'aux derniers jours.
Sentant sa fin proche, le dictateur dresse le bilan de sa vie et réfléchit à sa façon d'exercer le pouvoir. Mais bien loin de faire profil bas et d'afficher quelques regrets légitimes, il fait preuve d'un immense mépris pour son peuple. Car l'auteur n'a pas cherché du tout à enjoliver son portrait : Kadhafi est présenté sous un jour peur reluisant.
Mégalomane, narcissique, sanguinaire, barbare, bestial, affichant une absence totale de considération pour la vie d'autrui, mais par-dessus tout humain. Et cette humanité mise en avant est terrible et aggrave la culpabilité du monstre : la folie aurait été une excuse trop commode.
Kadhafi est tout sauf fou, il est au contraire très lucide sur ses actes, et j'ai trouvé que c'était l'une des forces du roman. Car n'oublions pas qu'il s'agit d'un roman, même si son réalisme est frappant. À partir d'actions avérées, Yasmina Khadra invente des pensées tout à fait plausibles.
Un récit fort et violent porté par une très belle écriture, comme toujours avec cet auteur. Une lecture marquante.
Pour ceux qui veulent en apprendre plus sur le personnage de Kadhafi, je vous conseille l'excellent livre d'Annick Cojean "Les proies, dans le harem de Kadhafi". Mais attention, il ne s'agit pas d'un roman mais d'un livre écrit suite à une enquête et un recueil minutieux de témoignages. La lecture en est difficile parce qu'il n'y a pas ici la possibilité de se raccrocher au fait que cela puisse être romancé.
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A la lecture des premières pages de ce récit à la première personne du singulier, j'ai eu une légère frayeur et quelques interrogations. Ce livre retrace la fin tragique d'un dictateur mais mon image formatée par celle des médias n'a rien à voir avec celle que l'auteur développé dans son livre.

Je m'explique : Kadhafi est un tyran…. la dessus pas de doute.

Il a pris le pouvoir par un coup d'état et donc non démocratiquement ce qui fait bel et bien de lui un dictateur. Mais et c'est là que mes frayeurs se sont muées en certitudes, cet homme voulait faire des libyens un peuple fort et respecter dans le monde entier. Il a d'ailleurs réussi l'union entre les nombreuses tribus que constituaient la Libye à l'époque de la monarchie qu'il a renversée par la force.

Au fil des pages, on apprend que Kadhafi aime son peuple et qu'il ne comprend pas cette rébellion. Ce soulèvement armé contre lui, l'homme qui avait réussi à se faire reconnaître comme un leader par les puissances mondiales et comme un allié dans une région du monde instable.

ll faut bien sûr apporter une nuance à la notion d'amour de son peuple. Kadhafi imbu de sa personne, mégalomane, pervers avec les femmes n'acceptait pas qu'on lui refuse une demande et surtout n'acceptait pas qu'on le contredise ou le discrédite. Les opposants du frère guide (comme il aimait se faire appeler) finissaient bien souvent dans un trou enterrés vivants dans une prison obscure en guise de tombeau ou bien étaient liquidés simplement sur un claquement de doigts.

L'autre notion qui ressort clairement de ce livre c'est la peur. Tout le monde avait peur de lui même ses plus proches conseillers qui d'ailleurs étaient en première ligne en cas de manquement ou en cas de popularité. Kadhafi ne s'encombre pas de rivaux. En dehors de ses fils, aucune autre personnalité du régime ne doit avoir l'air d'avoir un certain pouvoir sur le peuple. Car ce qui a précipité la chute de Kadhafi c'est bien la soif du pouvoir.

Cet homme parti de rien, issu d'une famille pauvre du désert, qui n'a pas connu son père, avait une soif de vengeance contre le destin. D'ailleurs Yasmina Khadra nous le présente comme un croyant qui pensait que Dieu était avec lui quelque soit la situation.

Même si ce livre est court et que certains sujets sont traités rapidement, il n'en demeure pas moins un livre très bien construit. L'auteur donne même la parole à Saddam Hussein qui s'invite dans les cauchemars de Kadhafi et lui explique les erreurs qui l'ont fait tomber de son piédestal.

Si la référence à Saddam Hussein ou encore à Benali ne m'a pas étonné, celle faite tout le long envers Van Gogh pose question... La réponse est donnée par l'auteur dans une conclusion qui se veut aussi réaliste que la scène du lynchage filmé par le téléphone d'un combattant et que chacun d'entre nous aura au moins vu une fois à la télévision. Dans cette scène qui clos le bouquin avec grandiose, pas de doute que Yasmina Khadra est habité par le personnage de Kadhafi qui lui dicte une mise à mort bien éloignée de celle dont il a toujours rêvé, en se comparant à ces autres dictateurs comme Staline qui ont fait du syndrome de Stockholm un allié pour l'éternité.

Pour conclure, « La dernière nuit du Raïs » est un livre qu'il faut absolument lire car c'est un exercice très difficile que Yasmina Khadra a su réaliser grâce a un talent et une plume qui régalent le lecteur de la première à la dernière ligne.
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Ce livre m'a laissé une forte impression : celle de vivre aussi la dernière nuit de Mouammar Kadhafi. L'auteur nous démontre que l'être humain est capable du meilleur comme du pire en nous montrant le bon et le mauvais côté du dictateur. Yasmina Khadra a réussi haut la main le challenge d'écrire un livre d'une façon si subjective. Comme avec l'Attentat, nous pouvons ouvrir notre esprit et enfin comprendre des idées et des positions radicalement opposées tout en ne basculant pas pour l'un ou l'autre. Ce roman se lit d'une traite, on ne s'en lasse pas tant l'histoire est haletante et intéressante. On oublierait presque que c'est un roman et non une autobiographie.
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La dernière nuit du Rais est un roman dur et sa lecture est dérangeante à plus d 'un titre .Voilà un vaste pays , peu peuplé et très riche et qui se trouve tenu durant quatre décennies avec une main de fer par un dirigeant surnommé le Guide qui ne rend de compte à personne comme si le pays est sa propriété personnelle . Durant le règne de ce sinistre personnage , le pays est devenu une grande prison et où les libertés ,toutes les libertés sont confisquées : c 'est le règne de l 'arbitraire !
Un jour la Révolution est arrivée et le peuple brisa les chaînes de l 'asservissement .Voyant que son règne est fini ,le Rais prend la fuite et se rend dans sa ville natale Syrthe croyant qu 'il y trouvera un refuge .C' est durant cette nuit que le romancier "s 'invite dans le cerveau du fuyard pour connaître ses ultimes pensées ".L 'auteur les décrit fort bien .Ce dirigeant est un excentrique ,un mégalomane ,un sadique , il abuse des femmes selon ses volontés ,il a gaspillé le Trésor public : il ne connaît aucune limite et , pour lui ,tout est permis .
La fin de ce tyran est connu par tout le monde .L 'auteur
s 'est montré encore une fois qu 'il est un grand romancier et un bon conteur .Yasmina Khadra nous nous a pas déçu .
Un bon roman malgré sa dureté . Bravo l 'artiste !


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Il faut avoir un certain culot et un sacré talent pour se lancer dans la description de la dernière nuit sur terre d'un personnage comme Khadafi.Le défi est de taille et pourtant,Yasmina Khadra ne vacille pas,le résultat est,pour moi,extraordinaire.
Parler de Khadafi,récolter des éléments de sa vie, soit.Mais pénétrer dans son corps,et,surtout,dans ses pensées relève du génie .Ce personnage rencontre,pour cette ultime nuit,des hommes qui l'ont accompagné, soutenu,trahi,qui ont peur face à la mort,qui expriment leur désarroi,leurs regrets.Khadafi n'éprouve pour eux tous que condescendence, pitié, mépris. Lui est un être intouchable,immortel,chargé d'une mission divine,faire le bonheur de son peuple.Ceux qui ne le suivent pas doivent disparaître, les supprimer n'est que son devoir.
Yasmina Khadra donne à voir et à penser en utilisant la première personne.Quelle habileté ,et même après sa mort,Khadafi restera sur la même ligne intellectuelle,lui qui n'acceptait pas la moindre faiblesse chez ses "collaborateurs",qu'ils soient fidèles ou félons.
C'est un livre dur,violent dans son dénouement, inquiétant aussi tant il démontre que,non,Khadafi n'était pas fou.Si on peut "soigner la folie" que peut on face à un tyran aussi implacable,aussi obnubilé par son image de "sauveur"?
Encore une fois,l'auteur nous interpelle, nous pousse dans nos retranchements.Ce monsieur est vraiment un grand de la littérature, par ses idées,certes,mais aussi grâce à cette plume aérienne dont on ne se lasse pas.Bravo.
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Pour découvrir Kadhafi, rien de mieux qu'une histoire racontée… par Kadhafi lui-même. Ou presque, car c'est Yasmina Khadra qui se met dans la peau du dictateur pour nous livrer l'histoire d'un homme paranoïaque et cruel.
Ambitieux par sa forme et remarquable pour son but et ses effets, ce roman nous fait revivre en flash-back le parcours de Kadhafi et son cheminement depuis son enfance miséreuse jusqu'à l'apogée de son long règne.

Féroce adepte du terrorisme, Kadhafi a régné par la terreur, n'hésitant pas à éliminer sans état d'âme les partisans même qui l'avaient aidé à construire sa légende. Entre deux bouffées d'héroïne l'orgueilleux mégalomane est persuadé de défendre sa patrie, d'être béni des cieux, investi d'un pouvoir divin et prédestiné à la légende.
Yasmina Khadra ose imaginer la dernière journée du Guide et raconte comment traqués comme des bêtes à l'agonie, lui et les siens seront victimes de barbaries inimaginables de la main même du peuple qu'il a tant massacré. La disgrâce du tyran, la ville prise à feu et à sang par le peuple et sa mise à mort ont un air d'apocalypse.
Le langage employé par Yasmina Khadra est plutôt cru et dur, certains passages font froid dans le dos, mais son talent de conteur suffit pour nous peindre une épopée humaine terrifiante.


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L’écriture lumineuse, baroque et acide de Khadra s’est mise au service d’un projet ambitieux, démonter, expliquer, décrypter, expliciter, la «mécanique» Mouammar Khadafi.
Comment le jeune berger du Fezzan, devenu lieutenant puis colonel de l’armée libyenne a-t-il accédé au rang de Raïs, de chef suprême, de guide spirituel du peuple libyen, à l’image d’un Nasser, un modèle envié et craint du monde arabe, et la terreur du monde occidental ?
Pour sa démonstration, la plus brillante qui soit, Khadra puise dans les ressources de la psychanalyse. A l’opposé d’une psychanalyse complaisante, d’une psychanalyse de café du commerce, d’une psychanalyse absconse, de celles qui noient le poisson, il construit une psychanalyse revue et corrigée par ses soins, y mettant toute la verve, le talent et le vocabulaire inventif auxquels il nous a habitués. Il passe ainsi en revue :

L’enfance du dictateur bien sûr, et l’influence de cet oncle maternel, un berger, qui le convainc que la lune est son astre :
«(...) il disait, (...) qu’il y avait là-haut un astre pour chaque brave sur terre. Je lui avais demandé de me montrer le mien. Son doigt avait désigné la lune, sans hésitation, comme s’il s’agissait d’une évidence.» (Page 10)
et que lui, Mouammar, est :
«...l’enfant béni du clan des Ghous, celui qui restituerait à la tribu des Khadafas ses épopées oubliées et ses lustres d’antan.» (Page 11)
L’amour contrarié de l’adolescent :
«J’ai contracté ce mal sublime qu’on appelle l’amour à l'école de Sebha, dans le Fezzan tribal. Faten était la fille du directeur. Je lui écrivais des lettres enflammées sans parvenir à lui en glisser une.» (Page 58)
L’humiliation qu’il subit lorsqu’il demande Faten en mariage une fois devenu lieutenant après un passage par le British Army Staff :
«Je suis certain que vous trouverez une fille de votre rang qui vous rendra heureux.» est la réponse du père de Faten devenu un notable suite à un héritage. (Page 63)
Sa vengeance horrible une fois qu’il est devenu l’homme de la Lybie :
«Mes gardes me l’ont ramené un matin. Je l’ai séquestrée durant trois semaines, abusant d’elle à ma convenance. Son mari fut arrêté(...)» Quant à son père, «(...) il sortit un soir se promener ne rentra jamais chez lui.»
«Depuis, toutes les femmes sont à moi.» (Page 64)

Sa garde féminine, ses amazones, est là pour rappeler son attrait et sa détestation des femmes :
«Amira (...) est une femme costaude et alerte, (...) avec une chevelure luxuriante et une poitrine plantureuse. Arrogante mais d’une fidélité indéfectible, je l’autorisais parfois à partager ma couche et mes repas lorsqu’elle était plus jeune.» (Page 55)
«les femmes...j’en ai possédé des centaines.(...) Lorsqu’elles cédaient, terrassées à mes pieds, je prenais conscience de l’étendue de ma souveraineté et mon orgasme supplantait le nirvana.» (Page 57)

Autre détestation que nous confie le dictateur, celle de la culture occidentale :
«En dehors de la musique orientale, je ne suis pas porté sur les arts. (...) Bien sûr, pour faire bonne figure (...) en Occident, il m’arrivait de feindre l’extase devant une fresque ou en écoutant Mozart. (...) Pour moi rien ne vaut la splendeur d’une guitoune déployée au beau milieu du désert et pas une symphonie n’égale le bruissement du vent sur la barkhane.» (Page 61)

Enfin, deux terrible secrets nous sont révélés :
L’addiction du dictateur :
«(Amira) extirpe de la sacoche un petit sachet d’héroïne, déverse son contenu dans une cuillère à soupe, actionne un briquet.» (Page 56)
Son statut d’enfant illégitime révélée brutalement par le commandant Jalal Snoussi qui a pour mission de «casser» le jeune officier jugé par trop remuant :
«Tu es ici parce que le tentacule dans ta bouche est si long qu’on pourrait te pendre avec...» (Page 115)
Humiliation suprême, alors qu’il est pressenti pour une nomination au grade de capitaine, un simple sergent est chargé de lui annoncer :
«Certaines indiscrétions avancent que vous êtes l'enfant naturel d’un Corse nommé Albert Preziosi, un aviateur recueilli et soigné par votre tribu (...) en 1941.» (Pages 118-119)

Ces événements intimes forgent la personnalité obscure de celui qui veut arriver au plus haut tout en faisant rendre gorge à ceux qu’ils l’ont humilié. Mais lui ne se salit pas les mains, il diligente toujours ses nervis :
«(...) tandis que mes officiers fignolaient l’opération coup de poing en l’absence du roi Idriss (...) j’étais dans ma chambre, stressé à mort.» (Page 70)

Comme Jeanne d’Arc, le dictateur est persuadé d’être chargé d’une mission divine. Il entend une voix lui dicter sa conduite :
«A l’école de Sebha, puis à celle de Misrata, mes camarades buvaient mes parles jusqu’à l’ébriété. Ce n’était pas moi qui les ensorcelais avec mes diatribes, mais la Voix qui chantait à travers mon être.» (page 93)
Il se persuade que cette mission efface ses origines incertaines :
«Il m’importait peu de savoir si j’étais le bâtard d’un Corse ou le fils d’un brave .
J'étais ma propre progéniture.
Mon propre géniteur.
J'étais digne de n’être que Moi. (Pages 126-127)

Le roman commence dans la dernière cache du Raïs. Une école désaffectée de la ville de Syrte. Il a abandonné son palais. Il est cerné par les rebelles, accompagné de ses derniers fidèles, qui tous veulent, une dernière fois, lui faire croire qu’une contre offensive préparée par son fils Moutassim est en cours et qu’elle le conduira à nouveau sur le trône.

La cour rapprochée du dictateur s'évertue à lui servir la seule version de la réalité qu’il est en mesure d’accepter, celle qui lui conserve le rôle de frère Guide de la nation libyenne, trahi par une minorité, et dans lequel le peuple croit toujours.

Dans ce huis clos calfeutré, se retrouvent Mansour Dhao le chef de la garde, Amira l’amazone infirmière, Abour Bakr le général des armées, Mostefa l’ordonnance et plus tard juste avant la fuite, le lieutenant-colonel Trid, dans lequel Mouammar Khadafi voit le dernier de ses fidèles, «Ce garçon me subjugue. Il a appris ma propre colère et l’a faite sienne.» (Page 148)
Il est le dernier ami avec lequel il peut parler librement :
Vous avez écrit l’histoire, Raïs.
Faux. C’est l’histoire qui m’a écrit.
(...)Vois-tu, colonel ? Les plus beaux contes de fées, quand ils se réinventent dans d’interminables feuilletons, finissent pas lasser.» (Page 159)
«Ils ne vous ont pas menti. Vous avez effectivement fait d’un archipel de tribu hostiles les unes aux autres une même chair et une même âme. Mais la vérité vraie était ailleurs.
Pourquoi me l’a-t-on cachée ?
Parce qu’elle n’était pas bonne à dire; Monsieur.» (Page 166)

Mais cette lucidité du Raïs n’est que passagère :
«J’étais Moïse descendant de la montagne, un livre vert en guise de tablette.» (Page 173)
«Comment a-t-on osé me frapper dans le dos ?»
«Si c’était à refaire, j’exterminerais la moitié de la nation.» (page 175)

Khadra développe à nouveau dans ce roman un thème qui lui est cher, une affirmation présente dans les quatre romans du quatuor algérien, cette idée selon laquelle les dirigeants en Algérie sont des bergers devenus des élites et considérent toujours le peuple comme leur cheptel. Khadafi fait de même :
«Le lieutenant-colonel Trid avait raison, le peuple est un cheptel.» (Page 175)
Mouammar Khadafi est lui aussi un berger monté en graine. Face à ses homologues des pays arabes, il lâche dans un discours :
«Il y a trois cent cinquante millions de têtes de moutons ! » (Page 148)
Le berger est le seul référent des brebis, qui acceptent sa loi, même lorsqu’elle se traduit par des coups de bâton ou des morsures du chien de troupeau. Parfois, il arrive qu’elles se rebellent :
«Toutefois, j’étais ravi de voir Ben Ali contesté par son cheptel.» (Page 42)
«Que s’est-il passé pour que les agneaux se changent en hyène, pour que les enfants décident de manger leur père?...» (Page 84)

Le dictateur ne comprend pas le revirement de son peuple et surtout ne comprend pas les revirements des nations occidentales alliés aux pays arabes dans une coalition qui a pour but de le démettre :
«On m’a autorisé à dresser ma tente sur la pelouse de Paris en pardonnant ma muflerie et en fermant les yeux sur mes «monstruosités». Et aujourd’hui on me traite comme un vulgaire gibier de potence évadé du pénitencier.» (Page 155)

Jusqu’au bout, alors que sa fin est proche, il restera le Raïs, s’adressant directement et seulement à Dieu :
«(...) pardonne-leur leurs offenses comme je les leur pardonne, car ils ne savent pas ce qu’ils font...» (Page 204)

Le récit est émaillé de ces formules qui, pour notre plus grand plaisir, sont la signature du style Khadra :
«Les révoltes arabes m’on toujours barbé, un peu comme les montagnes qui accouchent d’un souris.» (Page 43)
«La seule chose précieuse qui te reste en ce monde est ta tête, et elle ne vaut pas un radis.» (Page 109)
«On peut toujours prêcher dans le désert mais on ne sème pas dans le sable.» (Page 149)
«Entre la hantise du péché et les affres de la trahison, il y a moins d’un millimètre d’interstice.» (Page 155)
«Je ne comprendrais jamais comment certains font passer la résignation pour de l’humilité.» (Page 162)
«Sans la sang, le trône est un échafaud potentiel.» (Page 165)

Un livre admirable !
A lire à tout prix !
Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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C'est le chant du cygne pour le Guide de la Libye. La fin est proche, terré dans un QG de fortune sous bombardements avec quelques fidèles de moins en moins motivés.
Le personnage reste autoritaire, cruel, injuste, haineux, méprisant, condescendant, mais encore lucide et combattif bien que mort de trouille et de fatigue.

Qui, du guide visionnaire tyrannique ou du Bédouin mégalomane, l'Histoire retiendra-t-elle ?
Quel homme privé se cache derrière le dirigeant sanguinaire qui croyait incarner tout un peuple?

Yasmina Khadra construit un roman à la première personne, immergeant le lecteur dans la tête du Raïs et l'entraînant jusqu'au lynchage final. C'est une tragédie à l'antique, faite de souvenirs en flashbacks où l'auteur sait rendre la démesure et la folie d'une personnalité ambivalente. Une dissection de l'homme traqué qui interroge sur les volte-face de l'Histoire: un jour adulé, le lendemain honni.

Avec cette illustration romancée de la chute d'un tyran, il pose question sur le dilemme très actuel concernant la gouvernance de pays: ordre dictatorial ou chaos. Ses positions concernant le printemps arabe transparaissent en filigrane: peut-on renverser un dictateur et chercher à imposer la démocratie sans obtenir la pagaille? Il faut arrêter d'être angélique et dépasser l'indignation face au résultat.

Thème accrocheur pour un homme énigmatique, montage littéraire bien ficelé, porté par l'écriture toujours aisée, fluide, alerte. Un livre original, qu'il plaise ou pas: mon sentiment final étant mitigé sans vraiment me l'expliquer.
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