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Critique de Seddouqiya


(23/12/2015)

Moustafa Khalifé est un militant syrien des droits de l'homme. D'origine chrétienne, athée, il fut cueilli à l'aéroport à son retour de France, où il était partir faire ses études, et fut incarcéré dans la tristement célèbre prison de Palmyre, pour un "motif" absurde qu'il ne connut que 12 ans plus tard, à sa libération.

C'est le témoignage de ces 12 années infernales qu'il nous livre dans "la coquille". Entassement de plusieurs dizaines de personne dans une même cellule. Coups de fouet en allant chercher la soupe. Coups de fouets en allant à la douche, coups de fouets en en sortant. Une centaine de coups de fouets au hasard, lorsqu'un gardien décide de "pointer" un prisonnier de la cellule. Une centaine de coups de fouets lorsque le directeur de la prison décide d'appliquer une punition collective aux prisonniers. Famine organisée. Coups de fouets et sévices lors de la "promenade", prisonnier obligé d'en abuser d'un autre. Hommes paralysés, ou aveuglés par les coups de fouets. Humiliations diverses, crachats dans la nourriture, insultes. Exécutions.

Les prisonniers. Pour l'essentiel, des militants islamistes, très éduqués (beaucoup de médecins spécialisés, des ingénieurs, des avocats) et issus de milieux aisés pour la plupart. Une frange de jeunes radicaux. Parce qu'il a dit être athée, Moustafa Khalifé fut longtemps considéré comme un espion du régime, et méprisé pour cela. Il s'enferma alors dans une "coquille", où il observait le monde en ne parlant à personne. Heureusement, il put compter sur l'humanité des leaders de ces groupes, qui décidèrent de le soutenir et de le protéger contre ceux qui voulaient s'en prendre à lui, et allèrent, eux ainsi que leurs militants, jusqu'à s'opposer par la force à un leader radical récemment arrêté et qui avait décidé de s'en prendre à lui.

Ainsi, en décrivant ses codétenus, Moustafa Khalifé esquisse un début de description intéressant et nuancé des mouvements d'opposition en Syrie : des "communistes", militants de gauche, laïcs, d'une part, et d'autres part, des islamistes, parmi lesquels des cadres et des militants très éduqués et aussi humains, mais aussi des radicaux ultra-violents. Comme il l'explique, il y'a les radicaux, qui prônent l'usage d'une violence extrême et indiscriminée, mais aussi les politiques, les pacifiques, les membres de cercles soufis (le soufisme est la tradition spirituelle de l'Islam appartenant à l'Islam sunnite classique, "orthodoxe").
Les radicaux semblent surtout être des jeunes issus, contrairement aux autres islamistes, de milieux moins favorisés, et qui, en l'absence de leader manipulant leurs sentiments d'injustice et en profitant pour prôner la violence, sont capables d'avoir un comportement "normal", humain : "la plupart des radicaux sont jeunes et au fond plutôt bons et candides, tant que ne surgit pas un Abou al Qa'qa ou un Abou Qatada !" (p.204).
Des observations à prendre en compte si l'on s'intéresse à la dramatique question de l'émergence et de la gestion de groupes radicaux dans ces pays soumis à un régime tyrannique et oppresseur, coupables de traitements aussi cruels que ceux décrits dans ce témoignage. S'il y'a bien une situation où il ne fait pas de doute que l'extrémisme est lié à un vécu réel de violence et d'injustice, c'est bien celle de ces pays soumis à des régimes despotiques. Tout en sachant que la plupart de ceux qui rentrent dans l'opposition ne tombent pas dans le radicalisme.

Une description intéressante est également donnée de ces terribles gardiens, coupables de si cruels sévices : ils sont recrutés parmi les prisonniers de droit commun. Sans aucune perspective autre que celle de la torture qu'on les force, au début, à perpétrer, ils s'enlisent peu à peu dans une impasse de cruauté dont ils ne voient plus comment sortir, et c'est ainsi qu'ils se transforment en ces bourreaux commettant avec "joie" les mêmes sévices qui les faisaient vomir au début. C'est le même processus pour ceux des bourreaux qui ont été recrutés parmi les jeunes faisant leur service militaire.

La solidarité et le courage. Un groupe de jeunes se porte systématiquement volontaire pour recevoir les coups de fouets à la place des autres. La nourriture est partagée équitablement. Lorsqu'un prisonnier reçoit des vivres de sa famille, tout est réparti équitablement entre l'ensemble des prisonniers (y compris le narrateur). de l'argent est réunir pour corrompre les gardiens, le directeur, et acheter des médicaments, soigner les maladies. Les noms des prisonniers exécutes sont retenus et mémorisés par coeur.

Pourquoi ces gens sont-ils en prison . Beaucoup, bien sûr, parce qu'ils s'opposent au régime, y compris lorsque leur engagement était pacifique. D'autres, parce qu'il fallait bien arrêter des gens, et qu'ils ont un jour été ramassés arbitrairement alors qu'ils vaquaient à leur occupation. D'autres parce qu'ils priaient et faisaient le Ramadan. D'autres parce qu'ils avaient un lien de parenté avec un syrien décrit comme radical. D'autres parce qu'ils se sont moqués du président.

Voici ce qu'est la dictature. Peut-on continuer à soutenir ce genre de régimes, et à faire nôtres les prétextes invoqués par les despotes pour justifier les répressions, juste parce qu'ils s'accordent tristement avec nos préjugés ? Combien faudra-t-il de récits, de témoignages, de chiffres, pour ouvrir les yeux ? Ces régimes sont à l'origine du chaos actuel. On prédisait leur "adoucissement", on en vantait les "bienfaits", on justifiait la répression qu'ils menaient : ils n'ont produit que violences, haines, radicalisme, et loin de s'infléchir, se sont mis à user d'une violence encore plus grande qu'auparavant pour se maintenir. le cas syrien est un cas d'école. Espérons qu'il serve aux générations futures.
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