AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782382460849
278 pages
Agullo (09/02/2023)
4.31/5   62 notes
Résumé :
La Vallée des Lazhars est l'histoire d'une jeunesse qui se heurte à des frontières de toutes sortes et qui tente de s'en affranchir, par la verve, le panache, la désobéissance – par une solution qui lui est une seconde nature, l'exil.

Un grand camion blanc parcourt une piste qui serpente au creux d'une vallée, à la frontière Est du Maroc. À son bord, Amir et son père. Cet été, ils rendent visite à leur famille après six ans d'absence. Amir est n... >Voir plus
Que lire après La Vallée des LazharsVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (25) Voir plus Ajouter une critique
4,31

sur 62 notes
5
14 avis
4
10 avis
3
1 avis
2
0 avis
1
0 avis
Immigré de deuxième génération installé en France, le narrateur Amir Ayami n'a jamais cherché à transmettre sa part d'identité marocaine. Face au questionnement de sa petite-fille, il entreprend le récit d'un épisode de sa jeunesse, une histoire qui, selon lui, « contient toute l'essence de la famille de [s]on père ».


Il a alors vingt ans et étudie le droit à Paris. Cet été-là, six ans après y être jamais retournés, lui et son père reviennent au pays à l'occasion d'un mariage. Ils vont retrouver la famille au grand complet, dans leur ferme originelle toujours accrochée à flanc de montagne, en surplomb de la Vallée des Lazhars et à un jet de pierre de la frontière algérienne. Leur arrivée tient du passage vers un autre monde, alors que sur la route écrasée de soleil serpentant au bord du vide, leur camionnette croise, fonçant dans un envol de poussière, les véhicules déglingués des « trabendos », les contrebandiers de cigarettes qui quadrillent la région. Avant de leur laisser l'accès à ses habitants, la montagne semble dresser son décor aride et escarpé pour rappeler à ses deux fils prodigues combien leur attachement à cette terre, « banale en vérité, sèche et incohérente, sans grand charme », est prodigieusement viscéral.


Pourtant, les Ayami ne sont plus les seigneurs qui, autrefois, régnaient fièrement sur ce versant de la montagne. Leur clan, que « personne entre Fès à l'ouest et Tlemcen à l'est » n'ignore, s'est affaibli à mesure de sa diaspora, et même sa matriarche, la tante d'Amir, sent désormais ses forces et sa mémoire décliner. Cela n'arrange évidemment pas l'ancestrale rivalité qui, pour on ne sait plus quelle raison, les oppose au clan ennemi des Hokbani, quant à lui florissant de l'autre côté de la vallée. Aussi, le mariage que l'on s'apprête malgré tout à célébrer entre la cousine d'Amir et un homme Hokbani est-il l'objet de toutes les tensions. Pour enflammer la haine qui couve, il suffirait peut-être d'un incident, possiblement sous les traits du fougueux et charismatique Haroun, le cousin qu'Amir admire tant, et qui, de retour pour les noces après trois années de mystérieuse absence – personne ne sait pourquoi il avait fui les Lazhars pour l'Algérie –, déclenche autour de lui des réactions pour le moins vives et contrastées. C'est que Haroun n'a que faire des coutumes et des conventions. Et puisqu'il est lui-même amoureux d'une jeune fille Hokbani, la belle Fairhouz, il est prêt à enfreindre toutes les règles pour triompher des obstacles qui l'attendent.


Le retour aux sources d'Amir qui, tel un voyage initiatique, lui fait explorer ses origines en même temps que le passé de sa famille, dans une constante confrontation entre ses identités française et lazhari, mais aussi entre tradition et modernité dans une région reculée du Maroc, se transforme ainsi en histoire d'honneur et d'amour – déclinaison maghrébine du mythe de Roméo et Juliette – , toute d'aventures rebondissantes, de personnages attachants et de paysages envoûtants. Un premier roman puissamment nostalgique, en tout point réussi. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          9310
Pour un premier roman, c'est vraiment une belle réussite. Soufiane Khaloua nous questionne sur le déracinement et le devoir de mémoire auprès des descendants. Né en 1992, l'auteur est né dans l'Aisne et ce problème, je pense, doit être autobiographique car, lui-même, coupé de ses racines. A noter la belle couverture où figure la Renault 12 qui scellera le sort de notre héros et narrateur Amir.
Donc le père d'Amir, Ali, a quitté son pays, le Maroc, au début des années 60. Amir est donc né en France. Notre histoire relate le premier voyage, depuis 6 ans, au pays ; Amir est âgé alors de 19 ans. Outre les retrouvailles familiales, ce voyage est induit par une affaire de succession à régler et surtout le mariage de Farah, fille adoptive de sa soeur Zahra et de Sayad son mari.
Amir est impatient et anxieux de retrouver cette famille, qu'il connait imparfaitement, à sa dernière venue il avait 13 ans. Mais il a conservé un souvenir émerveillé de son cousin, Haroun, garçon téméraire et fantasque, né le même jour que lui et qu'il considère comme son quasi frère. Pour la compréhension Farah et Haroun sont les enfants du frère de Sayad, décédé, et adoptés par le couple.
Sur le chemin du domicile familial, Amir, rencontre une belle jeune femme Fayrouz qui le subjugue totalement. Les retrouvailles sont mitigées pour notre héros, sa tante Zahra a perdu la tête et Sayad est, désormais, vieux et très faible. Mais surtout Haroun, qu'Amir se faisait une fête de retrouver, est parti du domicile de puis 3 ans. Amir apprendra qu'il vit désormais une vie dissolue, devenu trabendo (trafiquant entre Maroc et Algérie).
Le mariage de Farah se prépare, elle va épouser Ayoub, mais l'affaire s'annonce compliquée, car Farah est issue du clan Ayami et son futur époux du clan rival les Hokbani. Il faut dire que la scène se passe dans la Vallée des Lazhars, un microcosme, véritable pays dans le pays, délaissée de toutes administrations étatiques. Les deux tribus font la loi sur ce territoire, vallée séparée par une route que ces clans ennemis se sont entendus tout de même à construire, seul lieu commun avec le cimetière.
Arrive le jour du mariage où oh miracle ! Haroun arrive, accompagné, d'un ami algérien Messi. Amir est au comble du bonheur de le retrouver, surtout que Fayrouz, la divine apparition est présente et finalement soeur du prétendant de Farah. Mais la haine entre les deux clans, toujours prête à sourdre, se matérialise suite à un affront qu'un membre du clan Hokbani fera à Farah. Haroun ne pourra résister et agressera le malotru et s'enfuira non s'en avoir embrassé Fayrouz sur la bouche, bravade ou amour caché ?
Bien vite, Amir apprend qu'il existe, entre son cousin et Fayrouz, une idylle cachée, car Haroun n'est pas très fréquentable, c'est un peu le fils maudit. Et cela trouble profondément Amir car il envisage un avenir et pourquoi pas un mariage avec la belle.
Quel dénouement à cette histoire ? Je vous engage à le découvrir car ce roman est formidable, envoutant. Soutenue par une belle plume qui transcrit la difficulté d'Amir à se situer moitie français, moitié marocain et à faire comprendre ses sentiments parlant un arabe rudimentaire.
Auteur très prometteur.
Merci aux Editions Agullo de m'avoir permis cette formidable lecture.
Commenter  J’apprécie          422
Tragédie shakespearienne en pays marocain.

Ailleurs, ils se sont appelés Montaigu et Capulet. Ici, dans cette vallée marocaine des Lazhars à deux pas de la frontière algérienne, ce sont les familles Ayami et Hokbani qui s'opposent et se haïssent depuis plusieurs générations, parce que « c'est comme ça depuis toujours. »

Quand Amir, la vingtaine, rentre de France pour passer l'été au village où il n'est plus revenu depuis six ans, il retrouve les siens du clan Ayami, dont Farah, qui doit épouser Ayoub, un Hokbani. Et aussi Haroun, le cousin adoré mais rebelle, amoureux de la belle Fayrouz…

Les jours passent et Amir se découvre un peu étranger de sa propre famille, spectateur d'un drame qui se joue sans qu'il n'en saisisse toutes les dimensions. Lui-même attiré par Fayrouz, il sent la tension monter sans pouvoir arrêter la tragédie qui s'annonce.

« Je ne pouvais faire entièrement partie de la vie des Lazharis, parce que la vie, c'était ce qui s'écoulait entre mes séjours ici, en mon absence. »

Pour un premier roman, La Vallée des Lazhars de Soufiane Khaloua est particulièrement réussi, étonnant de maîtrise du début à la fin. Sur fond de rivalités familiales, l'auteur nous plonge dans une touchante réflexion sur les racines, l'identité, la famille et les frontières, virtuelles ou réelles, qu'on décide, ou pas, de franchir.

« Or si je n'étais pas tout à fait marocain, je ne me sentais pas pour autant tout à fait français. Alors je souhaitais être Ayami avant tout, et la vallée des Lazhars devait être ma patrie. »

Il visite et partage les marqueurs de sa terre : la famille ; la tradition ; l'hospitalité qui « est notre unique titre de noblesse. Elle nous permet de haïr sans jamais en venir au meurtre » ; les voisins algériens bien pratiques pour le trabendo, mais « qui nous ressemblent trop pour qu'on les haïsse. ».

Et puis il y a ces paysages, ces lumières, ces nuits, ce « parfum » envoûtant d'une terre que Khaloua ne cesse de décrire en empruntant ses mots au registre amoureux et poétique :

« C'était l'heure des coucheries entre la Lune et la Terre, une heure où l'on nous prouve que tout possède une vie propre en dehors des humains, tout existe dans notre dos, sans aucun besoin de notre présence. Je me sentis moins nécessaire et moins intéressant qu'un arbre ou une pierre du paysage. »

C'est beau, réussi et on peut se précipiter !
Commenter  J’apprécie          310
Deux mariages et un enterrement

Dans ce roman des origines, Soufiane Khaloua retrace un été passé par un père et son fils dans la vallée des Lazhars au Maroc, d'où est originaire la famille. Venus pour un mariage, ils repartiront après un enterrement.

Un arrière-grand-père arrivé en France dans les années soixante et les générations qui se succèdent, toujours plus éloignées du Maroc d'origine. Alors pour sa fille entièrement française, Amir décide de remonter dans l'arbre généalogique et de raconter cette famille de la vallée des Lazhars, non loin de la frontière algérienne.
C'est à l'occasion d'un mariage qu'il part avec son père pour le Maroc où ils ne sont plus retournés depuis six ans. Lui et ses cousines et cousins sont désormais adultes, à l'âge où il leur faut construire à leur tour une famille. Après une nuit à Oujda, c'est au volant d'un camion qu'ils retrouvent leur vallée et les Ayami: la tante Zahra et Sayad, leur fils Bilal, la petite Manal et le grand Aymen, quinze ans et Houd, dix ans. Mais pour Amir la déception est de taille car il apprend que son cousin préféré, Haroun, son quasi-jumeau, a quitté le village depuis plusieurs années à la suite d'une dispute.
Sa soeur Farah, la future mariée, a bien essayé de le convaincre de revenir pour assister à la fête, mais en vain.
Alors, avec son arabe encore hésitant, il cherche encore sa place, se nourrissant des conversations, des préparatifs de la cérémonie et de la rivalité persistance avec l'autre clan, celui des Hokbani qui occupe le versant est de la vallée. Mais peut-être que l'union de Farah Ayami avec Sayad Hokbani permettra l'apaisement...
C'est après la cérémonie du Henné qu'arrive la belle surprise. Haroun est de retour et constate avec plaisir que leur complicité est toujours aussi forte. Alors, c'est la vie rêvée. Il manque juste un mot à la langue française «pour décrire le sentiment d'être en vie, où l'on a conscience de se tenir au bon endroit, au bon moment, avec les bonnes personnes. C'est ce que j'ai éprouvé cet été-là, grâce à Haroun, et grâce à Fayrouz, Sayad et Farah, et les Ayami, et les Hokbani, les oliviers, les amandiers, les figuiers; tout formait un arrière-plan agréable à nos rêveries partagées.»
Jusqu'au jour où ils deviennent rivaux, tous deux amoureux de la belle Fayrouz, pourtant déjà promise à un Allemand.
Commence alors un jeu du chat et de la souris où l'un et l'autre endossent tour à tour le rôle du chasseur et du chassé. Un petit jeu qui va trouver son point culminant durant la soirée du mariage. Une soirée émaillée d'incidents, mais qui ne fera finalement que conforter chacun dans ses positions.
Soufiane Khaloua va alors nous raconter les tourments du jeune amoureux, rival au statut particulier d'exilé. Durant cet été aux multiples rebondissements, le destin des deux hommes va se sceller sur fond de mariage, mais aussi d'un enterrement. de cette chronique riche en émotions, on retiendra tout à la fois la plume allègre du primo-romancier, la difficulté pour un enfant de la troisième génération d'immigrés de se sentir légitime et cette envie folle de se construire un avenir.

Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          270
Une vallée perdu aux confins du Maroc, à quelques encablures de la frontière algérienne. La Vallée des Lazhars, un vaste territoire sur lequel vivent deux familles, les Ayami et les Hokbani. Sans trop savoir pourquoi, ces deux familles se détestent cordialement, depuis des centaines d'années. Pourtant, leurs destinées sont indissociables.
Nous suivons Amir, un jeune adolescent venu passer ses vacances d'été avec son père dans sa famille, les Ayami. Arrivant de France, il doit assister à un événement important : le mariage de sa cousine Farah avec un membre du clan adverse.
Mais ce qui motive Amir, c'est surtout de retrouver Haroun, son cousin préféré, frère de Farah. Sauf qu'Haroun revient après trois ans d'absence et avec lui des légendes et des aventures à faire rêver les petits frères et cousins Ayami. Ce retour va faire des vagues. Haroun est-il revenu pour le mariage de sa soeur ? Ou fomente-t-il d'autres projets ?

Ces deux mois estivaux seront l'occasion pour Amir de découvrir l'histoire des deux familles, de se rapprocher de Fayrouz, belle jeune fille Hobkani dont il tombe sous le charme. Il comprendra également, à force d'événements qui rythme le quotidien de la vallée, les liens qui unissent les deux familles.

Ce premier roman de Soufiane Khaoula, publié chez la très belle maison d'édition Agullo, est un hymne à l'amour. L'amour que les liens familiaux, même s'ils sont éphémères (Amir ne vient au Maroc que pour les vacances d'été) ne cessent de tester la solidité jour après jour. L'amour pour une terre, un territoire, bien plus fort que les rivalités entre ceux qui l'occupent. Une déclaration d'amour à l'amitié enfin.

L'écriture de Soufiane rend compte de l'amour qu'il porte à ces terres. Riche, imagée et douce, il nous emporte dans un récit épique dont le lecteur ne sort pas indemne. Un très bon premier roman.
Commenter  J’apprécie          190


critiques presse (1)
LeMonde
19 juin 2023
Alors que le roman navigue entre triangle amoureux et quête identitaire, l’auteur imagine de nouvelles fugues et courses-poursuites à travers la vallée des Lazahrs. Il y a quelque chose d’hollywoodien dans cette intrigue trépidante, qui nous plonge dans des paysages renversants pour nous parler d’honneur et d’amour, d’aventures, de légendes et de terres ancestrales, avec peut-être pour seul but que de raconter une sacrée belle histoire.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Il faut que j'évoque à présent à quoi ressemblait une journée aux Lazhars, à cette période. Le soleil se levait sur une campagne où chacun se réveillait à l’aube; le fermier travaillait, l'enfant se rendait à l’école, à pied, à vélo ou en stop; l’âne brayait, la vache meuglait, les animaux nocturnes allaient à leurs terriers, le lapin en sortait à l'aurore pour jouir de la rosée, les loups rôdaient pour jouir des lapins; les trabendos vrombissaient d'une frontière à l’autre, et les militaires des deux pays, tout là-haut à leurs postes, faisaient des rondes, lourdement armés. Chacun vaquait à l'occupation qui rythmait sa vie, et en dehors de cela, il n'existait pas deux jours qui se ressemblaient. Le soir, on pouvait s'endormir tôt ou veiller tard, on pouvait allumer un grand feu de joie ou se terrer à l’intérieur; autour d’une bougie, on se racontait des histoires et on jouait aux cartes; chaque jour, on faisait tout et son contraire selon l'envie.
Nous étions seuls au monde. Un jour que Bilal se rendait en ville pour payer une taxe, le fait me parut incongru. C’est que le Royaume, l’État, l'administration, tout était une présence lointaine et floue, qui ne nous concernait pas tout à fait. Ici, éleveurs et agriculteurs s'échangeaient leur marchandise, la vallée pourvoyait à l'eau potable, l'essence nous venait des trabendos postés au milieu de nulle part, leurs bidons étalés devant eux; il n’y avait pas encore de courant ni d’égouts à cette époque; nous étions coupés du reste du pays, vivant en complète autonomie dans cette espèce d’enclave à cheval sur deux frontières. p. 88-89
Commenter  J’apprécie          110
J’ai pris l’habitude de décrire cela ainsi : nous vivions sur le pas d’une porte qui séparait nos deux identités. Nous passions d’une pièce à l’autre, tâchant d’explorer chacune autant que possible, avec la peur permanente, si nous pénétrions trop avant dans l’une, que la porte se referme sur nous et nous fasse oublier l’autre. Alors nous habitions un espace sur le pas de cette porte, nous existions dans cette zone inconfortable que nous aimions. Grandir, pour nous, c’était trouver l’équilibre qui nous convenait ; pour ma part, je voulais être en expansion, j’allais toujours plus loin dans l’une et l’autre.
Commenter  J’apprécie          221
Je secouais la tête, incrédule.
- Pourquoi est-on allés chez eux aujourd’hui ?
- Ils nous ont invités.
- Mais on ne les aime pas, et c’est réciproque…
- Eh bien, souviens-t’en : notre famille est hospitalière avec son pire ennemi, si son pire ennemi tombe malade, elle va à son chevet, s’il meurt, elle le porte dans son linceul jusqu’au cimetière. C’est pareil pour eux.
- C’est idiot. J’ai perdu une après-midi avec des gens que je n’aime pas.
- Quand ils t’invitent, tu acceptes leur hospitalité. Et quand ils viennent chez toi, tu accueilles avec hospitalité. Quand tu hais, il n’y a que l’hospitalité qui te permet de ne pas oublier ce qui est important.
Il s’était arrêté pour me parler en me regardant dans les yeux : je rougis. Je n’étais pas habitué à ce ton solennel de la part de mon père, alors je fis une grimace sceptique, par pudeur. Il me saisit par le bras et repris patiemment :
- Une naissance, un mariage, une mort, ça, c’est important. L’hospitalité fait que tu es avec eux lors de chacun de ces événements. Tu les hais, mais tu n’oublies jamais qu’ils sont heureux ou malheureux des mêmes choses que toi, qu’on a ce point en commun.
- Et qu’est-ce que ça fait, qu’on ait ce point en commun ?
- Ca fait qu’on ne s’entretue pas, répondit mon père, la mine grave. On ne s’entretue pas parce qu’on est mortels, qu’on est semblables, on meurt et on donne naissance. Tu ne tues pas celui que tu as félicité pour la naissance de son enfant. Si tu oublies ça, si tu ne rends pas visite à ton ennemi, tu t’enterres dans ta haine, tu deviens mesquin, et être mesquin, c’est la pire des choses. Etre mesquin, c’est oublier la mort, et oublier la mort, c’est oublier Dieu.
Il me relâcha, se remit en marche et conclut en reprenant son sourire ironique :
- Cette hospitalité est notre unique titre de noblesse. Elle nous permet de haïr sans jamais en venir au meurtre. Les Ayami ont cette noblesse, et les Hokbani aussi. C’est ça, être lazhari.
Commenter  J’apprécie          51
(Les premières pages du livre)
Si toute généalogie prend la forme d’un arbre, la tienne commence par une bouture. Ton arrière-grand-père a quitté son Maroc natal à dix-neuf ans. Il est arrivé en France au début des années soixante, vite rejoint par son épouse ; j’ai été leur seul enfant, héritant des racines mais planté dans un terreau nouveau.
Mes parents ont mis un point d’honneur à m’apprendre l’arabe de leur jeunesse. À ma grande honte, je n’en ai pas fait autant avec ta mère. Elle ne parle pas arabe, elle est allée une poignée de fois au Maroc, et toi, à vingt ans, tu n’en connais ni la langue, ni le climat, ni les visages. Entre la bouture et les bourgeons récents, plus d’un demi-siècle d’écart, et des branches aux tournants inattendus.
Nous étions une famille d’exilés, ce n’est pas le cas pour toi, aujourd’hui. Fille de ma fille, tu es d’ici et tu appartiens à cette terre. C’était inévitable, je m’en rends compte maintenant. Puis-je te forcer à ressembler à mes parents, toi qui es née des décennies après leur arrivée, puis-je te reprocher de ne connaître ni leur langue ni leurs familles ? Aujourd’hui, pendant que j’attends le jour qui me fera retourner pour la dernière fois sur la terre de mes ancêtres, j’ai cette pensée que dans trente ou quarante ans mes descendants me seront parfaitement étrangers. L’identité qu’on m’a inculquée et que j’aurais pu transmettre à ta mère sera perdue.
Les terres d’origine s’oublient, les dynasties s’exilent, et si l’on n’y prend pas garde, très vite, rien ne subsiste de nous ni de nos parents. Aussi, j’ose un dernier effort : je m’offre une pause dans cette course de l’oubli pour te raconter une histoire – et tu en feras de même à ton tour, un jour où tu auras mon âge.
L’histoire d’une famille ne peut se contenter d’un seul récit, alors je te charge de questionner ta mère, de lui demander toutes les anecdotes qu’elle connaît sur nous. Pour ma part, je t’en raconte une qu’elle n’a jamais entendue, celle que je préfère. Je l’ai soigneusement choisie, parce qu’elle contient toute l’essence de la famille de mon père : l’histoire d’Haroun Ayami.

I. Où m’emmènes-tu, mon frère?
Je vis Haroun pour la dernière fois l’été de mes vingt ans. À cette époque, à cause du travail de mon père et du divorce de mes parents, je n’étais plus allé au Maroc depuis six années. Je finis par m’y rendre avec mon père, dont le retour au pays était devenu urgent. Il devait régler des affaires concernant un terrain hérité et retrouver sa sœur, ainsi que sa nièce, qui allait se marier.
J’appréhendais ce séjour: j’avais peur de ne plus savoir assez bien parler l’arabe, j’angoissais à l’idée de revoir mes oncles, tantes et cousins ; surtout, j’étais terrifié par mes retrouvailles prochaines avec Haroun, né le même jour et la même année que moi, mon « jumeau » ou mon « cousin préféré » comme j’aimais à l’appeler lorsque je parlais de lui à mes amis d’ici. L’expression n’avait plus beaucoup de sens, je ne le connaissais plus réellement à cette période : la dernière fois que je l’avais vu nous étions des enfants encore, nous avions treize ou quatorze ans. Les gens changent beaucoup en six ans, à cet âge-là. J’avais quitté un enfant, je m’attendais à retrouver un adulte.

Mon premier souvenir nous amène sur une étroite route à une seule voie qui serpente entre des montagnes de l’Est marocain, juste à la frontière de l’Algérie. L’asphalte écrasé de soleil brille, il fond à vue d’œil, charriant une odeur âcre que je sens à travers la fenêtre ouverte.
Il était onze heures quand notre camion avait quitté Oujda pour rejoindre la vallée des Lazhars, là où résidait une bonne partie de ma famille, là d’où viennent tes ancêtres. C’est là-bas que mon père est né, là-bas qu’il possédait des terres héritées de mon grand-père, et c’est là-bas qu’existe le cimetière de notre famille. C’est là-bas que tout commence et que tout finit.
Mon père pestait, on avait dormi à l’hôtel à Oujda, puis on s’était réveillés tôt pour voyager tant qu’il ferait assez frais, mais on avait dû s’arrêter pour faire quelques courses : on ne pouvait pas arriver les mains vides après plusieurs années d’absence. Allant de souk en souk, nous avions mis plus d’une heure avant de nous engager enfin sur la piste qui ondulait au cœur des montagnes, le camion chargé de pastèques, de melons et de yaourts qui ne survivraient probablement pas à la chaleur du trajet.
Chaque fois qu’un véhicule venait en sens inverse, mon père devait arrêter le camion sur le bas-côté, s’approchant dangereusement des ravins. Je finis par pousser une exclamation exaspérée : c’était la troisième voiture au moins qui nous croisait à toute vitesse, obligeant mon père à des manœuvres dangereuses. Il m’expliqua qui étaient ces chauffards. Il s’agissait des trabendos, des contrebandiers qui traversaient illégalement la frontière algérienne pour rapporter de chez nos voisins cigarettes, essence et marchandises en tout genre à moindre coût.
Mon père me dit de les observer attentivement : peut-être reconnaîtrais-je Haroun parmi eux, puisque ici il n’avait pas beaucoup d’autres possibilités que de devenir trabendo. Dévisageant chacun des conducteurs, cherchant les traits de mon cousin sur leurs physionomies, je pus rapidement dresser un portrait-type du trabendo : jeune homme, autour de vingt ans, les sourcils froncés par la concentration. Il conduit d’assez vieilles voitures, des Renault 12 ou 18, des Peugeot 505. (« Elles sont trafiquées, une voiture normale ne survivrait pas à leurs trajets », expliqua mon père.)

On roulait depuis un peu plus d’une heure quand on le vit au milieu de la poussière, errant au coin d’un virage entre deux montagnes comme une apparition d’un autre temps. Je sus que c’était un vieil homme grâce à son abaya blanche et au chèche orange qui lui enserrait la tête. À mesure qu’on approchait, je me rendis compte qu’il se tenait très droit, le bâton de marche qu’il serrait dans la main avait dû être ramassé par ennui plus que par nécessité. Il leva le bras vers notre camion. Mon père s’arrêta, l’invita à monter.
— Salam aleyk’, je te remercie, ça fait une demi-heure que je marche et personne pour s’arrêter.
Il avait une voix forte, je lui trouvais un sacré charisme avec sa grande taille, son emphase, ses yeux bleus sur sa face brune.
— Une demi-heure ? répondit mon père. Pour combien de voitures passées ? Dans mon souvenir il y avait toujours quelqu’un pour s’arrêter.
— Ça, c’était avant, l’ami, ça a changé maintenant !
Ils s’entretinrent un moment sur la même lancée, le nouveau venu expliquant que la région n’était plus aussi sûre : la pauvreté poussait les gens à voler encore plus qu’avant ; il y avait les Noirs qui voulaient aller en Europe et qui faisaient escale par ici, devenant au mieux mendiants et au pire, bandits ; il y avait les terroristes qui tentaient de recruter parmi les habitants des montagnes reculées… On racontait qu’à peine trois jours plus tôt ils étaient entrés dans une maison, armés, barbus et menaçants, avaient réquisitionné nourriture et eau, et les paysans avaient été obligés d’abattre trois poulets pour eux avant qu’ils s’en aillent !
Plus je l’écoutais et plus il me paraissait antipathique. Derrière son allure de vieillard, il avait un air malin et ses pupilles ne souriaient jamais, même lorsqu’il lançait un de ses rires tonitruants. Surtout, j’étais malingre, asthmatique ; je ne pouvais lui pardonner la robustesse qu’il affichait malgré son âge avancé.
— Il y a eu du passage, pourtant, quelques trabendos, qui ont filé comme s’ils avaient le diable à leurs trousses. J’aurais aussi bien pu être sur la route qu’ils m’auraient culbuté sans s’arrêter.
— Parlant de ça, dit mon père, je croyais qu’ils avaient resserré la frontière, que les trabendos n’existaient plus.
— Si, toujours, c’est plus difficile maintenant qu’avant, mais tu veux faire quoi ? Les jeunes ont pas de travail ici… Arrêter le trabendo ? Autant leur demander d’arrêter de respirer.
Ils se turent, on n’entendit plus que le bruit du moteur, et j’observai avec une nostalgie ravivée les montagnes, sèches et terreuses comme chaque été, parsemées ici et là de buissons rabougris ou de fermes isolées. Rien n’avait changé en six ans. Mon père m’a dit un jour qu’au printemps tout était vert et fleuri, j’avais du mal à l’imaginer, je n’avais encore jamais vu le printemps au pays. Quand j’étais beaucoup plus jeune, je disais à mes amis qu’il ne neigeait jamais au Maroc : je n’y étais allé qu’en été, j’y voyais toujours le même climat sec et aride, il ne m’était jamais venu à l’esprit qu’il pût changer au cours de mon absence.
Je sursautai, la conversation avait repris et un cri soudain du vieil homme me sortit de ma rêverie :
— Ah, mais tu vas chez Sayad ?
— Oui, tu connais ?
— Bien sûr que je le connais ! On a servi dans la Résistance, on a chassé ensemble et on a travaillé dans la même mine. Demande-lui s’il connaît Rahman, tu verras le nombre d’histoires qu’il a à raconter sur moi !
La conversation s’anima. Je me souvins en souriant que dans ces montagnes très peu de familles n’étaient pas liées à notre clan, les Ayami ; et personne entre Fès à l’ouest et Tlemcen à l’est n’ignorait qui était Sayad, le mari de ma tante Zahra.
— Mais tu es de sa famille ? Tu es le fils de qui ?
— Je suis le fils d’Omar, paix à son âme, répondit mon père. Sayad a épousé ma sœur.
— Le destin fait bien les choses, j’ai pensé à Sayad et à sa pauvre femme pas plus tard qu’hier, j’ai pensé à les visiter. Aujourd’hui est un signe de plus, il faut que j’aille les voir, bientôt !
En parlant de ma tante Zahra, la femme de Sayad, il prit un air peiné que je supposai sincère.
— Comment va-t-elle depuis le temps ? On m’a dit que c’était de pire en pire.
— Je ne sais pas, répondit mon père, impassible. Ça fait six ans que je n’ai pas pris de vacances, je n’ai pas pu venir jusque-là. Je crois qu’elle ne reconnaît plus personne.
Rahman se lança dans une complainte pour ma ta
Commenter  J’apprécie          00
L’été s’achevait, très vite je reprendrais mes habitudes et mes relations en France, et la vie vécue aux Lazhars serait brusquement rompue. C’était un curieux phénomène, cette migration annuelle de milliers de familles sur les routes de France et d’Espagne. Un cortège de Renault Espace, de Renault trafic, de Peugeot J5. Pour toute une génération, le voyage dans ces camionnettes inconfortables était naturel. Elles transportaient des familles nombreuses en leur sein et des vies entières sur leurs porte-bagages. Partir moins chargé n’était pas envisageable, parce que nous n’allions pas en vacances, nous n’allions pas nous détendre ni explorer des terres, ce n’était pas du tourisme : c’était un déménagement. Nous allions vivre notre deuxième vie où, en même temps que notre langue, notre personnalité entière changeait.
Commenter  J’apprécie          30

Video de Soufiane Khaloua (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Soufiane Khaloua
Cinquième et dernier entretien de la cérémonie du prix Hors Concours 2023, (re)vivez l'interview de Soufiane Khaloua par Isabelle Motrot, pour son roman "La Vallée des Lazhars", paru aux éditions Agullo.
----
Résumé :
"Un grand camion blanc parcourt une piste qui serpente au creux d'une vallée, à la frontière Est du Maroc. À son bord, Amir et son père. Cet été, ils rendent visite à leur famille après six ans d'absence. Amir est né en France, mais son père, ici, dans la vallée des Lazhars. Ils sont membres du clan Ayami. le jeune homme a tout l'été pour retrouver une identité qui lui est un droit de naissance et dont il a pourtant du mal à s'emparer. Une Renault 18 gravit une pente et fait une arrivée tonitruante dans la nuit. À son bord, Haroun, "cousin préféré" d'Amir, revient d'un exil de trois ans. Il vient assister au mariage de sa soeur Farah, fiancée à un membre du clan d'en face, les Hokbani, qui vouent aux Ayami une haine réciproque et immémoriale. Haroun apporte avec lui les histoires haletantes de ses aventures dans tout le Maghreb. Mais petit à petit, derrière ses récits luxuriants, Amir découvre une autre version, une réalité différente, intimement liée à la vallée et à ses secrets."
----
Retrouvez toutes les informations liées à l'Académie Hors Concours sur son site Internet (hors-concours.fr), sur Instagram (@prixhorsconcours), Facebook (@HorsConcours) et Twitter (@PrixHC).
+ Lire la suite
autres livres classés : marocVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus

Lecteurs (154) Voir plus



Quiz Voir plus

Famille je vous [h]aime

Complétez le titre du roman de Roy Lewis : Pourquoi j'ai mangé mon _ _ _

chien
père
papy
bébé

10 questions
1427 lecteurs ont répondu
Thèmes : enfants , familles , familleCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..