Une rencontre inoubliable avec des personnages qui font face, à leur manière, à des épreuves similaires : chômage, discrimination, précarité, déclassement, licenciement. Les dialogues et les scènes, mobilisant avec finesse le grotesque et l'humour, soulignent avec efficacité l'absurdité du système économique mais aussi de la science économique. Censée apporter des clés de compréhension, elle se montre au contraire obsédée par les questions de rentabilité et se trouve donc en profond décalage avec les problématiques existentielles des personnages.
On ressort bousculés, dans notre confort et nos certitudes, par ce tableau qui pointe nos responsabilités respectives et notre inaction.
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L’HOMME DE PÔLE EMPLOI. – Très bien. On va faire ça tout de suite. Vous n’auriez pas un CV sur vous par hasard ?
ANDREJ. – Si.
Le CV est montré.
L’HOMME DE PÔLE EMPLOI. – Merveilleux ! Et vous n’auriez pas aussi apporté votre relevé de notes du bac ?
ANDREJ. – Si, voilà.
Les notes sont montrées.
L’HOMME DE PÔLE EMPLOI. – Formidable ! Et ne me dites pas que vous avez aussi suivi un enseignement supérieur ?
ANDREJ. – Je viens de terminer une formation en cours du soir en sciences économiques et en marketing.
L’HOMME DE PÔLE EMPLOI. – Excellent ! Alors on vous inscrit tout de suite.
ANDREJ. – J’ai imprimé quelques offres d’emploi qui pourraient m’intéresser.
L’homme de Pôle Emploi jette un œil sur les propositions d’Andrej.
L’HOMME DE PÔLE EMPLOI. – Intéressant, intéressant, intéressant, intéressant.
ANDREJ. – Mais on avait plutôt l’impression qu’il disait…
L’HOMME DE PÔLE EMPLOI. – Imbécile, imbécile, imbécile, imbécile.
ANDREJ. – Pardon ?
L’HOMME DE PÔLE EMPLOI. – Oui en fait je veux dire. Je crois que la plupart de ces employeurs ont d’autres exigences que celles dont vous disposez en matière d’expérience et de formation. Mais si je dis assainissement, que dites-vous ?
ANDREJ. – Assainissement ?
L’HOMME DE PÔLE EMPLOI. – Oui assainissement. Vous semblez être en bonne condition physique. Avez-vous une expérience de travail dans le nettoyage à haute pression ?
ANDREJ. – Non mais. Je préfèrerais travailler dans quelque chose qui a un rapport avec l’économie ou le marketing ou même la vente. Comme par exemple directeur général adjoint ? Je préfèrerais commencer par chercher ce genre d’emploi.
L’HOMME DE PÔLE EMPLOI. – Oui. Vous avez raison. On ne perd rien à essayer.
ANDREJ. – Et vous ne pensez pas que mon nom de famille pourrait être un problème ?
L’HOMME DE PÔLE EMPLOI. – Pardon ?
ANDREJ. – Mon nom de famille.
L’HOMME DE PÔLE EMPLOI. – Ah. Non. Non je ne pense pas. Ça ne devrait pas être un problème. Et SI c’en était un ça ne serait pas bien que ça le soit. Vraiment pas bien. Mais j’espère que ça ne le sera pas. Tiens, pour plus de sûreté. Prenez ça aussi.
ANDREJ. – Et il m’a tendu le papier de l’entreprise qui cherchait un agent de nettoyage industriel. Je suis rentré chez moi et j’ai commencé mes recherches.
Mani est assis au bord de la scène.
MANI. – Je tombe, je perds l’équilibre, je glisse du bord et ensuite le temps s’arrête et je me réveille dans un amphithéâtre… Je suis seul… ou… je pensais que j’étais seul… mais je regarde devant moi dans la salle et je découvre… des tas de gens… des tas… Ils me regardent, je les regarde et…
Mani endosse son rôle de conférencier.
Non non non. Ne croyez pas tout ce que vous entendez. L’histoire économique n’est pas ennuyeuse. Elle n’est pas sans âme. Elle n’est pas une série de théories et de graphes austères. Au contraire. L’histoire économique est faite d’excentriques, de libres penseurs, de génies, de fous. Des théoriciens tellement étouffés par leur époque qu’ils se sentaient obligés d’utiliser leur savoir pour créer des mondes alternatifs crédibles. Des mondes qui brillent toujours et qui nous remplissent, nous leurs descendants, de joie et d’espoir. Prenez par exemple : Caspar Van Houten.
Caspar Van Houten entre.
Nous sommes l’année 1828. À Amsterdam Caspar Van Houten vient de breveter une presse hydraulique qui va révolutionner la fabrication de la poudre de cacao.
Caspar Van Houten jubile.
Van Houten gagne une fortune. Il devient l’un des fabricants de chocolat les plus renommés d’Europe. Mais au sommet de sa carrière, il choisit de se retirer. Pourquoi ?
Caspar Van Houten et Mani haussent les épaules.
MANI. – Et même si parfois on se disputait, on faisait toujours front ensemble.
Nous nous retrouvons à un dîner de couples.
Oui c’est vrai qu’on est un peu justes parfois.
MARTINA. – Mais qui ne l’est pas ?
MANI. – Exactement. Mais j’ai 99 pour cent de chance d’obtenir un CDI au printemps.
MARTINA. – J’ai commencé à chercher un petit boulot d’appoint.
MANI. – Il y a des gens qui sont dans des situations bien pires. Comme les adolescents au chômage.
MARTINA. – Les mendiants.
MANI. – Les sans-papiers.
MARTINA. – Les adolescents sans-papiers mendiants au chômage.
MANI. – Exactement. Ou des adultes ordinaires qui ne savent pas comment leurs finances évolueront.
« Cours maintenant, petit papier, parcours le monde entier, et détruis la dictature de la finance, de sorte que l’or, l’argent et les pierres précieuses cessent d’être les idoles et les tyrans du monde ! »
August Nordenskjöld (1789)
« J'ai toujours écrit sur des vides. C'est quelque chose qui revient toujours dans mes oeuvres. Qu'est-ce qu'il se passe s'il y a un ami, un membre d'une famille, qui est parti, qui est mort [...] Les gens qui restent, qu'est-ce qu'ils font avec ce vide ? Est-ce que c'est possible de remplacer ce vide avec des mots ? Ça c'est une stratégie que j'ai utilisée personnellement chaque fois qu'il y a quelqu'un dans ma vie qui part ou qui meurt. »
Jonas Hassen Khemiri nous parle de son roman **La clause paternelle**, lauréat du prix Médicis étranger 2021 : https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/la-clause-paternelle
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