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EAN : 9782264068545
552 pages
10-18 (17/03/2016)
4.17/5   268 notes
Résumé :
Caroline du Sud, 1803. Fille d'une riche famille de Charleston, Sarah Grimké sait dès le plus jeune âge qu'elle veut faire de grandes choses dans sa vie. Lorsque pour ses onze ans sa mère lui offre la petite Handful comme esclave personnelle, Sarah se dresse contre les horribles pratiques de telles servilité et inégalité, convictions qu'elle va nourrir tout au long de sa vie. Mais les limites imposées aux femmes écrasent ses ambitions.
Une belle amitié nait e... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (74) Voir plus Ajouter une critique
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J'ai refermé ce roman emplie d'émotions. La belle surprise de la postface fut de découvrir que les personnages principaux, les soeurs Sarah et Angelina Grimké, ont réellement existé. Des pionnières, militantes féministes et abolitionnistes de la première moitié du XIXème siècle, les femmes les plus célèbres et honnies des Etats-Unis. Leur pamphlet American slavery as it is, qui promeut non seulement l'émancipation immédiate des esclaves et l'égalité raciale ( point de vue radical et rare même chez les abolitionnistes ) a même inspiré Harriet Beecher Stowe pour La Case de l'oncle Tom.

L' intrigue est d'une grande force et promesse de romanesque. Sue Monk Kidd a choisi de centrer sa narration sur Sarah, l'aînée. Née à Charleston, Caroline du Sud, au sein d'une puissante et riche famille de l'aristocratie terrienne, dans un monde où posséder un esclave est aussi naturel que respirer. Sur une trentaine d'années, on suit sa longue métamorphose pour rompre avec sa famille, sa religion, sa terre natale, les injonctions sociales faites aux femmes de son milieu, jusqu'à devenir une paria et s'assumer comme telle.

Le piège avec ce genre de récit est soit de tomber dans le pathos larmoyant, facile, soit dans le récit sentencieux comme un catalogue de faits historiques édifiants. L'auteure ne tombe dans aucun de ces écueils car elle prend le parti de tirer du vaste matériel biographique qu'elle a récolte une histoire impressionniste, interprétant la voix et la vie intérieure d'une femme exceptionnelle.

Elle a inventé un magnifique personnage, celui de Handful, esclave offerte à Sarah pour ses dix ans, emballée dans des rubans violet. Leurs destins sont liés sur la trentaine d'années que couvrent le roman, chacune à la recherche de la liberté, ce qui rend très lisible le parallèle entre la lutte pour égalité raciale et celle pour l'égalité entre les sexes. Comment s'inventer des ailes en se servant des obstacles à surmonter ?

Une amitié fulgurante entre la petite blanche riche et l'esclave élevée par une mère rebelle n'aurait pas été crédible étant donné la dissymétrie des statuts et des vécus. L'auteure préfère proposer quelque chose de beaucoup plus subtil, une amitié qui se construit, parfois dans le malaise ou le ressentiment, sur la compréhension commune des épreuves traversées par l'autre, par les rebellions du quotidien. Les chapitres alternent à la première personne le vécu et le ressenti de chacune, éclairant souvent ce que l'autre a pensé précédemment, complétant et ajustant. Cette juxtaposition de leurs expériences d'oppression est très fort.

J'ai vibré au rythme de leurs espoirs écrasés, de leur solitude, de leurs douleurs à se construire en femmes libres au-delà des limites de leur sexe et de leur couleur de peau. Ce roman éclairant et profondément incarné résonne de mille petits combats individuels qui prennent une dimension universelle et ne peuvent laisser quiconque indifférents. Si l'écriture est fluide et fine pour transmettre les sensations et émotions, elle reste classique, un peu fade, en retrait par rapport à la force du récit, ce qui ne permet pas à ce très beau roman de se hisser à la hauteur de ceux de Tony Morrison, par exemple. Il manque un peu de rage ou de poésie à ses mots.
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Sa mauma lui racontait souvent que lorsque son peuple habitait leur pays, l'Afrique, ils avaient le pouvoir magique de voler au-dessus des arbres, comme des merles. Mais c'était avant qu'ils soient pris et vendus dans ce pays-là. Qu'avait-elle voulu dire à sa fille qui ne voit, à dix ans, que son statut d'esclave, totalement prisonnière de la famille Grimké à Charleston ? Même son prénom, Hetty, lui a été donné par Missus Grimké, celle a qui elle appartient selon les abominables lois de Caroline du Sud. Alors appelons-là plutôt Handful, son nom de couffin donné par sa mauma selon les pratiques africaines.

Handful dort avec sa mère au-dessus de l'écurie où les chevaux sont plus choyés que les esclaves mais elle n'aura plus le droit de s'allonger dans ce coin aux relents de crottin car Missus a décidé de l'offrir en cadeau à sa fille Sarah pour ses onze ans. Handful devra alors dormir par terre, devant la porte de sa nouvelle maîtresse. Sarah, déjà révoltée par ces pratiques esclavagistes qu'elle abhorre tente bien de refuser ce cadeau mais en vain. Avoir une esclave fait partie des règles de vie de la famille et ce n'est pas une gamine de onze ans qui va venir modifier leur façon de vivre qui ne peut d'ailleurs supporter aucune critique !

Ce roman fait entendre deux voix, celles de deux fillettes devenant deux femmes criant l'injustice du sort tout désigné qui leur est échu. L'une littéralement privée de toute liberté réunira toutes ses forces et son intelligence en vue d'un hypothétique affranchissement alors que l'autre, non moins prisonnière de son milieu aristocratique, butera contre les portes fermées de son avenir. Deux voix tellement émouvantes, aux accents déchirants, parfois inquiètes mais toujours pleines d'ardeur pour défendre leurs désirs de liberté.

À onze ans, Sarah Grimké reçoit sa première cuisante désillusion lorsqu'elle se voit railler par toute sa famille à l'évocation de son désir de devenir avocate. En 1803, l'unique avenir d'une fille fortunée est d'atteindre l'âge pour sa présentation dans la bonne société afin d'être demandée en mariage.
En attendant, elle décide de se consacrer à l'éducation de sa petite soeur Angelina qui naît à ce moment-là. Face à une mère intransigeante, obtuse, pleine de cruauté avec les esclaves, assénant ses coups de canne à la moindre peccadille, Sarah aura besoin de beaucoup d'audace pour se faire entendre. Son combat, pour suivre sa conscience, la mènera à militer ouvertement pour la cause abolitionniste.
La pierre angulaire de L'invention des ailes est l'histoire véridique de ces deux soeurs originaires de Charleston, le reste relevant de la fiction. L'auteure a souhaité donner toutes leurs places aux actions, aux luttes de ces femmes que l'histoire s'est efforcée d'oublier. Ce roman aborde en parallèle le thème de la naissance du féminisme et celui de la fin de l'esclavage. Les deux thèmes n'en font qu'un : celui de l'atteinte aux libertés humaines.

L'esclave et l'aristocrate sauront sortir du carcan imposé par les classes sociales. Elles vont tisser une relation étroite, de confiance, d'estime, de complicité, d'amitié. Mais, seules contre tous, vont-elles réellement acquérir chacune leur liberté ?
Sarah brave les interdits en apprenant à lire à Handful. Mauma les brave en faisant des travaux de couture qu'elle vend clandestinement, espérant pouvoir acheter leurs libertés. Mais, comme les biens matériels, le cheptel humain des Grimké, bien qu'il ne soit pas rémunéré, a une valeur certaine liée aux compétences. Mauma a bien trop de valeur marchande de par son savoir faire de couturière pour espérer acheter sa liberté. Si bien que la mère de Handful arrache à Sarah la promesse d'affranchir celle-ci, accentuant une culpabilité déjà bien ancrée.

En me promenant autour de chez moi, quelques plumes sur le sol convient immédiatement l'image d'Handul et sa mauma qui les auraient tout de suite ramassées afin de garnir leurs magnifiques quilts. C'est bien la preuve que ce roman, de par sa force émotive et ses thèmes saisissants, occupait mon esprit bien au-delà de sa lecture. La passion du quilt, venue d'Afrique, occupe une grande place dans la vie de nos esclaves. Sur une couverture de vie, Mauma retrace, par la technique de l'appliqué, toute son histoire, les moments forts de son existence, ses épreuves et ses espoirs, sans jamais oublier d'y coudre les triangles noirs symbolisant l'envol des merles qui pourrait préfigurer la délivrance des esclaves…
Tous les petits sabotages que mauma s'autorise pour ne pas abdiquer totalement face au pourvoir de leurs « propriétaires » m'ont fait osciller entre tristesse et satisfaction de ces petites révoltes hélas bien vite corrigées à coups de fouet ou autre torture. Ce sont ses propres paroles qu'elle ne cessait de répéter à sa fille qui reflètent le mieux la puissance de son caractère « faut savoir quel bout de l'aiguille on va être, celui qui est attaché au fil ou celui qui transperce le tissu. »

Parmi les nombreux sujets révoltants abordés dans ce roman, je retiendrai le dogmatisme des institutions religieuses qui cautionnement la différence de statut liée à la race, comme dans ce sermon : « Esclaves, je vous demande d'être satisfaits de votre sort, car telle est la volonté de Dieu ! Les Écritures exigent votre obéissance.» Un blanc qui a de la compassion pour son esclave ne respecte pas la volonté de Dieu telle qu'elle est interprétée par le révérend. Les soeurs en perdront la foi en l'église presbytérienne et rejoindront les Quakers.
Les propriétaires terriens ne sont certainement pas prêts à renoncer au luxe que leur permet l'esclavage. Ce genre de sermons permet de le justifier.

Les voix de Handful et de Sarah m'ont profondément émue car même si Sue Monk Kidd a romancé leur histoire, je me doute bien que tout ce qui a jalonné ce récit est fondé sur des faits qui ont forcément existé. Et le plus triste reste de constater que l'exploitation de l'homme par l'homme n'a malheureusement pas disparu aujourd'hui…
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La quatrième de couverture parle d'une amitié entre deux fillettes l'une, Sarah, fille de planteur de Caroline de Sud, l'autre Hetty (Handful pour sa mère), esclave. Mais je trouve que cela ne correspond que de très loin au livre. Si en effet pour l'une il s'agit d'amitié et si elle essaie d'adoucir le sort de l'autre, celle qui n'a pas le choix navigue entre indifférence et hostilité avec parfois un élan vers l'autre. Mais ce n'est et ce ne peut être une véritable amitié. Cependant elles restent liées jusqu'à la fin.
Toutefois ce n'est pas une déception, il y a beaucoup d'autres choses dans ce roman. Handful l'a parfaitement défini : “Moi je suis esclave dans mon corps mais vous, vous l'êtes dans votre esprit”. En effet Sarah accepte tant bien que mal les limites qui lui sont imposées par sa famille et la société. Bien que très intelligente, elle ne peut rien faire d'utile de ce don, elle ne peut vivre qu'à travers un époux. Mais lorsque le mariage se présentera elle préfèrera la liberté d'accomplir ce qu'elle pense être sa destinée.
Le personnage de la mère de Handful est remarquable par sa façon de lutter contre son esclavage et sa force. J'ai trouvé cette description de la vie d'esclaves domestiques différente de ce que j'avais lu ailleurs.

Cet ouvrage est basé sur la vie des soeurs Grimké, deux féministes et abolitionnistes du début du XIXe siècle, qui comme beaucoup d'autres femmes ayant pourtant eu un impact sur la vie de leur époque sont tombées dans l'oubli. Merci à Sue Monk Kidd de les avoir fait revivre ainsi que d'autres figures majeures de l'abolitionnisme.

J'ai eu un grand plaisir à lire ce livre et à profiter de ce mélange de fiction et de réalité que l'auteur nous présente dans une note finale..

Challenge USA un livre un état
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J'ai lu ce livre mêlant avec brio petite et grande histoire sur les conseils d'une bookstagrameuse qui me l'a conseillé pour prolonger ma lecture du magnifique Cotton County de Eleanor Henderson. Et je lui dois une très belle lecture que je n'aurai probablement jamais lu sans elle, ne connaissant pas du tout l'auteure. Cela fait plusieurs fois que je le dis et l'écrit mais 2019 est vraiment pour moi l'année des très belles découvertes au féminin.

L'histoire est racontée à deux voix, à hauteur d'enfant au démarrage, de jeunes femmes puis d'adultes. Les deux héroïnes sont merveilleusement vraies et attachantes. Nous sommes dans les années 1840, à Charleston, en Caroline du sud. L'ordre des choses semble immuable, régi par le principe de l'esclavage qui codifie les règles domestiques, la vie en société et nourrit la prospérité des blancs. Nous sommes loin, très loin de l'idée même d'une possible remise en cause de ce qui est un mode de vie ancré dans la culture séculaire de la région. le Nord est tellement loin. Pourtant, bien que toute jeune, Sarah sent confusément que l'esclavage est contre-nature. Plus exactement, elle rejette l'idée qu'à son onzième anniversaire, elle reçoive en cadeau une servante personnelle, la petite Hetty ou plutôt Handful, son vrai nom, ce qui est pour ses parents la quintessence d'un cadeau précieux. Ce sera pour les deux fillettes le début d'une relation complexe, d'une amitié sincère bien que tourmentée du fait des origines des deux petites et du carcan de cette société où chacun doit rester à sa place.

Comme dans Cotton County, la vie des deux petites est déroulée sur plusieurs dizaines d'années, avec une alternance de point de vue. Nous sommes totalement immergés dans le monde de l'époque, la prison dans laquelle vivaient les esclaves. Certains chapitres sont extrêmement durs bien que racontés de manière très sobre. Les sévices physiques, bien sûr infligés pour presque rien, et pire encore la froideur absolue avec laquelle les maîtres blancs disposent des familles, séparent mère et fille, ne reconnaissent pas chez leurs esclaves la moindre humanité (sans parler même de droit). On le sait bien sûr mais ce livre nous le fait véritablement vivre (subir) de l'intérieur, au sein même de la plantation. Finalement, même si certains esclaves vivaient parfois des dizaines d'années avec les maîtres, cela ne changeait ni leur place ni la perception que les Blancs ont d'eux.

Sarah est une petite fille puis une femme à part par son empathie, sa capacité à ressentir d'abord intuitivement les choses avant de les conceptualiser. Elle a une conscience précoce et une intelligence hors du commun, qui lui permet de rêver à une carrière de juriste dans les pas de son père. Une carrière qui lui est fermée d'avance, comme l'instruction lui est interdite alors que sa mère la pousse à accomplir le destin qu'on attend d'elle - trouver un mari. Les dés sont pipés dès la naissance et inverser le cours du jeu est impossible. La grande force du livre est son réalisme au cordeau. Les règles de la société bien pensante n'épargnent pas non plus les frères de Sarah, son frère préféré devant renoncer à étudier la théologie pour reprendre le cabinet de juge de son père. Nul n'a le choix et les conventions régissent tout.

Sarah prendra sous son aile sa jeune soeur Angelina, dite Nina, à qui elle transmettra sa conscience et sa sensibilité et qui partagera très vite son combat, s'efforçant de s'échapper de leur cage dorée.
Outre la relation de Sarah et d'Handful puis des liens tissés avec Angelina, ce livre passionnant nous fait découvrir la lutte de Sarah, seule puis galvanisée par Angelina, pour dénoncer l'esclavage, prenant ainsi des risques immenses, la bonne société sudiste ne leur pardonnant pas leur trahison. Elles seront aussi des figures de proue du féminisme. J'ai adoré aussi les passages sur l'art du kilt pratiqué par la mère d'Handful pour transmettre ses racines, l'histoire de son peuple et partager ses souffrances. Des oeuvres qu'elle devait cacher, les blancs ne supportant de voir les représentations des souffrances qu'ils infligeaient pourtant sans aucune réserve.

Je suis impressionnée par la capacité de Sue Monk Kidd à donner à Sarah comme à Handful une voix singulière, profonde et juste, très réfléchie et intérieure pour Sarah, viscérale et empreinte de colère et de révolte pour Handful.

Et le plus est que Sarah et Angelina Grimké ont vraiment existé. L'auteure a découvert leur existence presque par hasard alors qu'elle vivait pourtant à Charleston. Elle raconte dans une postface passionnante la genèse de son livre, son intérêt croissant pour les deux soeurs, ses recherches, les faits véritables et les libertés qu'elle a prises. Encore plus que de rendre hommage à ces deux soeurs, elle leur a véritablement redonné vie. La meilleure reconnaissance qui soit.
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Dans une passionnante postface d'une dizaine de pages, l'auteure du « Secret des abeilles » revient sur la genèse de ce nouveau roman. Elle explique comment, au cours d'une visite au Brooklyn Museum, elle est ainsi tombée par hasard sur les noms de Sarah et Angelina Grimké, noyés au milieu de ceux de neuf cent quatre-vingt-dix-neuf femmes ayant grandement contribué à écrire l'histoire. Sue Monk Kidd s'étonne alors de ne jamais avoir entendu parler de ces deux soeurs, pourtant originaires de Charleston, en Caroline du Sud, la ville dans laquelle elle vivait à l'époque. Sue Monk Kidd ne tarde pas à voir dans l'histoire de ces deux soeurs un sujet de choix pour élaborer son prochain roman. Dans cette note, fourmillante de détails et d'informations précieuses relatives à la vie des soeurs Grimké ainsi qu'à l'origine et l'élaboration du récit qui s'en inspire, elle revient ainsi sur ses intentions, son méticuleux travail de recherche et justifie chacun de ses parti-pris. Surtout, elle détaille dans quelle mesure son oeuvre est restée fidèle aux évènements historiques et à quels moments elle s'en éloigne, allant jusqu'à évoquer les points de discorde entre les historiens concernant certains évènements.

L'auteure a fait le choix d'une narration à hauteur d'enfant pour amorcer cette intrigue prenant racine dans la Caroline du Sud de la première moitié du XIXème siècle. Un procédé risqué mais qui dévoile néanmoins rapidement toute sa pertinence. On se prend très vite d'empathie pour ces enfants, par nature innocents, qui se trouvent confrontés à l'injustice d'une société de castes, pervertie par les préjugés et des dogmes dont ils peinent à saisir la cohérence et le bien-fondé. Sue Monk Kidd a ainsi merveilleusement capté les conflits intérieurs de cet âge charnière où le regard s'ouvre sur le monde et où la conscience s'éveille.

Dans une société où les dés sont pipés dès la naissance et le destin tracé d'avance, il y a peu de place pour les rêves. Sarah ne tardera pas à en faire la douloureuse expérience. Alors que sa soif de connaissance ne semble connaître aucune limite et qu'elle rêve de devenir juriste, la jeune fille ne parvient pas à comprendre pourquoi, du simple fait de son sexe, elle ne bénéficie pas de la même instruction que ses frères et se trouve ainsi confronté à des perspectives d'avenir considérablement réduites.

A 18 ans, contrainte d'enterrer son désir de devenir juriste, Sarah commence à vivre sa vie en partie à travers celle de sa plus jeune soeur, Angelina. Si la jeune femme reste fidèle à ses idées, elle est aussi parfois tentée de se laisser enfermée dans sa cage dorée : « Soirée après soirée, je supportais dans la solitude ces grandes cérémonies, révoltée par notre statut d'objet d'art et méprisant cette société qui se révélait tellement creuse ; pourtant, de façon inexplicable, je mourais d'envie d'être l'une de ces jeunes femmes. » p.126. Forte de sa responsabilité d'aînée et des désillusions qui ont marqué sa vie, Sarah ne baissera pourtant pas les bras, entraînant même sa cadette dans son combat.

Si Sarah et Hetty aspirent toutes deux à un même objectif, à savoir conquérir une liberté dont les prive injustement les moeurs et les principes régissant la société de leur époque, leurs trajectoires diffèrent profondément dans les moyens mis en oeuvre pour mener leur combat. Souffrant de troubles de l'élocution et prisonnière de chaînes invisibles, le combat de Sarah est avant tout intérieur, visant à la fois à rompre avec la représentation que la société lui renvoie d'elle-même et s'extraire du chemin tout tracé qu'elle lui impose. Sarah comprend rapidement que c'est dans le savoir et l'éducation que se trouve la clé qui leur permettra de se libérer de leurs chaînes. Pour faire progresser ses idées et imposer ses opinions, elle aspire ainsi à une lutte pacifique, un message qu'elle s'efforcera de transmettre (tant bien que mal) à Hetty. Au fil des évènements, s'affirment ainsi deux personnalités bien différentes. Si Sarah mène une lutte plus spirituelle que démonstrative, le combat de Hetty (à l'instar de celui de sa mère) est quant à lui marqué par la violence et la rage.

Abordé depuis notre société actuelle et avec les deux siècles de recul que nous avons, le lecteur ne peut qu'approuver les observations et partager les sentiments d'indignation et d'injustice ressentis par les deux héroïnes. Sue Monk Kidd ne cède cependant jamais à l'écueil d'une vision binaire des évènements qui mettrait en opposition les femmes aux hommes et les esclaves aux propriétaires. La force de son roman se trouve justement dans le sens des nuances, cette capacité à ne pas se contenter d'une approche manichéenne, mais bien d'aller au fond des choses, remettant en cause les fondements même de cette société tout entière, qui empêche aussi bien une femme de devenir juriste qu'à son frère d'étudier la théologie.

Dans ce roman choral à deux voix, Sue Monk Kidd met ainsi en perspectives les trajectoires chaotiques de ces deux femmes victimes d'ostracisme. Au-delà de la grande finesse psychologique que cette alternance de narration suppose, c'est aussi un remarquable exercice de style auquel se livre ici l'auteure, parvenant à donner à chaque personnage sa propre voix, à la fois unique et parfaitement identifiable. Chaque mouvement de narration s'accompagne ainsi d'un changement dans la manière de raconter les évènements et de retranscrire les émotions. Et même lorsqu'elle se fait la voix de Hetty, dont l'éducation et le vocabulaire ne lui permettent pas de jouer avec les subtilités et les libertés de la langue, la plume de Sue Monk Kidd est capable de fulgurances stylistiques et de véritables moments de poésie.

On pourra certes reprocher certaines faiblesses à ce récit mêlant avec brio petite et grande Histoire. Pour accentuer la force de son propos, l'auteure cède ainsi parfois à un symbolisme excessif, faisant perdre à sa démonstration de sa subtilité. Il serait néanmoins cruel de s'arrêter à ces petites maladresses, tant elles paraissent bien insignifiantes au regard de ce roman historique époustouflant, à la fois remarquablement documenté et magistralement orchestré !

Je remercie Babelio et les éditions JC Lattès pour cette belle découverte!
Lien : https://lectriceafleurdemots..
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Citations et extraits (43) Voir plus Ajouter une citation
La colère me prit en l'entendant parler ainsi. Je me demandai un instant si je ne ferais pas mieux de me taire pour arranger mes affaires avec Mère. Avait-on jamais raison de sacrifier sa vérité par opportunisme ? Mère ferait ce qu'elle ferait, pas vrai ? Mais comment était-il possible que je n'aie aucune difficulté à m'exprimer dans le vaste monde et que je sois muette dans la maison qui m'avait vue naître ?
Quelque chose céda en moi - des années passées ici à cohabiter avec l'intenable. "Votre façon de vivre !" Mais quelle justification est-ce là ? L'esclavage est un système sorti tout droit de l'enfer, il n'est pas défendable!"
[...]
Je fis un pas vers elle et laissai libre cours à ma colère. "Tu parles comme si Dieu était blanc et né dans le Sud ! Comme si son image était notre propriété. Tu parles comme une idiote. Les Noirs ne sont pas des créatures différentes de nous. Avoir la peau blanche n'a rien de sacré, Mary ! Cela ne peut pas continuer à être la référence universelle."
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J’étais sur le point de m’endormir quand elle a dit : « J’aurais dû coudre cette soie verte à l’intérieur d’un quilt et elle l’aurait jamais trouvée. Je regrette pas de l’avoir volée, je regrette seulement de m’être fait prendre.
— Pourquoi donc tu l’as prise ?
— Parce que. Parce que c’était possible. »
Cette réponse m’a marquée. Mauma voulait pas de ce tissu, elle voulait seulement causer des problèmes. Impossible d’être libre, impossible de frapper Missus sur la tête à coups de canne mais elle pouvait lui voler sa soie. En matière de révolte, on fait avec ce qu’on a.
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Prenant mon souffle, je franchis la porte d'un coup. C'était ma méthode inélégante, pour naviguer dans les difficultés de mon statut de fille. Tout le monde me considérait comme quelqu'un de courageux mais, en réalité, j'étais bien plus peureuse que d'aucuns le croyaient. J'avais un tempérament de tortue. Quel quelque peur, quelque crainte, quelque obstacle surgît sur mon chemin, je ne songeais plus qu'à m'arrêter pile et me cacher. 'Si tu dois te tromper, fais-le en toute audace.' C'était la petite formule que je m'étais forgée. Depuis déjà un certain temps, elle m'aidait à franchir le seuil des portes.
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Un très beau roman. L'histoire passionnante de 2 femmes, l'une issue d'une famille riche du sud des États-unis, et l'autre esclave appartenant à cette même famille. On suit la destinée de Sarah et Hetty, de leur enfance à un âge avancé. On partage les moments marquants de leur vie, leurs déceptions, leurs espoirs. C'est l'histoire de Hetty, l'esclave, qui m'a surtout marquée dans ce livre. C'est tellement poignant, cette injustice permanente. On y suit aussi les débuts du combat des femmes pour se libérer. J'ai appris beaucoup de choses et été très touchée.
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It was hard to know where things stood. People say love gets fouled by a difference big as ours. I didn't know for sure whether Miss Sarah's feelings came from love or guilt. I didn't know whether mine came from love or a need to be safe. She loved me and pitied me. And I loved her and used her. It never was a simple thing.
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Vidéo de Sue Monk Kidd
Film "Le secret des abeilles" bande-annonce 2008
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